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Mutations fondamentales
Jean-François Sirinelli   Les Vingt décisives. 1965-1985 - Le passé proche de notre avenir
Fayard 2007 /  23 € - 150.65 ffr. / 323 pages
ISBN : 978-2-213-62704-5
FORMAT : 15,5cm x 23,5cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Professeur d’histoire contemporaine à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et directeur du Centre d’histoire de Sciences-Po, Jean François Sirinelli (né en 1949) est un des historiens qui comptent en histoire contemporaine. Spécialiste d’histoire culturelle, il a contribué (avec M. Winock, P. Ory, etc.) à fonder l’histoire des intellectuels, et l’ouvrage qu’il a dirigé sur l’Histoire des droites en France (1992, rééd. 2006) fait autorité. Depuis quelques années, il entreprend aux éditons Fayard, de nous livrer sa lecture du XXe siècle, et plus particulièrement de sa seconde partie (Les Baby boomers. Une génération 1945-1969, 2003 et Comprendre le XXe siècle français, 2005).

Avec Les Vingt décisives. Le passé proche de notre avenir. 1965-1985, ce sont les mutations profondes de notre période récente que Jean-François Sirinelli se propose de décrypter : «(…)l’ampleur de la métamorphose intervenue au cours de ces vingt années a été si forte que le pays s’en est trouvé modifié jusqu’à son tréfonds et que la France d’avant les années 60 relève désormais de l’anthropologie historique» (p.9). Jean-François Sirinelli est né en 1949, et derrière l’analyse de l’historien, on sent aussi, par moments, les souvenirs du baby boomer… qui renforcent l’intérêt du lecteur. Le livre apparaît comme la volonté de présenter une synthèse élégante des travaux universitaires nombreux (dont on aurait malgré tout apprécié que les références soient données en cours de lecture !). Ouvrage bilan d’une époque que l’auteur connaît particulièrement bien.

Ordonné de façon classique en trois parties - «La fin du «monde d’avant»», «Changement de versant», «Changement d’époque» -, l’ouvrage fourmille de formules heureuses (Bernard Henri Lévy : «intellectuel-paon» ou «intellectuel-caméléon», p.261) et de titres incisifs («Chêne abattu ou branche morte», s’interroge l’auteur sur la Ve république sans de Gaulle, p.136, «Crise des clercs ? crise des mots ?», p.205, «Giscard,le premier orphelin des Trente Glorieuses», p.157). Il est écrit d’une plume alerte, avec humour, se lit «comme un roman» policier de surcroît… on a envie de savoir quand et pourquoi a disparu ce «monde d’avant».

Pour un ouvrage universitaire cependant, on regrette fortement l’absence volontaire de tout appareil critique, pas même de bibliographie, un simple index ! Même le grand public cultivé auquel s’adresse principalement le livre a droit à un minimum ! Et le commentaire rapide de l’avant-propos sur ce point ne convaincra pas grand monde, du moins parmi les lecteurs exigeants…

Sur le fond, Jean-François Sirinelli reprend les temps forts des années 65-85 pour établir au cœur de cette période une chronologie fine et montrer des ruptures, visibles aujourd’hui, et passées relativement inaperçues à l’époque. Après les «Trente glorieuses», de Jean Fourastié, les «Vingt Piteuses» de Nicolas Baverez, «La Seconde Révolution française. 1965-1984» d’Henri Mendras (qui a été le premier a attirer l’attention sur l’année 65, année de rupture, «charnière décisive», p.68), Jean-François Sirinelli traque dans notre «passé proche» les signes de changements irréversibles. Tous s’accordent pour reconnaître le «noeud chronologique» des années 65. Dans cette société française qui vit une expérience quasi inédite de paix et de prospérité, 65 apparaît comme une «année tournante», bien davantage d’une certaine façon que 68, année symbole. 1965 est en premier lieu un temps de rupture politique marqué par la première élection présidentielle au suffrage universel, et toutes les conséquences politiques qu’elle entraîne. S’impose une culture de masse juvénile, résultat de la forte scolarisation des générations du baby boom, et des progrès de la télévision qui, désormais, pénètre la majorité des foyers. Ces années sont des années de révolution culturelle : «La configuration culturelle française se trouve alors sous l’effet d’une double déferlante issue de la grande métamorphose alors en cours : crue de l’image animée portée à domicile et du son lui aussi consommé à demeure, déferlement d’une culture jeune et conquérante» (p.64). Premiers signes d’une crise des valeurs (difficultés internes de l’Eglise catholique post Vatican II), débuts d’une culture hippie (cf. Antoine, Les Elucubrations, Polnareff, L’Amour avec toi, 1966), les débuts de la baisse de la fécondité à partir de 64, bref tous les indices convergent, alors que le temps des intellectuels (années Sartre) commence à marquer le pas.

Certes la mémoire collective attribue ces changements à l’année 68 («Mai 68 ou la fusée comme métaphore», titre drôlement JF Sirinelli), mais l’historien les repère en germes auparavant. Désormais une époque se clôt de façon irréversible. C’est aux «années Giscard» (1974/81) qu’il revient d’accomplir ces changements : «l’accompagnement médité, et revendiqué comme tel, des mutations en cours» (p.163), un changement réel, mais marqué par la crise : «Au coeur des Vingt Décisives se situe donc une phase réformatrice de forte intensité mais de faible durée, que la conjoncture tout à la fois permit et interrompit» (p.165). JF Sirinelli s’intéresse fortement à ces années et défend avec talent les réalisations et les contradictions qui les caractérisent.

Comme 65, sur l’autre versant, les années 73/74 apparaissent comme le début d’une crise durable, en dépit de l’image des Trente Glorieuses qui persiste dans les mémoires (p.171 : le livre de J. Fourastié «ainsi replacé en perspective, apparaît bien alors comme l’oraison funèbre d’une période abolie, au terme d’une décennie, dont les deux versants sont bien, au bout du compte, très différents») Au cercle vertueux de la décennie précédente, s’oppose le cercle vicieux des années qu’ouvre 1973, et, cependant, en même temps, les mutations continuent dans le domaine des mœurs, de la vie quotidienne ; la révolution rurale se poursuit, alors que la «mondialisation» s’installe, sur fond de guerre du Vietnam et d’anti-américanisme des intellectuels qui vivent alors leurs ultimes grands engagements militants et médiatiques. De Sartre à Coluche comme figure de référence : il y a plus qu’un fossé !

Dans ce contexte, 1981 peut apparaître comme une «révolution par défaut» (p.215), en ces années de «Ve république déréglée», marquée entre autres sur le plan politique par la montée du Front National entraîné par Jean-Marie Le Pen. Révolution culturelle profonde que constate Jean François Sirinelli au début des années 80 : «D’une certaine façon, pour le meilleur ou pour le pire,le pathos l’a emporté ici, au moins en partie sur le logos» (p.270). Années marquées par les exigences de mémoire, le souci des victimes, les ébranlements des institutions, le déclin des grandes idéologies. Société de l’émotion, de l’instant, des media et des images… Temps des doutes et des soupçons... Inquiétudes diverses.

La seconde partie des années 80 est marquée par une remise en cause nouvelle de la République, et de la civilisation qu’elle avait contribué à construire. Reste une question ouverte sur laquelle Jean-François Sirinelli conclut son analyse : assiste-t-on à une éclipse de la civilisation républicaine telle qu’elle s’était construite au lendemain de la Seconde Guerre modiale, ou à son déclin irréversible ? On le voit, la lecture des Vingt décisives est stimulante, d’autant que l’ouvrage est de lecture très agréable. Il plaira sans aucun doute au grand public cultivé (selon la formule traditionnelle !) auquel il est destiné, mais sera tout aussi utile à un public universitaire.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 11/06/2007 )
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       de Jean-François Sirinelli
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       de Jean-François Sirinelli
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