| Matteo Vercelloni Virgilio Vercelloni Paola Gallo L’Invention du jardin occidental Rouergue 2009 / 45 € - 294.75 ffr. / 275 pages ISBN : 978-2-8126-0047-0 FORMAT : 25cm x 30,7cm
Traduction de Sylvie Girard-Lagorce. Imprimer
Un livre à la fois beau et intelligent pour parler dune des dernières passions «tendance» : celle des jardins. Virgilio Vercelloni (1930-1995), architecte, paysagiste, urbaniste, a aussi été un des grands historiens de larchitecture et de lurbanisme, et ses travaux sur lhistoire du jardin font autorité. Il avait publié en 1990 un ouvrage qui est en partie repris ici ; architecte également, Matteo Vercelloni a complété le texte, qui a été réorganisé par Paola Gallo. Des notes, bibliographie, index permettent daller plus loin. Une belle iconographie (dessins, gravures, tableaux, plans, photographies
) accompagne lensemble qui fait aussi de cet ouvrage un «beau» livre. Il serait pourtant dommage de sen tenir au seul plaisir esthétique tant le texte est intéressant.
Les auteurs reprennent en dix chapitres lhistoire du jardin en Occident, de son invention, du jardin «monde clos», image du paradis, au jardin du XXIe siècle, figure désormais obligée de lurbanisme contemporain. Il sagit du jardin en tant quespace public et non dune histoire du jardin privé. À la lecture, on mesure à quel point le jardin est un lieu symbolique et protecteur. Lieu «clos», plus ou moins organisé selon les époques, image civilisée dune nature toujours domestiquée. Les sociétés occidentales ont précocement rêvé de jardins, on en retrouve lesprit dans larbre Yggdrasil des légendes scandinaves, et davantage encore dans le Paradis terrestre, souvenir lointain des jardins orientaux. La civilisation hellénistique réalise de superbes jardins dont lart se transmet à Rome. Lenclos initial du jardin médiéval, quil soit monastique et espace de méditation, de simple jardin à vocation médicinale ou lieu de culture courtoise, propre à la rencontre des amants dans un jeu codifié, souvre au fil des siècles au paysage.
À la Renaissance, le jardin devient un élément essentiel de larchitecture, prolongement du palais, comme le notent les traités contemporains, et au premier rang Léon Batista Alberti (1452). Bramante en 1503-1504 construit les jardins du Belvédère dans le palais pontifical du Vatican. Commence un âge dor du jardin, lieu de merveilles, de bizarreries, de grottes et de grotesques, de labyrinthes, avec ses architectures végétales, lart de la topiaire, les surprises ménagées au promeneur, une esthétique de la ruine qui sera largement reprise et développée dans les jardins-paysages romantiques. On voit apparaître en Angleterre le «gardner», jardinier amateur dont le travail justifie le résultat obtenu qui relève du plaisir dans une Angleterre puritaine qui réprouve loisiveté.
Des illustrations dressent un portrait idéal de propriétés où le jardin, partagé en verger, potager et lieu de loisirs, permet lautarcie. Les XVIe et XVIIe siècles sont aussi ceux du développement de lhorticulture, stimulée par les découvertes scientifiques, les voyages au long cours, lintroduction de variétés exotiques. Huguenots exilés après la révocation de lédit de Nantes (1685), Salomon de Caus et son parent Isaac multiplient les machines hydrauliques, renouent avec la tradition des automates dans les somptueux jardins quils conçoivent en Angleterre et en Hollande. LItalie reste fidèle à la tradition des jardins étonnants, à Bormazo comme dans lîle dIsola Madre, et ce serait dun voyage en Italie quune Anglaise aurait ramené, en 1840, un nain de jardin quelle installa dans le sien, ouvrant ainsi la voie à une longue tradition qui abandonna très vite son origine aristocratique pour rencontrer un indéniable succès populaire.
Pas de palais digne de son nom sans jardin superbe, et Louis XIV, qui confie à Le Nôtre la réalisation de Versailles, rédige une Manière de montrer les jardins de Versailles (3 rédactions : 1689, 1691 et 1695), qui illustre à quel point le jardin est un espace de découvertes, un parcours culturel. Les traités savants se multiplient, édités dans toute lEurope des XVIIe et XVIIIe siècles, et créent des modèles et des modes. Au XVIIIe s., les paysagistes anglais réintroduisent la nature au milieu de paysages construits dans lesquels on érige des ruines esthétiques, des «fabriques», des chinoiseries et autres tours
Jamais sans doute architecture et nature nont été à ce point imbriquées. Les fleurs pour elles-mêmes font une entrée tardive dans cet univers végétal - les roses de Redouté (début du XIXe s.) - avant que lon ne savise que le jardin peut être aussi habillé de couleurs éclatantes, rêve quaccomplit Monet à Giverny au début du XXe siècle.
Siècle de lurbanisation, le XIXe siècle associe étroitement le jardin/parc/espace public au paysage de pierre : à Paris, à New York, etc. Dans toutes les métropoles occidentales, les paysagistes accompagnent les urbanistes. Les réformateurs sociaux ont rêvé de «villes-jardins». Espace aristocratique à ses origines, le jardin «sembourgeoise», se démocratise, est ouvert désormais à tous. Ce mouvement saccentue au XXe siècle, et au début du XXIe ; louvrage fait alors une large place aux réalisations parisiennes dans ce domaine : jardin Citroën, jardins de Bercy, espace de la Bibliothèque François Mitterrand avec sa forêt interdite
Un très beau livre qui peut (et qui doit) toucher un vaste public : celui des amateurs de jardins en premier lieu mais également les amateurs dhistoire et durbanisme.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 12/01/2010 ) Imprimer | | |