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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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Du palais royal à la prison d’État, de la caserne militaire au palais de la mémoire | | | Luce Gaume Emmanuel Pénicaut Collectif Le Château de Vincennes - Une histoire militaire Ed. Nicolas Chaudun Service historique de la Défense 2008 / 35 € - 229.25 ffr. / 254 pages ISBN : 978-2-350-39059-8 FORMAT : 22cm x 28cm
L'auteur du compte rendu : Diplômé de l'Ecole nationale des chartes et de l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, Rémi Mathis est conservateur, responsable de la bibliothèque de sciences humaines et sociales Paris-Descartes-CNRS. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne à l'université Paris-Sorbonne sous la direction de Lucien Bély. Imprimer
Quaurait dit Saint-Louis, quaurait dit Louis XIV, si on leur avait annoncé que leur palais royal serait appelé à être habité détranges personnages passant une partie de leur journée le nez dans des papiers plus ou moins anciens et plus ou moins propres, le reste à renseigner chercheurs professionnels ou amateurs ? Que la Cour laisserait la place à la drôle de race des archivistes, parfois même horresco referens des chartistes !? Et pourtant, la résidence royale située aux portes de Paris, en bordure de la forêt de Vincennes, est désormais le siège du Service historique de la Défense.
Ce nest là que le dernier avatar dune résidence capétienne qui a connu bien des vicissitudes et dont la vocation militaire apparaît finalement très tôt. En effet, si Louis VII passe épisodiquement dans le manoir quil y a fondé et que Saint Louis en fait sa seconde résidence parisienne, le palais est assez rapidement abandonné par les rois et ses hautes murailles ne servent que de refuge lors des périodes de trouble (Guerre de Cent ans, minorité de Louis XIV
). Certes, le Roi Soleil pense à un moment à en faire une résidence permanente cest à Vincennes que meurt Mazarin et sont alors construits les pavillons du roi et de la reine mais le donjon sert déjà depuis longtemps de prison ; quant au château lui-même, son usage nest guère évident avant la fin du XVIIIe siècle.
Louis XVI le retire de la liste des résidences royales et, dès la fin de lAncien Régime, son donjon naccueille plus aucun prisonnier. Après être passé à deux doigts de la destruction sous la Révolution, les forces armées sy installent rapidement : si Napoléon ne réalise pas le projet de réaménagement qui lui était proposé, cest sous son règne que lartillerie sinstalle dans le château, pour plus dun siècle. Des nouveaux bâtiments sont construits à lintérieur de lenceinte au cours du XIXe siècle essentiellement sous la Monarchie de Juillet. Son rôle de prison dÉtat nest cependant pas abandonné puisquen 1848 encore, Barbès, Blanqui et Raspail y sont transférés après les manifestations du 15 mai. Vincennes, qui a longtemps été en pleine campagne, ne se limite cependant pas aux murailles du château : au début de la décennie 1840, une «annexe» au château, le Fort Neuf, est construite dans le cadre du grand projet de mise en défense de la capitale. Devenu arsenal et siège de garnisons, Vincennes polarise autant son environnement que quand il s'agissait d'une résidence royale. Combien de Parisiens sont conscients quil y a cinquante ans à peine, le bois de Vincennes était encore partiellement terrain militaire ? Combien ont fait leurs «trois jours» au Fort neuf ?
Dans une seconde partie de louvrage, les auteurs montrent le rôle qua joué Vincennes dans le développement de la science militaire : alors que le château accueille à plusieurs reprises des écoles de commandement, bien des innovations dans le domaine de lartillerie y voient le jour. Quand Louis XV décide de créer lÉcole militaire en 1751, cest bien à Vincennes que sinstallent les élèves en attendant que les célèbres bâtiments de la plaine de Grenelle soient achevés. À deux reprises au XVIIIe siècle, des ateliers sinstallent au château, chargés de létude et de la fabrication de fusils innovants et plus efficaces. Devenu arsenal, Vincennes est encore un important centre dinnovation de lartillerie pendant la première moitié du siècle suivant. C'est également un des lieux originels de laéronautique militaire, en raison de lintérêt des artilleurs pour ces nouveaux engins et de la double commodité du donjon (comme point de repère) et du «polygone» (comme aire datterrissage) : alors que le dirigeable est progressivement abandonné au profit de lavion, Vincennes reçoit en 1909 le service de laviation militaire. Par-delà les tensions avec le Génie, également intéressé, cest à Vincennes que sont expérimentées de nombreuses solutions techniques et stratégiques : si le service disparaît pendant la Grande Guerre, le travail du service du commandant Estienne a une influence directe sur les succès aériens français. Le château retrouve sa fonction denseignement dès 1855 : avec le développement de larmée et surtout la militarisation des services annexes tels que ceux de lintendance, de nouvelles formations devenaient nécessaires, en particulier pour le nouveau corps des officiers dadministration. Sous le Second Empire, des cours sont prodigués à Vincennes puis en 1875 est créée une véritable École militaire dadministration qui forme sous différentes modalités des personnels à des spécialités de plus en plus diversifiées. Si elle quitte Vincennes à loccasion de la Seconde Guerre mondiale, cette école existe encore sous le nom dEMSAM, à Montpellier.
Enfin, une troisième partie tente de remettre le château de Vincennes dans un plus large contexte en zoomant sur quelques épisodes majeurs de lhistoire de France. Deux personnages, aussi romanesques que légendaires, sont fusillés au château à un siècle décart. Lespionne Mata-Hari est passée par les armes en 1917. En 1804, le duc dEnghien est assassiné sur lordre de Bonaparte. Persuadé dun complot visant à restaurer la monarchie, le Premier Consul fait enlever à létranger et sommairement exécuter dans les fossés du château le jeune prince. Par ce coup de force, Bonaparte terrifie les nobles rentrés démigration, décapite le parti royaliste et, partant, prépare linstauration de lEmpire. Encore plus romanesque et floue est la figure du général Daumesnil, gouverneur de la place en 1815, qui résiste héroïquement à linvasion des Alliés et fait figure de héros français aujourdhui un peu oublié.
Au milieu de tous ces hauts faits darmes, cest finalement bien tardivement que lon se rappelle que Vincennes était une résidence royale avant dêtre un fort militaire. Sociétés damis, associations soulignent le paradoxe quil y a à installer les soldats dans des bâtiments inadaptés, quils endommagent, et font pression pour que le château soit ouvert à la visite et mis en valeur. La victoire arrive en 1920 quand le donjon, la chapelle et le pavillon de la Reine passent au ministère de lInstruction publique qui y installe les Bibliothèque et musée de la Guerre. Lorganisation de lExposition coloniale de 1931, à proximité, permet daccélérer la mise en valeur, poursuivie après les destructions de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, la bibliothèque devenue BDIC en 1925 est déménagée à Nanterre en 1970 et le musée aux Invalides, en 1973. Car larmée a un nouveau projet : limplantation de son service historique tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, aboutissant, de concentration en réorganisation, à la fondation du Service historique de la Défense (interarmes) en 2005.
Rédigé par de très bons spécialistes des matières traitées, co-édité par le Service historique de la Défense, cet ouvrage, informé aux meilleures sources archivistiques et documentaires, est dune grande valeur scientifique. Il vient combler un vide historiographique étrange : alors que limposante figure du donjon de Vincennes est connue de tous les Parisiens, lhistoire du château était jusquici très méconnue. Particulièrement son histoire récente, qui devait être réévaluée auprès du brillant des épisodes de Saint-Louis, de Charles V ou de Mazarin. Il permet enfin de confronter les textes avec une riche iconographie, la plupart du temps inédite, elle-même souvent issue des archives de lArmée, dont la valeur documentaire nenlève rien à la beauté des planches anciennes.
Ainsi, bien au-delà des passionnés de militaria ou dhistoire locale, ce bel et intéressant livre comblera à la fois un public exigeant et un vide de nos connaissances.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 02/12/2008 ) Imprimer | | |
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