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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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Est-il interdit d’interdire ? | | | Jacques Domenech Censure, autocensure et art d'écrire Complexe - Interventions 2005 / 39.90 € - 261.35 ffr. / 375 pages ISBN : 2-8048-0028-8 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV). Imprimer
La censure en littérature a été et demeure une réalité ; que ce soit une censure religieuse reposant sur le Nihil obstat et lIndex (ou encore aujourdhui les fatwas de certaines autorités musulmanes) ou un contrôle étatique comme le système de lapprobation et du privilège sous lAncien Régime, quil sagisse dune censure préalable ou dun contrôle a posteriori, la censure a marqué la production de livres, leur réception dans le public et la vie intellectuelle depuis lAntiquité. Elle nest pas forcément morte aujourdhui même si ses formes ont changé : elle repose de nos jours sur le respect de lindividu et sest privatisée.
Pourtant la censure nest pas que négative. Elle a même des effets paradoxaux puisquil ny a pas de nos jours de meilleure publicité que davoir été censuré (les Versets sataniques de Salman Rushdie en sont un bon exemple mais Marmontel en était déjà conscient en sortant de la Bastille). Lautocensure elle-même nest pas seulement un moyen déchapper à une éventuelle future censure ou une intériorisation des interdits, mais devient un véritable jeu avec le censeur et aussi avec le lecteur. A tel point que lon peut se demander dans quelle mesure la censure na pas été «moteur de lédition et catalyseur de la lecture». En contraignant les individualités, elle les structure et les met en valeur.
Le plan que suit le livre est à la fois chronologique et thématique. La première partie consiste en une étude assez large des origines de la censure de lAntiquité au XVIIe siècle en étudiant à la fois la censure dans la production et dans la réception des uvres. Lon remonte ainsi aux origines de la censure avec une approche juridique de cette dernière à Rome (E. Micou) avant de sintéresser à la réception des uvres dAristote au Moyen-Âge (I. Vedrenne) ou, au Grand Siècle, aux diverses versions du Don Juan de Molière (O. Bloch) et à lapparent badinage de La Fontaine (M. Bernsen). La seconde partie opère un gros plan sur une période charnière : le siècle des Lumières, que ce soit en France, en Italie ou au pays basque. Cette période est celle où l'on commence à dénoncer une censure qui sorganise mieux (F. Weil) et surtout où lon joue avec elle pour la détourner ou la contourner, comme dans le cas de Voltaire (C. Lavigne). Mais la censure ne provient pas forcément dun pouvoir supérieur : cest Walpole, son correspondant, qui agit sur la correspondance de Mme du Deffand pour la modifier (H. Krief) ; Saint-Simon lui-même sautocensure quant à ses idées politiques (M.-P. De Weerdt-Pilorge).
Enfin la troisième et dernière partie a trait à la censure au XXe siècle quand les interdits des autorités religieuses saffaiblissent en Occident (J.-M. Seillan) ; la contrainte vient alors plus de considérations politiques et surtout sociétales et économiques (M. Couturier). La mode étant aux auteurs maudits et qui ont subi les foudres de la censure, cest aussi loccasion pour Jacques Domenech de remettre les pendules à lheure vis-à-vis de personnes qui se prétendent spécialistes de Sade en commettant dénormes contresens sur son uvre (P. Sollers, Sade contre lÊtre suprême, Paris, 1996).
Le livre est issu dun séminaire du Centre transdisciplinaire dépistémologie de la littérature (CTEL) de lUniversité de Nice. Il sagit donc dun recueil de diverses contributions dont les auteurs viennent de toute la France mais aussi dAllemagne ou du Canada. On y rencontre des chercheurs parmi les meilleurs spécialistes de la censure tels Olivier Bloch ou Françoise Weil.
Lentreprise peut paraître très large tant dans les périodes (de lAntiquité romaine à Emmanuelle) que dans les problématiques évoquées. La transdisciplinarité peut être une vertu mais le risque est que le livre devienne une sorte de fourre-tout. Cest dailleurs partiellement le cas, tant dans la longueur des contributions (de 4 à 20 pages) que dans le niveau de leur réflexion. Cest alors à lintroduction de donner une cohérence au volume. Jacques Domenech sy emploie mais on pourrait peut-être regretter que cette introduction ne se livre pas à une réflexion plus approfondie sur la notion même de censure. Cette dernière nexiste pas dans un monde éthéré et invariant : chaque période, chaque civilisation possède ses propres règles. Est-il possible dès lors décrire un livre sétendant sur une aussi longue période en feignant de croire que la censure existe «en soi» et que celle du XVIIe siècle est semblable à celle qui sévit de nos jours ? On aurait peut-être aimé que chaque auteur tente plus longuement de se rattacher au questionnement et à la réflexion commune, même si chaque article, pris isolément, est intéressant et stimulant.
Quant à la présentation matérielle, les éditions Complexe nous fournissent un volume dassez grand format qui rend la lecture agréable. On regrettera seulement, comme trop souvent, labsence dindex et le fait que les notes soient renvoyées en fin de chapitre. Ce recueil constitue donc un ouvrage intéressant qui nous offre une réflexion très large sur la censure et les problématiques sy rattachant, à confronter avec un autre volume sur le même thème mais à la problématique différente qui vient de sortir chez CNRS éditions : Genèse, censure, autocensure sous la direction de Catherine Viollet et Claire Bustarret.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 16/05/2005 ) Imprimer | | |
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