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L’amour des vieilles pierres, ou la perpétuation du beau | | | Alexandre Gady Les Hôtels particuliers de Paris - Du Moyen-âge à la belle époque Parigramme 2008 / 49 € - 320.95 ffr. / 327 pages ISBN : 978-2-84096-213-7 FORMAT : 26cm x 32cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban: l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.). Imprimer
Lhôtel particulier parisien est une sujet dapparence classique, mais qui navait jamais été traité jusquici en tant que tel. De nombreux articles et de multiples plaquettes écrivent lhistoire de telle ou telle demeure ; plusieurs architectes ayant principalement uvré à Paris ont fait lobjet de monographies ; un genre spécial est celui dit de la «topographie parisienne», où létude dun quartier allie histoire de larchitecture, histoire politique, économique, culturelle et sociale. Les vues densemble sont beaucoup plus rares : on peut citer les livres de Jean-Pierre Babelon sur la demeure parisienne à Paris sous Henri IV et Louis XIII, de Michel Le Moël sur larchitecture privée à Paris au Grand Siècle, de Michel Gallet sur le XVIIIe siècle ou de Gérard Rousset-Charny sur les hôtels de la Belle Époque.
Par rapport à ces travaux, Alexandre Gady innove à un double titre. De lanalyse de cas, il passe à la synthèse. Du temps court ou du moyen terme dun règne ou dun siècle, il passe à une longue durée qui embrasse Moyen Age, période moderne et époque contemporaine. Au récit chronologique et à la succession de notices, il substitue une étude fortement charpentée, qui permet daccéder aux idées générales. Le propos part dune définition de lhôtel, qui le différencie tout à la fois de la maison et du palais, se poursuit par une étude des relations entre ville et hôtels, pour aboutir à un examen méthodique de lorganisation, de la distribution, de larchitecture et du décor.
Par rapport au palazzo italien, lhôtel parisien peut se comprendre comme un type intermédiaire, à la silhouette floue. Création urbaine, il entretient des relations étroites avec le château rural et la maison de plaisance. Établi «entre cour et jardin», il se tient le plus souvent en retrait de la ville et de la rue et cultive le souvenir de la campagne. Manifestation de supériorité sociale, il fait preuve pourtant dune certaine retenue. Sur la longue durée, le «style sévère» a plus damateurs que le «style orné». A de rares exceptions près, les architectes restent fidèle à la grande idée de la convenance, qui veut, suivant la formule de Vauban, que «la cage soit proportionnée à loiseau» : la demeure dun particulier nest pas le palais dun souverain. De beaux développements mettent en évidence ce balancement entre désir daffirmation et souci de discrétion : telles sont les sections consacrées au portail (pp.91-98), aux ordres (pp.114-115), à lescalier (pp.136-149).
Après avoir présenté succinctement une trentaine dhôtels parmi les plus célèbres, lauteur conclut en évoquant la destinée des hôtels particuliers après quils sont sortis des mains de leurs premiers propriétaires : destructions, restaurations, reconversions sont autant doccasions pour Alexandre Gady de faire montre dune verve souvent ironique. Cest le moment de rappeler que les hôtels de Paris constituent un patrimoine fragile, perpétuellement menacé par la spéculation et le mauvais goût, et qui réclame dardents défenseurs.
Dans sa postface, lauteur évoque avec modestie «des pages quon peut lire ou seulement regarder», et il est vrai que lillustration du volume est dune qualité tout à fait exceptionnelle. On y retrouve tout dabord un riche dossier de plans anciens, de dessins, de tableaux, délévations et de photographies anciennes, qui témoignent de la familiarité dA. Gady avec les livres darchitecture dAncien Régime comme avec les sources imprimées et manuscrites. Mais liconographie se distingue surtout par la beauté des clichés contemporains, qui montrent les hôtels dans leur état daujourdhui. Limage est nette, lumineuse, exempte de prétention, la pierre blonde chante sous le soleil. Tout est fait pour inviter le lecteur à se faire promeneur et amateur de vieilles pierres.
Comme toute synthèse, le livre dAlexandre Gady est tributaire des travaux qui lont précédé. Cest dire que les différents quartiers de Paris sont inégalement représentés dans son discours. Le Marais, auquel lauteur a consacré nombre de livres et détudes spéciales, est particulièrement bien traité. Le faubourg Saint-Germain, qui na plus suscité de monographie depuis une vingtaine dannées, est un peu en retrait. Lattention se porte plus volontiers sur les joyaux de larchitecture française hôtels de Cluny, Carnavalet, de Sully, Lambert, de Beauvais, de Soubise, dÉvreux, de Matignon, de Biron, Palais-Rose, hôtel de Camondo que sur des édifices plus ordinaires. Au-delà de ces célébrités, lhistorien de la société voudrait voir lhôtel-type de chaque génération, lhôtel «moyen», si tant est que ce type existe.
Le but de louvrage nen est pas moins atteint. Pour la première fois, se trouve réunie une somme dinformation et danalyses qui permet de replacer tel ou tel hôtel particulier de Paris dans une typologie et dans une généalogie. A lavenir, les jeunes historiens qui viendront combler les lacunes encore nombreuses de lhistoire de larchitecture parisienne devront se confronter au «Gady». Ils y apprendront que cet objet détude nest pas purement académique, quil est inséparable de lamour du beau et du combat pour sa perpétuation.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 09/12/2008 ) Imprimer
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