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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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La Merveille de l’Occident | | | Patrick Sbalchiero Histoire du Mont Saint-Michel Perrin 2005 / 18 € - 117.9 ffr. / 237 pages ISBN : 2-262-02346-8 FORMAT : 14x23 cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Patrick Sbalchiero est historien et journaliste ; de lecture aisée, son ouvrage sur le mont Saint-Michel est destiné à un grand public, et ne décevra ni les amoureux du lieu ni les esprits curieux qui cherchent à en connaître lhistoire au-delà des clichés ou descriptions touristiques superficielles.
Demblée, simpose au visiteur le site, la haute silhouette sur la baie du sanctuaire médiéval, le travail des hommes contre lassaut des éléments, la prouesse architecturale. Prouesse qua consacrée récemment lUNESCO en inscrivant le mont au patrimoine international. Le plan adopté est simple ; chronologique, il suit les grandes phases historiques : le temps des origines légendaires, puis historiques, le Moyen Age (les années de gloire avec lessor et le succès du pèlerinage, la richesse du lieu), puis la lente décadence à lépoque moderne et, plus encore, contemporaine ; au lendemain de la Révolution le sanctuaire est transformé en prison. Un cahier central de photographies en donne quelques idées. Des notes, une chronologie, les sources, un index complètent lensemble.
Dans une première partie, Patrick Sbalchiero reprend les origines légendaires du sanctuaire, lapparition de larchange à Aubert, évêque dAvranches, qui après quelques réticences aurait finalement consenti à élever un sanctuaire, dédicacé le 16 octobre 709 selon la tradition. On se trouve dans une terre de frontière, plus particulièrement au Moyen Age où la Bretagne nest pas rattachée au royaume, et la Normandie (où est situé le mont) appartient jusquen 1204 au roi dAngleterre, vassal pour cette terre du roi de France. Lorigine surnaturelle de la fondation entraîne presque immédiatement un pèlerinage, dont limportance ne cessera de saccroître au cours des siècles suivants. Si, dès le VIe siècle, le culte est attesté, cest avec larrivée des bénédictins en 966 que commence à proprement parler lhistoire du Mont Saint-Michel. Grands bâtisseurs, les bénédictins font venir le granit des îles Chausey pour réaliser un édifice qui allie exigences spirituelles et prouesses techniques (léglise romane est érigée au sommet du roc, à 80 mètres de hauteur). Le coût et la longueur des travaux font du lieu un vaste chantier, et assurent la prospérité de la région avoisinante.
Les visiteurs affluent pour prier devant les reliques, et parmi les plus prestigieuses dentre elles : lépée et lécu de larchange, saint guerrier, qui garde ainsi le royaume à ses frontières. Un public mêlé se presse : populaire, mais aussi aristocratique ; Guillaume le Conquérant fait ainsi le pèlerinage et la tapisserie de Bayeux immortalise lévénement. Souvre pour le sanctuaire une période de remarquable prospérité, entretenue par la générosité de riches donateurs, et le commerce lié aux nombreux pèlerins ; les chemins montois sorganisent, aussi prestigieux à leur époque que ceux de Compostelle. Les abbés bénédictins constituent une remarquable bibliothèque, et le mont est un centre actif de vie intellectuelle et artistique. Patrick Sbalchiero reprend les textes médiévaux qui content lhistoire du monastère. Cependant le Mont nest guère épargné par les malheurs divers : de multiples incendies, leffondrement du choeur roman de léglise abbatiale (1421). Aux temps de la guerre qui oppose français et anglais (guerre de cent ans) le mont Saint-Michel est un des lieux de la «nation France», pour reprendre le titre du livre de Colette Beaune ; le pèlerinage à larchange guerrier, aux frontières du royaume, fonde et renforce le sentiment français. Les rois de France rendent dailleurs un culte à saint Michel, Louis XI y vint trois fois en pèlerinage (1462,1472 et 1473) et en 1469 crée lordre royal de Saint-Michel et fait poser une statue de l'archange sur la flèche de la Sainte Chapelle à Paris. Laristocratie accomplit volontiers le pèlerinage.
Au XVe siècle, commence le temps des difficultés : au lendemain dAzincourt la Normandie redevient anglaise (1415-1449) et Saint-Michel est assiégé, mais réussit à tenir bon : résistance miraculeuse dont une partie du mérite est attribuée au saint protecteur. Cest au XVIe siècle que commence le déclin du sanctuaire, le monastère est désormais en commende (nomination des abbés par le roi) et les abbés ne résident que rarement ; François Ier est le dernier souverain à effectuer un pèlerinage ; appauvri, le monastère est moins entretenu. La congrégation de saint Maur le reprend en main au début du XVIIe siècle, mais le déclin nest pas enrayé pour autant ; le village rassemble moins dune centaine dhabitants à la veille de la Révolution.
Le Mont exerce désormais une fonction carcérale, «Bastille des mers», même si les prisonniers y ont été moins nombreux que ne la rêvé limaginaire populaire qui a beaucoup fantasmé sur les «cages de fer» du Mont. Sécularisé en 1790, il devient une prison : environ 14000 prisonniers y passèrent entre 1793 et 1863. C'est une prison mixte, doublée dune maison de correction. Utilisation qui entraîne des remaniements de locaux qui achèvent de dénaturer ce qui avait survécu du monastère ! Finalement, en 1867, le Mont est rendu aux bénédictins, qui entament sa restauration avec la volonté et laide efficace des pouvoirs publics, tandis que reprennent les pèlerinages.
Souvre une nouvelle période : celle du tourisme de masse et une nouvelle menace : léquilibre écologique du site. Un lieu exceptionnel, dont Patrick Sbalchiero retrace avec talent lhistoire, permettant ainsi aux lecteurs de mieux comprendre la vie quotidienne dans et autour du monastère depuis le Xe siècle, et le rayonnement spirituel quexerce encore aujourdhui le sanctuaire perché entre ciel et eaux, proche et loin de la terre, surmonté de la statue de larchange, trait dunion entre le ciel et les hommes.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 16/06/2005 ) Imprimer | | |
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