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On enterre bien les tyrans | | | Hélène Carrère d'Encausse 1956. La Deuxième Mort de Staline Complexe - Questions à l'histoire 2006 / 19.90 € - 130.35 ffr. / 276 pages ISBN : 2-8048-0077-6 FORMAT : 12,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
En 1984, Hélène Carrère dEncausse publiait un petit ouvrage, 1956, la déstalinisation commence aux éditions Complexe. LEmpire soviétique vacillait, et lhistorienne, spécialiste du monde soviétique, en annonçait déjà le terme. Vingt ans plus tard, la situation a évolué : Mme Carrère dEncausse est entrée à lAcadémie, qui a reconnu de la sorte sa clairvoyance, lURSS sest disloquée sous la pression des nationalismes
et Staline a toujours des admirateurs déçus par la péréstroïka et le libéralisme à la sauce Poutine. Toutefois, la réédition de cet ouvrage, augmentée dun épilogue au sujet de lempire défunt, rappelle encore une fois ce que fut le stalinisme, et le système communiste en général.
Louvrage démarre le 5 mars 1953 : Staline («le petit père des peuples», «le meilleur ami des enfants»
) vient de mourir
Désolation dans lURSS tandis quau sommet, la lutte commence. Dun côté, les anciens comme Béria, Malenkov, Molotov, prêts à jouer la comédie des adieux pour un système érigé sur la terreur. De lautre, Khrouchtchev, plutôt outsider dans la course au pouvoir. Les premiers semparent de lEtat, le second soccupe du parti. La lutte sengage. Et la stratégie employée par Khrouchtchev est originale : il sagit de la déstalinisation. Casser lidole, détruire le culte de la personnalité, restaurer le communisme de Lénine, revenir à la réalité
Tout cela en sassurant tout dabord le soutien du parti et de larmée (trop souvent épurée pour se fier au premier cercle des staliniens). La stratégie sorganise en deux temps, autour dun retour à la tradition : les congrès. Le XXe congrès (1956) sera loccasion dune déstalinisation en huis-clos, entre soviétiques
une déstalinisation qui, système soviétique oblige, transpire dans tous les partis frères, et de là, dans lensemble du monde communiste, qui sinterroge sur les opportunités futures (telle la Yougoslavie, ostracisée par Staline et «réconciliée» par Khrouchtchev).
Khrouchtchev en profite pour asseoir son pouvoir, légitimer sa jeune autorité en passant pour un restaurateur du léninisme : du bon usage de la réaction en milieu progressiste ! Cette déstalinisation timide passe par un volant institutionnel (amnistie légère, aménagement de la censure) et un volant culturel
dans la limite du raisonnable (et lauteur montre, avec laffaire Pasternak, que la déstalinisation ne signifie pas la fin de la dictature). La seconde étape, cest, cinq ans plus tard, le XXIIe congrès et la condamnation cette fois officielle du culte de la personnalité et des crimes du stalinisme : ébranlement terrible qui permet tout cela est très instrumentalisé de liquider doucement la vieille clique autour de Molotov. On fait même intervenir lesprit (vengeur) de Lénine, via une vieille militante convaincue par des apparitions posthumes du révolutionnaire. Les conséquences sont importantes et manifestes (érection dun monument pour les victimes, enterrement discret du corps de Staline
). Les vents du changement sont tout de même perceptibles à ce niveau de pouvoir : la disgrâce nimplique plus la mort ignominieuse ou les accusations délirantes
On se civilise.
Mais dans sa logique de rupture (contre la nomenklatura, contre le léninisme
) et de division (pour règner), Khrouchtchev va finalement se heurter à ce parti quil avait contribué à rénover : la disgrâce de 1964 sapparente à une «dékhrouchtchevisation», un effacement de la mémoire dont H. Carrère dEncausse rappelle, dans un épilogue bienvenu, quune quarantaine dannées plus tard, il est encore dactualité. Staline était définitivement enterré, mais son vainqueur ne sen tirait guère mieux. «On ma vu ce que vous êtes, vous serez ce que je suis», disait Fontenelle à une certaine marquise
Si depuis la parution de cet ouvrage, J.-J. Marie a publié une biographie monumentale de Staline (Fayard), dune érudition impressionnante, ce petit livre garde son intérêt, comme réflexion sur le système communiste, ses crises et ses permanences (le khrouchtchevisme succèdant au stalinisme), la question du pouvoir et de ses enjeux (notamment mémoriels et historiques), la question enfin des transitions politiques. On appréciera notamment le glissement des domaines institutionnels aux questions culturelles, qui révèle les divers enjeux (national et international, politique, culturel, institutionnel
), le tout dans un style classique et très didactique qui sadresse aux historiens comme aux curieux.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 04/07/2006 ) Imprimer
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