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Où l’on cause de ventre encore fécond et de bête immonde… | | | Alfred Wahl La Seconde histoire du nazisme - Dans l' Allemagne fédérale depuis 1945 Armand Colin - Les enjeux de l'histoire 2006 / 24 € - 157.2 ffr. / 335 pages ISBN : 2-200-26844-0 FORMAT : 16,0cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Limage qui subsiste de lAllemagne de laprès guerre et de laprès Hitler, cest une ville en décombres peuplée de fantômes (Berlin) et un tribunal où des hommes à lallure banale confessent des crimes inimaginables (Nuremberg). Mais quen est-il du pays réel ? Comment penser le politique, la société après la révélation dAuschwitz et la notion dEtat criminel ? Comment la population allemande de RFA a-t-elle digéré le passé et un certain consensus nazi?
Lhistorien allemand Peter Reichel avait forgé, à partir dune problématique importante, celle de la vie politique en Allemagne après la guerre, lidée dune «seconde histoire du nazisme», une histoire qui commencerait dans les décombres de lAllemagne «année zéro», autour dune idéologie peut-être mourante, mais dont le corps politique le parti et ses adhérents, ses sympathisants (le NSDAP revendiquait 6,5 Millions dadhérents, et 4 Millions dans les organisations annexes) et ses électeurs (20 millions ?) demeure bien vivant. Cest à ce bilan de la dénazification des lendemains de la guerre que sattaque Alfred Wahl, professeur à luniversité de Metz et spécialiste du monde germanique.
Louvrage commence par un tableau chronologique de la dénazification dans les diverses zones occidentales, une opération délicate, qui ne rencontre pas forcément la faveur de la population, prête à lyncher les résistants avoués. Les nazis finissent par devenir des victimes, des victimes dautant plus gênantes que loccupant a besoin des qualités administratives de nombre dentre eux. Et puis la pédagogie de la dénazification ne fonctionne pas toujours : lexposition même du génocide finit par lasser lopinion
alors que les soucis du voisin, certes ancien nazi, sont plus immédiats. LAllemagne année zéro se perçoit parfois en victime des alliés, la repentance nest pas forcément dans lair du temps. La reconstruction dune mémoire est une affaire en soi : ici, pas de «passé qui ne passe pas» ni de «long remord», mais plutôt une charge constante, un passé au présent (le concept de vergangenheitsbewältigung, qui fait lobjet dun chapitre conclusif sur les tribulations de la mémoire du nazisme jusquà nos jours) qui pèse sur chaque geste officiel, chaque décision, chaque vie.
Mémoire, histoire, justice
tel est le tryptique de laprès guerre allemande. Rapidement, les alliés se déchargent de cette tâche sur la justice allemande. Mais le long travail de la justice est limité par une impossible taxinomie des responsabilités, entre nazis coupables (à divers degrés), suivistes ou «excusés» (comme Hugenberg ou Schacht
)
et une indulgence très réelle des cours de justice. Processus à la fois politique et judiciaire, la dénazification progresse au risque de linstrumentalisation.
Reste à évaluer les effets de la dénazification : Alfred Wahl se penche donc sur la vie politique renaissante en RFA, traquant les continuités dun régime à lautre
car continuités il y a, parmi les serviteurs de lEtat, en dépit des accords de Potsdam. En premier lieu, il scrute les assemblées à la recherche des anciens nazis, plus ou moins repentis qui voisinent avec les exclus du nazisme, parfois inconscients du passé de leur collègue. La carrière politique est paradoxalement très exposée et un refuge habile. Mais dautres institutions font office dentreprises de réinsertion. Le service de lEtat est particulièrement visé : de fait, le nazisme avait érigé ladministration au rang dun idéal-type weberien, celui dune «bureaucratie» efficace, trop efficace. Et forcément, la cinquième colonne des spécialistes réinvestit le nouveau régime et ses administrations, jusquau plus haut niveau, dans limmédiat entourage gouvernemental dun Adenauer qui, nouveau «guide», parie sur la réintégration et le «trait final» : A. Wahl se penche ainsi sur divers cas connus jusquà celui, emblématique, du chancelier Kiesinger lui-même. Aux échelons intermédiaires, même rengaine pour des gouvernements régionaux et locaux.
Diplomatie, défense, justice, police, enseignement
Si une épuration a effectivement eu lieu (on supprime les chaires dhygiène raciale
), il nest pas possible décarter une part trop importante des anciens fonctionnaires, et les épurés eux-mêmes finissent, dès le début des années 50, par revenir, parfois sans avoir amendé leurs convictions. Lauteur dresse donc un tableau de ladministration de la RFA dans les années 50, évoquant nombre daffaires et de cas individuels importants, une administration scrutée à la loupe par la presse, les partis de gauche
ainsi que par la RDA, qui instrumentalise au besoin lindulgence de la RFA, quand elle ne sert pas plus simplement de mouche du coche, dénonçant les magistrats «ex». Tous les grands corps font débats : la diplomatie et ses Ribbentropler, larmée et ses valeurs (bien évidemment au cur de cette entreprise de réinsertion), luniversité également, avec des affaires célèbres comme Heidegger, et logiquement le cas spécifique des historiens, comme une mise en abyme de cette question de mémoire. Le dilemme des vainqueurs est simple : loubli ou lanarchie ? Avec la guerre froide en toile de fond.
Du reste, les anciens nazis se soutiennent, se rejoignent, tentent même un retour concerté dans certaines administrations stratégiques, comme au sein de loffice criminel du Bund. Si des suites judiciaires sont données à la fin des années 50, la presse fait cycliquement ses choux gras dune véritable «renazification» qui aboutit à quelques débats forcément politiques, menés souvent par le SPD.
Et cette continuité se retrouve également dans le secteur privé : si la dénazification aboutit au démantellement de grands cartels comme lIG Farben, on retrouve dans les organigrammes des sociétés nouvelles quelques hiérarques du régime passé. Chaque secteur dactivité, considéré en détail par lauteur, trouve ainsi son lot danciens nazis, rapidement revenus en grâce. Tant dans le domaine culturel, artistique ou même sportif, le constat est identique : passé une phase de dénazification plus ou moins poussée, les ex nazis reviennent aux commandes. Mais, comme le constate (avec soulagement) lauteur, cette banalisation des parcours na pas abouti à une banalisation du passé nazi, preuve dune mémoire collective plus dense, plus pesante que les stratégies individuelles. Au final, lAllemagne libérale aura été construite par nombre danciens du NSDAP, constat «miraculeux» selon lauteur, fruit du pari dAdenauer. Affaire de générations également, et lauteur montre bien que cette mémoire, qui fait toujours débat, sestompe, ou évolue, avec les générations nouvelles.
Comme le montrait récemment Jérôme Cotillon dans Ce quil reste de Vichy (Armand Colin), les idéologies ne meurent pas avec les défaites. A. Wahl en fait la démonstration éclairante avec cette étude nécessaire à toute réflexion sur lhistoire allemande de laprès guerre. Louvrage, du fait dune présentation allégée (pas dindex, pas de notes, une bibliographie restreinte et uniquement allemande), sapparente à une synthèse, riche, percutante, mais que lon voudrait parfois plus étayée.
Il sera toutefois, pour tous les amateurs daprès guerre et dhistoire allemande, une lecture désormais incontournable, pour comprendre le creuset dont est sortie la RFA, et la manière dont la mémoire allemande du nazisme sest constituée, comment lon est passé de lannée zéro à lan 1.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 30/11/2006 ) Imprimer
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