|
Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
 | |
Soldats de l’ordre public | | | Jean-Noël Luc collectif Figures de gendarmes - Société & Représentations - N° 16 CREDHESS 2003 / 21 € - 137.55 ffr. / 378 pages ISBN : 7600913216
L'auteur du compte rendu: Natalie Petiteau, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Poitiers, est historienne de la société du XIXe siècle et de la portée des années napoléoniennes. Elle a notamment publié Napoléon, de la mythologie à l'histoire (Seuil, 1999) et Lendemains d'Empire: les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle (Boutique de l'histoire, 2003).
Elle est par ailleurs responsable éditorial du site http://www.calenda.org.
Jean-Noël Luc collabore à Parutions.com. Imprimer
Saisissons tout dabord loccasion de cette belle publication pour rendre hommage aux précieux dossiers régulièrement livrés par la revue Sociétés et représentations. Jean-Noël Luc dirige ici un numéro spécial consacré à un pan actuellement très dynamique de lhistoire sociale. Lhistoire de la gendarmerie tire de surcroît grand profit à être soumise à lanalyse des représentations. «Comme tout groupe professionnel, rappelle en effet Jean-Noël Luc, les gendarmes se définissent aussi par leur culture, par les images quils donnent deux et par celles que leur renvoient leurs concitoyens». Cest en suivant ces pistes que ce dossier est bâti, constitué darticles rédigés souvent par de jeunes chercheurs, spécialisés dans lhistoire de la gendarmerie sous la houlette du directeur même de cette publication. Lenjeu de telles réflexions semble dautant plus important que la gendarmerie affirme une identité militaire que les autorités civiles et militaires nont pas été sans lui contester.
Un premier volet est consacré à «lauto-représentation de la gendarmerie». Pascal Brouillet, sur la représentation de la maréchaussée à la fin de lAncien Régime, montre un corps saffirmant comme une élite, mal aimée du pouvoir mais jouissant de la confiance de la population. Aude Piernas, en dépouillant la Revue de la gendarmerie des années 1930, a observé comment, à la vieille figure de Pandore, sest substitué un portrait exaltant les qualités humaines et professionnelles du «soldat de lordre public». Xavier Perinet-Marquet examine ensuite les années 1950 et 1960 à laide de la Revue détudes et dinformations de la gendarmerie nationale : plus que jamais, laccent est mis sur la moralité du gendarme, toujours prêt à porter assistance et secours, acceptant quil nexiste entre sa vie privée et sa vie professionnelle quune limite très mince. Pour la période qui va jusquà nos jours, Jacqueline Freyssinet-Dominjon a, quant à elle, utilisé les affiches qui font systématiquement du gendarme la bonne personne au bon endroit, même si lhéroïsation du personnage va en sestompant.
Une seconde partie porte sur «la mise en scène». Aurélien Lignereux tire parti du contenu des spectacles de marionnettes du XIXe siècle et observe la gendarmophobie du public dalors face à une figure emblématique permettant de faire rire à peu de frais, avec la tolérance du pouvoir. Yann Galera a, pour sa part, choisi découter les chansons populaires : elles mettent en scène une maréchaussée lascive et indolente et utilisent largement les stéréotypes déjà théâtralisés chez Guignol. On attendait bien sûr un commentaire des Gendarmes de Saint-Tropez : Sébastien Le Pajolec a analysé les six films de la série et montre notamment comment ses héros incarnent une France de toujours.
Sur les «contradictions et enjeux des images du gendarme», Edgar Egnell étudie la Troisième République qui a dressé la gendarmerie contre le parti de lordre, qui, en 1905, a fait saffronter gendarmes et ecclésiastiques, ce qui a nui à limage du corps auprès dune population traditionnellement acquise à sa cause. Arnaud-Dominique Houte reconstitue lhistoire de la gendarmerie de la Belle Epoque daprès les discours de ses retraités : révélateur est le fait que ceux-ci, en fait, éprouvent bien davantage le besoin de défendre lesprit de corps que les intérêts catégoriels. Louis N. Panel sarrête sur la Grande Guerre, période noire de lhistoire de la gendarmerie appelée alors à faire face aux contestations de la troupe. Mal à laise pour répondre à la déferlante de railleries, lArme a alors sombré dans le mutisme au pont de devenir une oubliée de la Grande Guerre. Etienne Gros nous entraîne dans lhistoire très contemporaine en étudiant le regard de la presse sur la gendarmerie à loccasion de laffaire des paillotes corses : linstitution est alors très largement décriée, la presse dénonce les dérives poussant certains gendarmes à négliger la légalité au profit de la raison dÉtat ou de lefficacité, elle va même parfois jusquà les assimiler à des terroristes.
Le dossier sachève par deux articles qui permettent de confronter gendarmerie et police. Quentin Deluermoz étudie le second XIXe siècle. Au gendarme des champs sopposerait alors le policier des villes, un gendarme aux traits virils plus marqués que chez le policier ; en réponse, la Préfecture de police a tenté de réinjecter des valeurs militaires dans le modèle proposé à ses fonctionnaires. Laurent López invite ensuite à nuancer lantagonisme qui présiderait aux relations entre policiers et gendarmes, du moins pour la période allant de 1875 à 1914. Au total, outre ce que cette publication apprend dessentiel sur lhistoire de la gendarmerie, il faut saluer ce quelle apporte, méthodologiquement, à lhistoire des représentations, en mettant en évidence comment celle-ci peut enrichir lhistoire sociale.
Natalie Petiteau ( Mis en ligne le 19/04/2004 ) Imprimer | | |
|
|
|
|