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Le modèle européen de la guerre | | | Stéphane Audoin-Rouzeau Les Grandes batailles de l'Histoire Larousse 2005 / 32 € - 209.6 ffr. / 287 pages ISBN : 2-03-505496-6 FORMAT : 24x28 cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à lInstitut catholique de Paris, à luniversité de Marne la Vallée et ATER en histoire à lIEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense. Imprimer
Lhistoire-bataille est bien revenue en grâce ! Après un Dictionnaire des guerres et des batailles de lhistoire de France paru il y a quelques mois chez Perrin, voici Les Grandes batailles de lhistoire chez Larousse. Il ne sagit pas dun dictionnaire, mais dun ouvrage grand public, qui présente 137 batailles, sièges ou campagnes, de lAntiquité à nos jours.
Une double page est consacrée à chacune des batailles. Le texte rappelle la situation politique et stratégique et décrit le déroulement de la bataille et ses conséquences. Des encadrés apportent des précisions sur des aspects particuliers ou annexes des batailles. Liconographie, très riche et dans lensemble fort belle, aide à recréer lambiance. Quil sagisse duvres plus ou moins contemporaines des faits ou alors largement postérieures, toutes présentent un intérêt : détails des armes ou des formations, apologie des héros victorieux, vision stéréotypée du passé. Dans ce registre, le XIXe siècle se distingue particulièrement. Les tableaux de style pompier, montrant des Gaulois moustachus ou de valeureux Parisiens terrassant les Vikings, sont très instructifs quant à la manière dont chaque époque s'est représenté le passé. Brennus découvrant sa part, féminine et apeurée, du butin, après la prise de Rome en 390 av. J.C., remporte sans doute la palme
On regrettera toutefois la rareté des cartes. Sans elles, on suit et apprécie moins bien Breitenfeld, Rocroi, Denain (ah ! la manuvre de Denain !) ou Iéna-Auerstedt.
Le choix des batailles se veut à la fois divers et représentatif. Divers, car des batailles de toutes les époques et de toutes les régions sont présentées. La victoire de Ramsès II sur les Hittites à Qadesh en 1274 av. J.C. est la première traitée. Il sagit de lune des plus anciennes batailles dont nous ayons connaissance, par une chronique égyptienne de lépoque. La plus récente est la campagne dIrak du printemps 2003. Entre-temps, on voyage de la conquête de lInde par Tamerlan (1398), à la prise de Tenochtitlan, la capitale aztèque, par Cortés (1521) ou à la victoire des Indiens des plaines sur Custer et son 7e de Cavalerie à Little Big Horn (1876). La guerre navale nest pas oubliée : LÉcluse (1340), Lépante (1571), Les Cardinaux (1759) ou Midway (1942) sont traitées. Mais au delà de cette diversité, le choix des batailles est également représentatif du caractère éminemment européen de cette manière de faire la guerre. En effet, la presque totalité des batailles présentées dans ce livre concerne des Européens, même lorsquelles se déroulent en dehors de l'Europe, lors des croisades (Hattin, 1187), des prolongements outre-mer des guerres continentales (les Plaines dAbraham devant Québec, 1759) ou des conquêtes coloniales (Adoua, 1896). Les nombreuses guerres sétendant du XVe au milieu du XXe s. sont bien entendu largement traitées.
Lhistorien américain Victor Davis Hanson avait, il y a quelques années, vu dans la bataille larchétype du «modèle européen de la guerre». Selon lui, cette forme daffrontement, à la fois ordonné et paroxystique, par sa violence et son caractère décisif, était le reflet de la mentalité et du mode dorganisation sociale des Européens. À cet égard, la simple consultation de la liste des batailles étudiées par ce livre est pleine denseignements. Jusquen 1945, les batailles proprement dites dominent cette liste. Elles côtoient quelques sièges et de rares campagnes ou guerres, traitées dans leur totalité. Après 1945, les batailles classiques disparaissent quasiment. Celles qui restent sont englobées dans une campagne : ainsi les batailles de la Vallée des larmes ou de la Ferme chinoise traitées au travers de la guerre du Kippour.
Pour lépoque récente, on trouve bien la guerre soviétique dAfghanistan, la libération du Koweït, la guerre de Bosnie ou les prises de Groznyï. Mais plus de bataille. Quest-ce à dire ? Que si la guerre se porte bien, les batailles ont disparu ? La bataille classique, celle qui respectait les règles dunité de la tragédie grecque, certainement. Même des batailles qui en dérivaient, de plus grande ampleur certes, mais obéissant à la même logique de la concentration des forces en un point pour y rechercher un avantage décisif, comme Verdun ou Koursk, ont disparu. Cette disparition nest pas leffet des choix des auteurs mais celui dune réalité. Les guerres ont changé de forme et l'on ny livre plus de batailles, en tout cas au sens classique du terme. Les conflits de basse intensité, la guérilla urbaine, les violences contre les civils sont devenues les formes dominantes de la guerre.
Dans sa présentation, Stéphane Audoin-Rouzeau, rappelle, après lhistorien anglais John Keegan et contre Clausewitz, que la guerre est autant, voire plus, un acte culturel quun acte politique. Alors, au delà des raisons techniques, le déclin de la bataille est peut-être en partie le reflet du retrait des Européens du champ de la guerre. Avec la bataille, ils avaient apporté à la guerre un élément de leur identité. Sans eux, ce sont dautres cultures qui impriment, à leur tour ou dans leur espace, leur marque à la guerre.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 08/06/2005 ) Imprimer
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