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Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
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Petits arrangements avec l’histoire | | | Guy Brucy Pascal Caillaud Emmanuel Quenson Lucie Tanguy Former pour réformer - Retour sur la formation permanente (1945-2004) La Découverte - Recherches 2007 / 25 € - 163.75 ffr. / 266 pages ISBN : 978-2-7071-5322-7 FORMAT : 14,0cm x 22,0cm
L'auteur du compte rendu : Mathilde Rembert travaille dans le domaine de la formation professionnelle continue. Imprimer
Sur la formation initiale, autrement dit lEcole avec un grand E, tout un chacun semble avoir son mot à dire. Que lécole maternelle française est formidable, que les élèves du primaire napprennent plus à lire ni à compter, quil est temps de renforcer lautorité au collège ou au lycée, que notre université est une usine à chômeurs
Les chercheurs aussi sy intéressent de près : il nest que de voir le nombre de compte-rendus relatifs à des ouvrages sur lécole sur Parutions.com !
Si lécole, affaire dEtat, passionne, la formation continue, affaire des partenaires sociaux, intéresse moins la recherche et le grand public, nous rappelle lhistorien Guy Brucy dans son introduction. La formation professionnelle continue, née en 1971, est souvent considérée comme le lieu dun consensus, «un bien universel» (selon lexpression de la sociologue Lucie Tanguy), recherché autant par les syndicats de salariés que par les organisations patronales, et dans lequel lEducation Nationale naurait quun rôle très limité. Former pour réformer, fruit dune collaboration entre sociologues, historiens et juristes, apporte une vision plus nuancée de lhistoire récente (1945/2004) en proposant une généalogie de la formation qui, «en faisant ressurgir les conflits et les confrontations des premiers commencements, et du même coup, les possibles écartés, (
) réactualise la possibilité quil en ait été autrement.» (Bourdieu, 1993).
Le rôle de lEducation Nationale dans la formation professionnelle continue est assez mal perçu. On lui demande souvent de donner des qualifications professionnelles
tout en rappelant quelle nest pas légitime à le faire ! Guy Brucy revient sur le rôle joué par lenseignement technique dans la formation des adultes. Le CAP est créé en 1919, puis le brevet professionnel. Le premier est censé «établir laptitude à commencer à exercer la profession» tandis que le second «établit la maîtrise absolue de cette profession». Des inspecteurs, enseignants et chefs détablissement sont très liés aux milieux professionnels. Mais les entreprises ne reconnaissent pas forcément les qualifications acquises par leurs salariés en formation.
Si la formation professionnelle continue nest pas vue comme étant l«affaire de lEcole» (et donc laffaire de lEtat), elle est dans lesprit de tous laffaire des partenaires sociaux. Or cest bien à la demande de lEtat que les partenaires sociaux négocient en 1970. A cette époque, la formation nintéresse guère les syndicats de salariés, mobilisés sur dautres sujets plus importants à leurs yeux. La formation des salariés est même parfois mal vue : son but nest-il pas avant tout lamélioration de la productivité ? La CGT soutient ainsi une vision «lutte des classes», contrairement à dautres syndicats orientés vers la social-démocratie. Finalement, la formation continue est plutôt portée par les cadres, qui sont les vrais précurseurs de la loi de 71.
Dailleurs, quexiste-t-il dans ce domaine avant 1971 ? Beaucoup lignorent ! Pascal Caillaud, juriste, propose un article sur la construction dun droit de la formation professionnelle des adultes entre 1959 et 2004. La loi Astier, en 1919, instaure des cours de perfectionnement pour les salariés dans les établissements scolaires. Après la Seconde Guerre mondiale, en 1946, est réaffirmée limportance de la formation. En 1959 est promulguée une loi sur la promotion sociale. En 1966, la formation professionnelle est promue au rang d«obligation nationale». En 1971 le droit de la formation professionnelle continue se rapproche du droit du travail. (Il est dailleurs intégré dans un des livres du code du travail). Caillaud souligne la spécificité du mode de construction de la formation professionnelle continue : dans un premier temps, les partenaires sociaux négocient : accord nationaux interprofessionnels de 1970 et de 2003 ; dans un deuxième temps, une loi est créée : lois de 1971 et de 2004, cette dernière marquant pour lauteur une rupture avec les conceptions traditionnelles en droit du travail. Les dispositions du droit du travail, qui visent souvent à protéger le salarié, présupposent en effet une inégalité de base entre le salarié et lemployeur. Dans la loi sur la formation de 2004, salarié et employeur apparaissent sur un plan dégalité pour négocier (le Droit Individuel à la Formation en est une nette illustration).
Alors que la notion de formation tout au long de la vie se substitue dans le discours à celle déducation permanente, lindividu est de plus en plus considéré comme responsable de son avenir : cest à lui d«investir» dans sa formation. Cette vision dun individu rationnel est portée, selon Lucie Tanguy, par les «théories de lacteur». Bien informé, le salarié doit savoir utiliser le système à son avantage. Cette conception escamote les contraintes du travail à une époque de chômage de masse, les effets de classe, en un mot, les rapports de force qui pour Tanguy semblent plus que jamais dactualité.
Mathilde Rembert ( Mis en ligne le 01/02/2008 ) Imprimer | | |
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