 | |
Gauchistes contre gauchistes | | | Morgan Sportès Ils ont tué Pierre Overney Grasset 2008 / 20,90 € - 136.9 ffr. / 394 pages ISBN : 978-2-246-71201-5 FORMAT : 14,0cm x 23,0cm
L'auteur du compte rendu : Essayiste, romancier, Jean-Laurent Glémin est titulaire dun troisième cycle en littérature française. Ayant travaillé notamment sur les sulfureux Maurice Sachs et Henry de Montherlant, il se consacre aujourdhui à lécriture de carnets et de romans. Il na pas publié entre autres Fou dHélène, LImprésent, Fleur rouge, Chair Obscure, Continuer le silence. Imprimer
Morgan Sportès (né en 1947) nous plonge avec ce nouveau livre dans les années 60-70, au cur des conflits idéologiques inscrits dans le monde du travail, et plus généralement des grandes entreprises publiques. Grèves, manifestations, séquestrations, affrontements, enlèvements, assemblées générales, bref, ce monde bien connu des syndicats et des politiques tel quil se pratiquait il y a trente ans, revit le temps de cette enquête très documentée bien quun peu fouillis.
Mais comme dans toute lutte de classes et de pouvoir, les facéties idéologiques, qui consistent à se dresser devant laugmentation du ticket de cantine, peuvent dégénérer en exécution sommaire. Cest ce qui arriva à Pierre Overney, militant maoïste de la première heure, un dur à cuir connu pour sa détermination dans les interventions musclées, bourlingueur et grande gueule, qui sécroula sous limpact de larme de Jean-Antoine Tramoni, officiellement vigile de son état, ce 25 février 1972 devant lusine Renault de Billancourt durant une manifestation qui dégénéra en émeute. Comment en est-on arrivé là ? Qui manipulait qui ? Overney était-il condamné ou sagissait-il dun accident tragique ? Cest ce que Morgan Sportès tente de nous expliquer (sans en percer le mystère) en plongeant dans les faits et en interrogeant les contemporains du syndicaliste abattu.
Son livre est construit sur la base dun regroupement plus ou moins bien agencé de faits chronologiques, de témoignages dacteurs de lépoque (surtout des ouvriers), de coupures de presse, dextraits de livre et de réflexions de lauteur sur lhistoire récente du gauchisme en France. Cette plongée dans lunivers clairement idéologique du monde du travail paraît aujourdhui dun autre âge, vingt ans après la chute du communisme. Or, ces événements se sont déroulés il y a seulement trente ans. Si les recoupements historiques finissent par se perdre dans un magma dactions symboliques ou de faits-divers marquants, ils ont au moins le mérite de nous faire comprendre les antagonismes réels qui persistaient entre politiques et syndicats, entre la branche maoïste radicale et les «libéraux» de la CGT, enfin entre les intellectuels engagés et le gouvernement de Georges Pompidou.
Sportès montre bien les rivalités qui existaient entre ces deux mouvances (Maoïstes et Cégétistes) qui étaient censées représenter les droits des travailleurs. Mais les ambitieux ne font pas de cadeaux quelle que soit la cause défendue. Chez ceux de droite comme de gauche, le pouvoir est toujours le but recherché, surtout lorsquil est teinté didéologie primaire. Si Overney était dabord un agitateur qui militait et cassait du flic pour la frime, dautres avaient les dents plus longues, ce qui conduisait à des arrestations, des échauffourées ou encore des actes de violence saisissants.
Cest aussi loccasion de redécouvrir les discours radicaux et démagogiques des Sartre, Beauvoir, Foucault, July et Glucksmann (Qui, si on lui avait prédit quil soutiendrait un candidat de droite pure trente ans plus tard, vous aurait balancé un pavé en pleine tête !), représentants plus ou moins légitimes de la cause ouvrière révolutionnaire. Sportès tente donc de nous expliquer durant ces années 1968-78 les conflits entre gauche et droite, ouvriers et patrons, prolétariat et bourgeoisie, communisme et capitalisme, Chine et URSS, France et Amérique mais aussi entre maoïstes et cégétistes, révolutionnaires et socialistes, bref, une sacrée pagaille idéologique au cur même des réseaux de la gauche prolétarienne. Tout est prétexte à la manifestation et à loccupation forcée des usines : Racisme, expulsion, licenciement, lutte des classes, refus du bourgeois, etc., qui ont conduit en 1972 et 1977 à la mort de deux hommes : le martyr Overney puis le bourreau Tramoni exécuté par deux hommes cinq ans après les faits.
Reste que cela nous laisse sans voix lorsque lon se rappelle la mobilisation énorme qui existait pour défendre (même si des abus étaient souvent mis au compte de la lutte idéologique) les droits des salariés (Licenciements abusifs, précarité du travail, renvoi des immigrés, gel des salaires, inégalité sociale, augmentation des prix, etc.) quand, aujourdhui, on envoie des gens en Turquie ou en Inde sous peine de licenciement pour un salaire divisé par trois et que lon prend ça comme une fatalité.
Sur le travail de Sportès, on peut saluer lenquête impartiale, conduite sur un rythme quasi documentaire (Dailleurs on sétonne de la désignation «roman» portée sur la couverture.), ce qui ne dénature pas le tableau dressé de ces années de gauchisme violent. Si lon divague parfois devant tant dinformations, parfois non pertinentes, on revit avec intérêt ces années où régnait aussi une sorte de chaos social intégré dans une France assez prospère dun point de vue économique et social. Et après tout ce tapage, on revient au silence et à loubli, lorsque lécrivain, 35 ans jour pour jour après lassassinat dOverney, se rend sur la tombe du syndicaliste, au Père-Lachaise, et quil ne voit personne venu saluer la mémoire du martyr.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 14/04/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Dernière Génération d'octobre de Benjamin Stora | | |