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Pour en finir avec le continent perdu | | | Pierre Vidal-Naquet L'Atlantide - Petite histoire d'un mythe platonicien Les Belles Lettres - Histoire 2005 / 18 € - 117.9 ffr. / 198 pages ISBN : 2-251-38071-X FORMAT : 15x22 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes dHésiode) et dun DEA de Sciences des Religions à lEcole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia, il est actuellement professeur dhistoire-géographie. Imprimer
Lhistorien Pierre Vidal-Naquet sest intéressé à lhistoire économique et sociale du monde grec, lhistoire institutionnelle, la tragédie ou les mythes, mais aussi à lhistoire de lhistoire et notamment lhistoriographie du monde grec dans la pensée occidentale. Il ne pouvait donc que sattacher à létude du célèbre mythe platonicien de lAtlantide, qui a fait couler beaucoup dencre depuis le Timée et le Critias.
Plusieurs articles et publications de lauteur (sans parler de son diplôme détudes supérieures consacré en 1953 à «la conception platonicienne de lhistoire»
) avaient déjà abordé ce thème. Dès 1964, Pierre Vidal-Naquet, a éclairé la structure du mythe platonicien en montrant que lAtlantide était un double pessimiste dAthènes, une Athènes impérialiste et dévoyée cachée derrière la fiction de cette grande île située, dans le récit, «au-delà des Colonnes dHéraclès», cest-à-dire du détroit de Gibraltar. Ce livre était donc en germe dans la pensée de lauteur depuis longtemps.
Le mythe de lAtlantide, tel quil est raconté par le fondateur de lAcadémie, nest en fait daprès Pierre Vidal-Naquet quun pastiche de lhistoire telle quelle était pratiquée par les grands historiens grecs, Hérodote et Thucydide. Le nom même des Atlantes serait emprunté au «père de lhistoire», qui en faisait un peuple dAfrique du Nord vivant près du mont Atlas, qui devait son nom au Titan condamné par Zeus à porter le ciel sur ses épaules. Rien à voir avec un hypothétique continent abîmé dans locéan dont Hérodote, curieusement, ne souffle mot
Version reprise, quand il traite de lAfrique, par Diodore de Sicile, qui ne fait, encore plus étrangement, aucune référence au récit de Platon
Cette interprétation exclut donc radicalement toute possibilité que lAtlantide ait jamais existé en temps quîle et puissance océanique, même localisée dans la Crète minoenne ou à Santorin (dévastée par une formidable explosion volcanique dans la première moitié du IIe millénaire av. J.-C.).
Létude du texte de Platon fait lobjet dun premier chapitre replaçant le récit dans le contexte politique et intellectuel de lAthènes de lépoque (IVe siècle av. J.-C.). Ce nest pas dhistoire quil sagit ici. Daprès Pierre Vidal-Naquet, «il est aussi raisonnable de voir de lhistoire dans le récit platonicien que de prendre au sérieux les Histoires vraies de Lucien sous prétexte que le récit de son voyage dans la Lune sintitule ainsi» (p.33). Mais Platon multiplie, avec une «perversité peu commune» (p.26) les effets de réel, ce qui a trompé bien des commentateurs. La question la plus intéressante est en fait de savoir pourquoi Platon a revêtu un vêtement hérodotéen en racontant la guerre dAthènes contre lAtlantide comme sil sagissait des guerres médiques
Les chapitres suivants sintéressent aux interprétations successives du mythe de lAtlantide au cours de lhistoire ancienne, moderne et contemporaine. Dès lAntiquité, certains ny ont vu que fable, comme Théopompe de Chios, jeune contemporain de Platon. Aristote na pas parlé de lAtlantide dans ses écrits, et pense au contraire que les Colonnes dHéraclès sont proches de lInde (erreur qui inspirera Christophe Colomb). Chez Diodore de Sicile, les Atlantes sont un peuple de Libye, voisin et victime des Amazones. Toutes les autres mentions antiques de lAtlantide font référence à Platon, quil sagisse de Pline lAncien, Plutarque, Philon dAlexandrie, Ammien Marcellin ou Proclus
Les Atlantes sont ensuite quelque peu oubliés au Moyen-Âge (car peu conformes, chronologiquement, au récit de la Genèse), mais resurgissent à la Renaissance : les hommes du XVIe siècle abordent ainsi le Nouveau Monde à travers le prisme du récit de Platon, certains identifiant le nouveau continent, les Canaries ou les Açores, à des restes du fabuleux royaume des descendants de Poséidon et de lautochtone Clitô. Mais dautres localisations plus surprenantes sont proposées. A la fin du XVIIe siècle, le Suédois Olof Rudbeck reconnaît lAtlantide dans sa propre patrie. On peut voir là le début de la collusion du mythe atlante avec les divers nationalismes qui se sont succédés dans lhistoire européenne et américaine. Les Lumières voient saffirmer ces nationalismes, mais aussi dautres hypothèses (Bailly localise lAtlantide dans les glaces du Spitzberg) et même des lectures critiques (Guiseppe Bartoli est ainsi le premier à penser que lAtlantide était le masque de lAthènes impérialiste et maritime). Mais au XIXe siècle se font jour des lectures occultistes du mythe, notamment avec Fabre dOlivet, qui opposait une race noire, celle des Atlantes, à une race blanche plus récente, ancêtre des Celtes et des Scythes. Selon lui, les Atlantes transférèrent leur connaissance à Moïse via lEgypte. William Blake opère quant à lui une étrange fusion de la tradition biblique, de la fabulation sur lAmérique, du mythe celtique et du récit platonicien. Les mythes nationaux népargnent pas la France, avec lAvignonnais Fortia dUrba qui publie en 1808 une dissertation tentant de démontrer que les Celtes et les Ibères apportèrent dEspagne en France la civilisation des Atlantes.
Le roman sempare aussi avec délices du sujet, Jules Verne montrant par exemple les héros de Vingt mille lieues sous les mers parcourant grâce au Nautilus les ruines de la capitale atlante. Le XXe siècle nest pas en reste avec LAtlantide de Pierre Benoît (1919), plaçant le continent perdu au cur du Hoggar, où subsiste la gynécocratie de la reine Antinéa, véritable mante religieuse. Mais la lecture nationaliste qui connaît le plus grand succès est alors germanique, les Aryens et les Atlantes se confondant ainsi dans lidéologie nazie. Le pasteur Jurgen Spanuth sattacha même à découvrir les vestiges du continent perdu au large de lîle dHeligoland. Plus tard, un Italien a identifié lAtlantide à la Sardaigne (les Colonnes dHéraclès étant déplacées pour la cause entre la Sicile et la Tunisie).
On regrette un peu que Pierre Vidal-Naquet passe plus vite sur les lectures ésotériques de lAtlantide (il mentionne néanmoins le théosophe Scott-Elliot), ne cite que rapidement la bande dessinée (Blake et Mortimer) et naborde guère la fortune du thème dans le monde de la science-fiction, de la fantasy, et même de lufologie (les Atlantes étaient pour certains des extraterrestres, ou alors avaient développé une civilisation techniquement très avancée qui disparut dans un cataclysme nucléaire !). Même si lauteur souligne, dans son introduction, que son étude comporte des lacunes, on aurait au moins aimé quil cite les «visions» dEdgar Cayce ou les interprétations auxquelles ont donné lieu la découverte des structures sous-marines de Bimini.
Mais louvrage a le mérite de faire connaître des auteurs qui ne sont guère cités dans les nombreux titres, souvent délirants, que lon peut trouver aux rayons «spiritualité» ou «ésotérisme» des librairies. L'auteur a peut-être tout simplement méprisé ces élucubrations, nombreuses dès quil sagit de lAtlantide. Il est en effet peu dendroits au monde où elle nait pas été localisée. Pierre Vidal-Naquet propose même, sous forme de boutade, de la rechercher «dans le bassin du jardin du Luxembourg» ! (p.18)
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 27/04/2005 ) Imprimer
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