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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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L’histoire d’un instinct problématique | | | Agnès Walch Histoire de l'adultère - (XVIe-XIXe siècle) Perrin - Pour l'Histoire 2009 / 23,50 € - 153.93 ffr. / 404 pages ISBN : 978-2-262-02430-7 FORMAT : 15,5cm x 24cm
L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de lInstitut dEtudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, aux éditions du Cygne, de La Nudité : pratiques et significations (2008). Imprimer
On le sait depuis au moins les travaux de la psychologie évolutionniste popularisés par Helen Fisher, linfidélité conjugale se constate depuis toujours, dans toutes les sociétés humaines. Peut-être liée aux diktats de nos gènes, dont lintérêt à se reproduire requiert à la fois une stabilité du couple, et la rencontre de «nouveaux visages», ce besoin universel joue avec les institutions, et constitue, de par les passions quil suscite (rêve, culpabilité, jalousie, soif de vengeance) et la progéniture au statut indéterminé quil engendre, une source danomie préjudiciable à léquilibre social. Les systèmes institutionnels oscillent dans leur représentation de ce phénomène et dans les stratégies de régulation, entre répression et permissivité.
Dans son dernier ouvrage, lhistorienne Agnès Walch nous offre un tableau riche et suggestif de lévolution de ladultère en France de la fin du Moyen-Âge au 19ème siècle. Un des mérites du livre est de décrire par le menu le positionnement de grands mouvements philosophiques ou littéraires qui structuraient le point de vue des lettrés à propos du mariage : par exemple lamour courtois, quAgnès Walch analyse très justement comme une sorte de rituel initiatique pour les jeunes chevaliers célibataires, et qui implique, de facto, une tolérance pour le penchant adultérin de la Dame marié. On peut aussi relever les pages lumineuses que lhistorienne consacre à la monarchie absolue et à la diffusion du libertinage dans laristocratie française. Loin des idéalisations rétrospectives de notre époque, Agnès Walch fait sentir combien le déchaînement des passions amoureuses au sommet de lEtat (dabord celles du roi, puis de ses courtisans par effet dimitation), en partie sous linfluence du mouvement littéraire libertin (que lhistorienne aurait peut-être dû analyser en tant que tel), finit par mettre en danger les fondements même de la société tout entière et, pour cette raison, suscitait une angoisse profonde des classes inférieures (ce qui éclaire a posteriori le sort réservé entre autres à Marie-Antoinette), y compris dans la bourgeoisie
avant que celle-ci nen perpétue la pratique au 19ème siècle (et fasse de la femme adultère lhéroïne par excellence de ses romans).
Par-delà la culture lettrée, lauteure plonge aussi dans les archives judiciaires pour exhumer ce que pouvait être linfidélité conjugale dans les classes populaires, et ses conséquences. On décèle dans ces atmosphères qui évoquent tantôt le Décaméron de Boccace, tantôt Le Rouge et le Noir de Stendhal, à chaque fois le danger que ladultère fait peser sur les transmissions de patrimoine, et sur la survie sociale des acteurs (spécialement des femmes, «propriété» du mari trompé, mais aussi de lamant fautif, surtout si son statut social est inférieur à celui de ce dernier).
Ce livre très documenté est écrit avec une plume alerte, parfois humoristique. On perçoit dans ce travail un réel plaisir décriture, et une gourmandise de la connaissance qui explore dune manière très approfondie les situations relatées. Son attention portée au détail permet de catégoriser dune manière fine les comportements possibles (par exemple quand elle répertorie les degrés de cruauté des vengeances des maris trompés au 16ème siècle, ou les divers avantages politiques que Louis XIV tire à multiplier ses maîtresses à Versailles). Certaines des remarques dAgnès Walch (en particulier sur la gravité de ladultère entre classes sociales différentes) rejoignent des observations déjà faites par des historiens sur dautres époques, lAntiquité notamment, et pourraient entrer dans une anthropologie de la sexualité de notre espèce sur 200 000 ans.
Bien sûr il y a une évolution : à mesure que le mariage est de plus en plus conçu comme un espace dépanouissement des sentiments et où la liberté de choix des femmes est de plus en plus valorisée, ladultère cesse dêtre un crime, et le regard social posé sur lui évolue, mais lauteure doit bien en convenir dans sa conclusion qui nous conduit jusquau début du 21ème siècle limpact affectif de cette pratique reste grosso modo identique dun siècle à lautre, trace dune aporie fondamentale qui sous-tend toute léconomie relationnelle de lhomo sapiens.
Christophe Colera ( Mis en ligne le 31/03/2009 ) Imprimer | | |
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