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La question de la taille…
Jared Diamond   Le Monde jusqu'à hier - Ce que nous apprennent les sociétés traditionnelles
Gallimard - Folio essais 2013 /  10,20 € - 66.81 ffr. / 768 pages
ISBN : 978-2-07-046259-9
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication française en octobre 2013 (Gallimard - NRF Essais)

Jean-François Sené (Traducteur)

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

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Géographe à l’université de Californie, mais également historien, ethnologue et même ornithologue, Jared Diamond fait partie de ces auteurs rares dont on peut dire qu’ils sont des honnêtes hommes à la mode des Lumières, dont les talents variés nourrissent la curiosité ample et la plume féconde. Après quelques maîtres ouvrages sur les rapports entre les sociétés (De l’inégalité parmi les sociétés, Gallimard, 2007), sur la disparition des civilisations (Effondrement, Gallimard, 2009), etc., le voilà revenu aux «peuples premiers» (… comme il y a des arts premiers), avec un projet singulier : les comparer à nos sociétés «modernes», surpeuplées, organisées, consommatrices et technophiles.

En effet, partant d’une halte dans un aéroport guinéen, l’auteur observe, en historien, l’accélération du temps pour ces sociétés, «découvertes» dans les années trente et passées, en l’espace d’une ou deux générations, de sociétés tribales, figées à l’âge de pierre, à des sociétés connectées. Cette transition accélérée, brutale même, vers ce que nous appelons la modernité, incite à jeter un regard non pas méprisant, mais curieux, sur ce «monde d’hier», pour mettre en parallèle les us, valeurs, coutumes et modes de vie d’une communauté minuscule - une tribu (de la dizaine à la centaine d’individus) – avec ceux d’un Etat avancé comme les Etats-Unis, en se demandant, peut-être, ce que les uns auraient à apprendre des autres.

Passé un prologue assez indigeste, où l’auteur présente, peut-être avec des excès de précautions, son projet, en distinguant et en analysant les diverses tailles de sociétés humaines (de la tribu à l’Etat, en passant par le clan et la chefferie), la comparaison se met en place, selon la méthode Diamond, c’est-à-dire une réflexion articulée comme un récit. Bon connaisseur de la Nouvelle Guinée – arpentée dans les années soixante pour des recherches ornithologiques -, Jared Diamond part de sa propre expérience de jeune chercheur, de ses rencontres, des anecdotes qu’il a pu glaner ça et là, pour illustrer son propos. Bien sûr, il ne limite pas ses exemples aux seules tribus néo-guinéennes et puise, dans une abondante littérature mondiale, ethnologique et scientifique, des exemples et des contrepoints qui tissent, hors de toute limite géographique, un modèle global, et tribal.

Passant des tribus inuits aux Nuer du Soudan, circulant entre les continents pour observer, par chercheurs interposés, les groupes humains les plus réduits et les plus traditionnels, l’auteur nous entraîne dans une immense réflexion qui brasse les ethnies, les cultures, les contextes, les pratiques. 39 tribus sont ainsi passées au crible de diverses interrogations, dans 11 chapitres classés par thèmes. Les thèmes abordés sont ceux qui structurent toute société humaine : la notion de territoire et de propriété, le règlement des conflits – individuels ou communautaires (jusqu’à la guerre) -, la gestion des jeunes et les vieux, les menaces, les modes de consommation, le sacré ou la question des langues et plus largement, les échanges.

Chaque chapitre se présente de manière identique : l’auteur, exploitant une anecdote, développe un problème qui – hormis la question d’échelle – s’applique tout autant dans une société tribale que dans un Etat moderne. A partir de là, il observe dans chaque cas (et souvent selon les diverses coutumes) les formes de résolution du problème, pour aboutir à une réflexion, comparatiste, sur les modes d’appréhension, les valeurs des deux types de sociétés. Un premier constat s’impose toutefois : il ne s’agit ni d’une apologie de «la vie sauvage», ni inversement d’une ode à la modernité (et la conclusion, en forme de bilan, prend bien soin de distinguer les bienfaits des deux mondes).

L’auteur propose un regard nuancé, en fonction de la diversité des sociétés dites primitives comme des enjeux de chaque situation. Il s’ensuit donc un autre constat tout aussi important : ce «monde d’hier» n’est pas le meilleur des mondes, il a ses vertus et ses drames. Quelques points sautent littéralement aux yeux du lecteur, tel le contraste entre l’importance majeure de la communauté, l’entraide entre générations et le peu de valeur de la vie intrinsèquement. De là le recours presque automatique à la violence en cas de conflit avec, en perspective, un rituel de compensation ou une guerre de représailles. Les notions de loi, de code moral ou d’interdit religieux sont également relues et envisagées à l’aune de ce questionnement. Plus déconcertante est cette «paranoïa constructive» évoquée par l’auteur, qui fait de chaque étranger une menace et impose de vivre à l’abri des liens interpersonnels tissés par la tribu (ou entre tribus), quand la vie moderne combine liberté, solitude et risque flou. Enfin, le rapport à l’environnement – menaçant et nécessaire – est également au cœur de l’ouvrage et dicte, davantage que dans nos sociétés, les attitudes.

Jared Diamond a les qualités de ses défauts (et inversement) : pédagogue habile doublé d’un conteur enthousiaste (qui esquisse ici, dans une certaine mesure, son autoportrait en chercheur confronté, tout jeune, à une révélation, celle des sociétés dites primitives), il peut être passionnant mais parfois aussi verbeux et inutilement professoral. L’ouvrage se lit donc avec un mélange de curiosité, d’enthousiasme et d’agacement, face à des paragraphes parfois oubliables. On y retrouve le charme de Tristes tropiques et les pesanteurs d’une démonstration universitaire. Une ode à la complexité toutefois nécessaire, tant l’auteur n’aborde pas ce monde d’hier de manière naïvement uniforme et fascinée. Si les tribus néo-guinéennes se taillent, logiquement, la part du lion, l’ampleur des points de vue et leur diversité laissent le lecteur dans une impression de richesse, comparable à une visite au Musée des Arts premiers…

Surtout, on retrouve l’élan des ouvrages précédents de Jared Diamond, avec ce supplément d’âme que constituent les souvenirs personnels, émotions et sentiments que l’auteur, désormais savant et reconnu, partage avec son lecteur.

Une belle lecture donc.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 27/01/2015 )
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A lire également sur parutions.com:
  • De l'inégalité parmi les sociétés
       de Jared Diamond
  • Effondrement
       de Jared Diamond
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