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''Un mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre''
Gilbert Buti   Colère de Dieu, mémoire des hommes - La peste en Provence. 1720-2020
Cerf 2020 /  22 € - 144.1 ffr. / 309 pages
ISBN : 978-2-204-14082-9
FORMAT : 14,0 cm × 21,5 cm
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Point n’est besoin de Didier Raoult : de longue date, en France, qui dit épidémie pense Marseille. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la ville fit fonction de capitale française excentrée de la peste et de la protection sanitaire du territoire. Il est vrai qu’elle en était également la porte d’entrée ordinaire du fait de sa position géographique et de ses activités commerciales avec le Levant où le mal sévissait à l’état endémique. En proie à la concurrence des places italiennes, la ville avait en 1347 commis l’erreur d’accueillir des galères génoises repoussées de Livourne et de Gênes, et importé du même coup l’épidémie. Depuis lors, de 1347 à 1670, on assiste à une suite quasi-ininterrompue d’épisodes épidémiques discontinus, avant l’épidémie isolée de Marseille en 1720, où il se pourrait que le bacille demeuré dans la place ait brusquement ressurgi.

Pour toutes ces raisons, si nul n’ignore le rôle commercial de la cité phocéenne, on doit aussitôt ajouter qu’il se doublait d’un rôle sanitaire éminent, passant par des institutions spécifiques et permanentes, et que c’est même un monopole sanitaire qui y a précédé le monopole commercial accordé à la ville. En effet, les relations commerciales entre la France et les Échelles du Levant lui avaient permis de connaître, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, une grande prospérité et, au XVIIe siècle, c’est à Colbert que l’on a dû la volonté de promouvoir ce commerce du Levant qui, après avoir été le domaine d’élection des Provençaux, était passé aux mains des Anglais et des Hollandais. Pour ranimer ce négoce, un édit de mars 1669 prévoyait la quasi-suppression des taxes pesant sur lui, mais établissait un droit de 20% sur les marchandises du Levant apportées à Marseille par des bâtiments étrangers, ou ayant été préalablement entreposées en Italie. Ce droit s’appliquait également à toutes les denrées du Levant entrant en France en Méditerranée par un autre port que Marseille et, pour la côte du Ponant, Rouen. On assiste au développement d’un système bien particulier combinant la réglementation étatique avec les privilèges commerciaux, dans un cadre «mercantiliste» cherchant à substituer les biens produits à l’intérieur des frontières de l’État à ceux produits à l’étranger, afin d’augmenter les revenus fiscaux et de maintenir une balance commerciale positive. Mais ce négoce fructueux était aussi dangereux.

C’est pourquoi le rôle commercial de la cité phocéenne se doublait d’un rôle sanitaire éminent, incarné par des institutions spécifiques et permanentes dont on trouve des mentions dès le XVe siècle dans les villes-états italiennes. Marseille partageait avec Toulon un monopole sanitaire reposant sur l’application des procédures strictes sous la direction d’un Bureau de la santé, institution en charge du contrôle des entrées dans le port et des quarantaines effectuées dans un lazaret extérieur à la ville. En 1768, le duc de Praslin, secrétaire d’État de la marine, rendait hommage à cette organisation en ces termes : «Il serait à souhaiter, pour la communication des nations entre elles, ainsy que pour le bien de l’humanité et des navigateurs, que tous les lazarets de la Méditerranée fussent assimilés à celuy de Marseille, et mieux s’il étoit possible».

Et pourtant le système avait bien failli quelques décennies plus tôt, puisque la dernière grande épidémie qui a massivement frappé la France fut la peste de Marseille, qui débuta en juin 1720 pour s’achever véritablement au début de 1724. Le retentissement de l’événement fut immense et, il donna matière à une immense bibliographie, à laquelle l’actuel tricentenaire apporte son lot d’actualités. Mais on ne saurait évoquer le sujet sans rendre un hommage appuyé à l’ouvrage publié en 1968 par Charles Carrière, Marcel Courdurié et Ferréol Rebuffat, équipe d’historiens marseillais qui, sous le titre devenu célèbre Marseille, ville morte. La peste de 1720, en ont donné un récit dont la puissance d’évocation reste inégalée, implacablement rythmé par les progrès d’une mortalité qui élimina la moitié (environ 40 000) des habitants de la cité. C’est aussi l’occasion de rappeler ce modèle d’histoire économique et sociale qu’est toujours la thèse de Charles Carrière, Négociants marseillais au XVIIIe siècle, Contribution à l'étude des économies maritimes (Marseille, Institut historique de Provence, 1973, 2 vol.). Autant dire que ce n’est pas par le récit des événements marseillais que le nouveau livre de Gilbert Buti apporte du nouveau ; en revanche, il se signale, à l’image des travaux de son auteur, par tout ce qu’il ajoute à la connaissance de son contexte et de son intégration dans son territoire.

En effet si, pour l’histoire, une épidémie c’est avant tout un lieu, une ville essentiellement, et une date, et en conséquence, le mode traditionnel de description en est la monographie, on demeure loin de la réalité si on ignore le reste du territoire. C‘est à porter un regard plus large sur ces réalités territoriales que nous convie ce nouveau livre. Située au cœur d’un complexe portuaire, la ville s’ouvrait en effet sur un arrière-pays littoral auquel elle offrait ses services de port mondial tout en profitant d’opportunes facultés d’armement. De surcroît, l’historiographie récente de la peste en a profondément modifié la perception grâce à des approches pluridisciplinaires reposant sur de nouveaux documents (archives biologiques, squelettes conservés dont on peut prélever et exploiter l’ADN) et les travaux de l’archéozoologie, décryptant l’histoire des populations de rongeurs et de leurs puces, qui s’appliquent à la connaissance du bacille et de ses modes de dispersion, dont il convient de tenir compte pour éclairer et actualiser le récit. Enrichir le contexte de l’épisode marseillais, c’est ce à quoi s’emploie, avec une attention toute particulière portée aux attitudes individuelles, Gilbert Buti, même si on peut relever quelques omissions formelles (citons ainsi les travaux récents de Fleur Beauvieux dont un article est cité en note, p.77, mais omis dans la bibliographie, tout comme sa thèse «Expériences ordinaires de la peste. La société marseillaise en temps d’épidémie, 1720-1724», soutenue en 2017, ou encore la monographie d’Henry Mouysset sur La Peste en Gévaudan (Sète, 2013) et, sur le même sujet, les publications de documents de Ferdinand André, pourtant utilisées pp.110-113 mais non reprises dans les sources…). On pourra aussi regretter la souvent médiocre qualité d’une illustration au demeurant fort bien mise en page, ainsi que l’absence d’un index qui aurait rendu justice aux nombreuses personnes dont le témoignage est invoqué dans le cours du texte.

«Rarement un livre d’histoire n’aura revêtu une telle actualité», proclame la présentation de la 4ème page de couverture. En fait, s’il est consacré en partie à l’évocation de la mémoire de l’événement (chapitre 7), on ne peut avoir affaire à un livre d’actualité et il faut se garder de toute assimilation irréfléchie, anachronique, qui voudrait qu’un passé vieux de plusieurs siècles puisse aujourd’hui nous apporter des enseignements pertinents, voire utiles. Trop de différences, de changements, de révolutions nous en séparent pour que son évocation puisse avoir d’autre conséquence que de nous aider – ce qui n’est déjà pas rien – à en mesurer l’ampleur. En revanche, le point de vue inverse, s’il est moins directement utile, pourrait se révéler plus fécond. Toute «concordance des temps» recouvre autant d’apparence que de réalité et le présent ne s’explique guère par le passé, mais peut en éclairer des aspects jusque-là demeurés dans l’ombre. C’est là une opportune occasion de remettre l’ouvrage historique sur le métier et c’est dans ce sens que pourrait justement fonctionner l’idée d’une continuité historique.


Françoise Hildesheimer
( Mis en ligne le 27/11/2020 )
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