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La scène est en Afghanistan, c’est-à-dire nulle part
Michael Barry   Le Royaume de l’insolence - L’Afghanistan, 1504-2001
Flammarion 2001 /  21 € - 137.55 ffr.
ISBN : 2-08-21010102-9
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Pour quelques semaines, les opérations militaires récentes ont fait de l’Afghanistan, royaume de nulle part, contrée d’ordinaire méconnue, le centre de l’attention internationale. La réédition de ce Royaume de l’insolence vient donc fort à propos pour faire découvrir au public français une terre de tout temps éloignée de nos zones d’influence.

Le massif montagneux que nous appelons Afghanistan a fait partie de l’Iran antique. Le mot d’Afghanistan lui-même a d’abord désigné quelques tribus pachtounes de la bordure orientale du pays actuel, et le pays est né tardivement, au XVIIIe siècle, pendant l’affaiblissement des deux grands empires limitrophes, la Perse séfévide et l’Empire mogol. On peut comparer la naissance de l’Afghanistan à celle des royaumes « romano-germaniques » : une « race martiale » constitue une État, en reprenant les oripeaux de l’hégémonie défunte ; un émir pachtoun se pare du titre persan de Chah. Multiethnique dès l’origine, le royaume n’a pas de limites naturelles : à l’Est, les Pachtouns, ethnie dominante, s’étendent presque jusqu’à l’Indus ; au Nord, l’Afghanistan comprend des Ouzbeks, dont la majorité réside en Asie centrale, des Tadjiks, eux aussi à cheval sur la frontière.

Ce jeune royaume, assis sur une vieille terre de rencontre et d’affrontement des civilisations, devient très vite un enjeu de la politique internationale. Dès 1809, les Anglais s’inquiètent d’une possible attaque franco-russe contre l’Inde, à travers l’Afghanistan. C’est le début du Great Game, qui dure jusqu’à la chute de l’URSS et au-delà. Ce Grand Jeu oppose des impérialismes européens : la Russie puis l’Union soviétique, d’un côté, l’Empire britannique, puis les États-Unis, de l’autre. Pour Britannia triomphante, une fois Bonaparte vaincu, une éventuelle invasion de l’Inde, perle de l’Empire, est la seule menace qui pèse réellement sur sa domination mondiale. De son côté, tout au long du XIXe siècle, la Russie poursuit sa progression implacable vers le Sud et vers l’Est (Caucase, Asie centrale, Sibérie). Pour arrêter cette expansion, les Anglais pratiquent la Forward Policy, la formation d’un glacis montagnard qui les protégera de l’avance russe. L’impérialisme britannique connaît là plusieurs échecs retentissants. Il se heurte à ce que l’auteur appelle le Yaghestan – le royaume de l’insolence repris dans le titre. Face à une occupation étrangère, le pays semble se dissoudre en poussière, les tribus se réfugient dans leurs vallées inexpugnables et harcèlent l’armée étrangère jusqu’à destruction. Elles refusent toute autorité directe d’où qu’elle vienne. Les Britanniques finissent donc par renoncer à imposer leur domination. Ils se satisfont d’un modus vivendi qui impose aux Afghans de ne pas pratiquer d’incursions vers le Raj et de ne pas recevoir de mission militaire russe à Kaboul. Pendant deux siècles, jusqu’en 1964, l’Afghanistan reste donc dans l’isolement, le « non-développement » plutôt que le sous-développement. Les structures étatiques demeurent extrêmement ténues. Une infime portion de l’aristocratie se frotte à l’Occident, en fréquentant les lycées étrangers installés à Kaboul, et, de ce fait, devient étrangère dans son propre pays.

Après 1918, les premiers signes de changement apparaissent. Avec la fin du califat ottoman, l’Afghanistan demeure le seul royaume musulman qui échappe à la colonisation chrétienne. Un nationalisme à l’occidentale fait son apparition, admiratif envers l’Italie et l’Allemagne, et prônant l’irrédentisme vis-à-vis des Pachtouns de l’Empire des Indes. Après 1947, les Américains prennent la place des Britanniques dans le Great Game, mais avec une ignorance confondante des réalités locales, bien différente de l’expertise de l’India Civil Service. De leur côté, les Soviétiques poussent habilement leurs pions, en formant les cadres civils et militaires afghans en URSS En 1964, ils offrent à l’Afghanistan un route asphaltée, dont une partie, par le tunnel de Salang, passe sous l’Hindou Kouch. Les Américains répliquent en construisant de même un axe Hérat-Kandahar-Kaboul. Le régime afghan se croit habile de faire payer les deux parties. Il n’a pas vu que l’équilibre ancien est désormais rompu. L’ouverture des voies de communication vers l’extérieur marque en effet le début de la fin pour le vieil Afghanistan médiéval. Les produits manufacturés à bas prix ruinent la production locale, toute la société est déstabilisée. En 1973, le chah Zaher est déposé par son cousin Daoud, qui devient président de la République ; en 1978, Daoud est renversé à son tour par un coup d’État communiste. Trop évidemment inféodés à Moscou, les nouveaux maîtres sont très vite rejetés par la population. Le mécanisme du Yaghestan se remet en marche : le pays se dissout, l’appareil d’État se décompose, la guérilla commence. Seule une intervention soviétique massive, à partir de 1979, suivie d’une répression monstrueuse, parvient à maintenir le pouvoir marxiste. Le retournement a lieu, en 1986, lorsque les Américains envoient des missiles Stinger à la résistance : en quelques mois, les Soviétiques perdent la maîtrise du ciel. En 1989, ils plient bagage précipitamment, et leur retraite se transforme en déroute. Le régime communiste se maintient jusqu’en 1992, puis une guerre civile interethnique succède presque immédiatement à la lutte anti-communiste. C’est alors qu’afin de remettre de l’ordre dans un pays qu’ils veulent faible mais calme, pour leur assurer une « profondeur stratégique » face à l’Inde, les services secrets pakistanais arment les étudiants en théologie pachtounes, les fameux Talibans, guerriers particulièrement rétrogrades, nourris dans la haine de l’hindouïsme et plus généralement de tout ce qui n’est pas musulman. La suite, retracée par Michael Barry, est trop connue pour qu’il soit besoin de la rapporter ici.

Américain vivant en France, persanophone, ancien membre de Médecins du monde, l’auteur a longtemps vécu en Afghanistan. Ni historien ni ethnologue, il n’en est pas moins un excellent connaisseur de la région et nous en donne un tableau fascinant, même si la partie ethnographique manque parfois un peu de clarté. Les textes des trois éditions de 1984, 1989 et 2001 se succèdent sans être amalgamés ; chaque fois, l’auteur décrit le temps présent en puisant dans le passé pour expliquer l’état actuel des choses. Ce choix provoque quelques trous, redites et confusions qu’aurait évité un exposé universitaire chronologique, mais il permet aussi de suivre l’évolution de la pensée de l’auteur, celle des mentalités en Occident entre les différentes rédactions, et de mesurer sa clairvoyance.

Qu’est-ce que l’Afghanistan ? Que s’y passe-t-il ? Quand les raccourcis et les approximations journalistiques sont impuissants à nous le dire, le beau livre de Michael Barry apporte à ces questions de fortes réponses, fruit d’une longue réflexion nourrie par l’histoire.


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 28/05/2002 )
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