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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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Des intérêts asymétriques | | | Jean-François Solnon Le Turban et la stambouline - L'Empire ottoman et l'Europe. XVIe-XXe siècle. Affrontement et fascination réciproques Perrin 2009 / 26.50 € - 173.58 ffr. / 626 pages ISBN : 978-2-262-03039-1 FORMAT : 15,5cm x 24cm
Les auteurs du compte rendu :
Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.).
Jean-Pierre Sarmant est inspecteur général honoraire de lÉducation nationale. Imprimer
Lhistoire commune de la Turquie et de lEurope souvre en 1345 quand les Turcs franchissent les détroits, un demi-siècle seulement après la fondation de lÉtat ottoman et plus dun siècle avant la conquête de Constantinople. De ce siège à ceux de Vienne, de la bataille de Lépante à celles de Navarin et des Dardanelles, cette histoire est jalonnée de conflits sanglants qui sont à lorigine dune vision européenne des Turcs souvent sommaire. Celle-ci sexprime dabord par des stéréotypes négatifs, du Quel Turc est-ce là ? à la «tête de Turc» et aux «toilettes à la turque». A cette vision négative vient se superposer celle dune Turquie fantasmée à travers les opéras, les scènes de harem et les turqueries diverses.
Bien entendu, les rapports entre lEurope et lempire ottoman ne se sont pas réduites à une suite daffrontements, et Jean-François Solnon a entrepris de sattacher pour lessentiel à laspect pacifique de ces relations. A la différence du Japon davant lère Meiji, lEmpire ottoman na jamais été isolé et ses échanges ont joué un rôle capital dans son évolution. Lauteur présente ainsi un tableau très complet des contacts qui, même aux moments les plus tendus, ont été maintenus entre lEmpire ottoman et lEurope. On suit les mouvements des diplomates, des marchands et des voyageurs, plus tard des étudiants et des conseillers ; on sintéresse aux influences réciproques, dans les domaines de la littérature, de la musique, de la sculpture, de la peinture, plus tard dans ceux de la photographie et du cinéma. Lauteur entrelace habilement description thématique et récit chronologique. Sans que louvrage se prétende une histoire exhaustive de lEmpire ottoman, les jalons essentiels sont présentés de façon claire.
Le qualificatif de «réciproque» utilisé dans le sous-titre pourrait laisser supposer une symétrie dans les échanges. Ce qui frappe à la lecture du livre est au contraire labsence de celle-ci. Depuis lépoque où François Ier fonde au Collège de France des chaires de langues orientales, lintérêt scientifique ou économique de lEurope pour lEmpire ottoman est constant. En face, jusquen plein XVIIIe siècle, lintérêt porté par les Ottomans à un monde chrétien méprisé et réprouvé est pratiquement nul. Pas de voyageurs turcs pour décrire lEurope, pas dambassades permanentes, pratiquement pas de commerçants turcs établis en Occident. Lauteur cite un exemple qui illustre à quel point lempire a payé cher lignorance dans laquelle il sétait ainsi enfoncé : en 1770, une escadre russe, parvenue en mer Egée, à lissue dun long périple depuis la Baltique, surprend la flotte turque et lanéantit ; la diplomatie ottomane adresse une protestation à Venise, quelle croit proche de la Russie, en lui reprochant de ne pas avoir intercepté les vaisseaux russes.
Lintérêt des Turcs pour lEurope naît des défaites que cette dernière parvient à leur infliger. Il commence timidement, à partir du reflux de la marée ottomane qui suit léchec du second siège de Vienne (1683). Il croît tout au long du XIXe siècle et conduit aux réformes du Tanzimat (réorganisation), puis à celles des Jeunes Turcs. Cet intérêt prend les dimensions dune véritable fureur dimitation de lEurope avec la construction de lEtat moderne par la main de fer dAtatürk. A propos de luvre de ce dernier, lauteur entend rectifier des jugements qui lui semblent trop tranchés. Pour lui, la fascination exercée par cette figure dexception a par trop éclipsé le souvenir des réformateurs du XIXe siècle. Atatürk est le prolongateur dun chemin déjà ouvert. Il a amplifié et, grâce à son implacable énergie, fait triompher le programme de ses prédécesseurs.
En de nombreux points, lauteur sefforce de nuancer des appréciations répandues. Ainsi de lattitude des Ottomans à légard de leurs minorités religieuses. Celle-ci est souvent décrite en termes flatteurs. Il est vrai que, pour le XVIe siècle, la garantie dune vie paisible et la liberté dexercice de sa religion sont des conditions appréciables, comme en témoigne lexode vers lEmpire ottoman dun bon nombre des juifs chassés dEspagne. Pour lauteur, lattitude des Ottomans mérite bien le nom de tolérance, mais seulement dans la mesure où les non-musulmans sont tolérés. Leur statut est clairement celui dune «infériorité surveillée» : un chrétien ou un juif, reconnaissables dans lespace public par leur habillement spécifique, nont pas le droit de monter un cheval, ils doivent se lever à lentrée dun musulman et lui laisser le passage.
Cet ouvrage dune information très riche, égayé par des anecdotes pittoresques et par le récit de destins individuels, est dune lecture agréable. Il peut tenter un vaste public à un moment où, à loccasion du choix par le Parlement européen dIstanbul comme «capitale de la culture européenne 2010», le désir dEurope de la Turquie est plus que jamais dactualité.
Jean-Pierre et Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 15/09/2009 ) Imprimer
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