L'actualité du livre Jeudi 28 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Histoire & Sciences sociales  ->  
Biographie
Science Politique
Sociologie / Economie
Historiographie
Témoignages et Sources Historiques
Géopolitique
Antiquité & préhistoire
Moyen-Age
Période Moderne
Période Contemporaine
Temps Présent
Histoire Générale
Poches
Dossiers thématiques
Entretiens
Portraits

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Histoire & Sciences sociales  ->  Histoire Générale  
 

C’est pas du Rimski, du Korsakov ou je ne sais qui ?...
André Lischke   Histoire de la musique russe - Des origines à la Révolution
Fayard - Les Chemins de la musique 2006 /  30 € - 196.5 ffr. / 792 pages
ISBN : 2-213-62387-2
FORMAT : 15,5cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : agrégé d’histoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Il a fait des études d’histoire et de philosophie. Après avoir été assistant à l’Institut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à l’histoire des polémiques autour des origines de l’Etat russe.
Imprimer

La titi parisienne (magnifiquement jouée par Colette Renard dans sa chanson «ça, c’est d’la musique !») pour qui seul le bal-musette était «champion !» de «la vraie musique», manquait déjà dans les années 50 d’une certaine culture de base en musique russe, mais on attendait déjà du public français, et plus seulement bourgeois, qu’il en rît, car depuis les emprunts et les entremets franco-russes, la Russie est une passion française, fût-ce sous les espèces douteuses des clichés de «l’âme russe» ou «slave». Passion nourrie à la littérature et à la musique !

A. Lischke est bien connu des auditeurs des émissions d’analyse musicale de la radio, en tant que pédagogue de la musicologie, mais il est aussi un spécialiste de Tchaïkovski et de Borodine. D’origine russe, il s’inscrit dans une tradition d’émigration russe qui a été médiatrice de sa culture en occident. Il a longtemps pensé à publier une histoire de la musique du pays de ses ancêtres pour donner aux francophones une synthèse (la première dans notre langue) sur un sujet qu’on réduit presque toujours, hors des milieux musicaux russes, à de grands compositeurs et de grandes œuvres de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Lischke s’appuie sur les musicologues et les historiens, qui ont répondu au goût et à la demande sociale de leur temps mais, s’inscrivant dans une approche historicisante et contextualisante des phénomènes, il se propose de mettre cette apogée (qui nous a conduit à «la musique russe») en perspective, de façon diachronique dans la longue durée et synchronique dans le contexte socioculturel et politique de chaque moment de cette histoire. Ce livre est aussi un hommage à une tradition qui l’a nourri (spirituellement et professionnellement), retour imaginaire de l’homme mûr et nostalgique dans la patrie de ses parents…

Car la «musique russe» de Lischke s’arrête en Octobre 17. Un tel choix relève de la liberté de l’auteur et, stricto sensu, la musique composée dans le pays ou par ses citoyens est devenue «soviétique». Il est également évident que le régime et son idéologie ont eu une influence sur la tradition nationale. Cependant on peut s’interroger sur la pertinence de la coupure. D’autant que Lischke finit par des digressions sur la musique de l’émigration après 1917! D’origine politique, la coupure est-elle adaptée à la périodisation sur le plan artistique ? Pour Lischke, oui, qui parle de rupture tragique de la tradition au moment même de la plus grande créativité (début du XXe siècle). Position paradoxale, à notre sens.

Bien des créateurs de l’époque soviétique pensent d’abord en Russes héritiers d’une riche tradition, y compris dans les nationalités périphériques, influencées par le centre slave-russe de l’empire des tsars et de l’URSS. Car même en URSS, la culture contemporaine, d’essence moderne (dans son savoir et ses techniques) et européenne, poursuit une histoire commencée depuis le XVIIe siècle et Pierre le Grand, de dialogue intense avec tous les courants de la modernité occidentale et leurs questionnements créatifs devant les origines de la musique et les traditions populaires, mais aussi devant l’évolution des sciences et des sociétés. Et il est impossible de réduire la musique soviétique dans sa totalité à la platitude d’un réalisme socialiste purement idéologique et sans aucun intérêt artistique, à moins d’en extraire tout ce qu’il y a de grand par une interprétation politique. Quant à idéaliser la liberté de création sous l’empire, il suffit de rappeler l’existence de la censure et la mort suspecte de Tchaïkovski, pour relativiser l’indépendance absolue des arts à cette époque…

Ce qui est vrai, c’est que le départ en exil de Rachmaninov, de Stravinski, sans parler d’artistes liés à la musique comme Diaghilev et Nijinski, et la poursuite de leurs œuvres dans l’émigration crée une rupture : mais à ce compte, leur musique est-elle plus "russe" que la soviétique? ? On le voit, ce qui compte, c’est l’inscription dans un héritage assumé et l'on ne peut le dénier à Prokofiev ou à Chostakovitch, et leurs sentiments politiques à l’égard du régime sont finalement secondaires sur le plan esthétique. Une autre façon de voir les choses est donc de dire que la musique russe est morte en 1917, se survivant dans un style romantique tardif, religieux ou folklorique, et que les catégories nationales tendent à perdre leur sens au XXe siècle, pour tout ce qui est novateur. Le «russe» étant, dans notre cas, une touche de références inessentielles, à un ancrage biographique du compositeur. Le propos de vulgarisation de Lischke lui fait contourner ces questions philosophiques et l'on ne lui en fera pas grief. On notera qu’en revanche il s’interroge sur l’inclusion dans l’identité «russe» de la musique ukrainienne.

L’intérêt cependant de ces mêmes questions, légitimes et essentielles, c’est de comprendre que définir nationalement procède d’un regard d’auteur qui nous convient parce qu’il partage avec le nôtre une source commune : une façon de classer la différence sur une base folklorique des particularités de la culture populaire authentique (ici slave orientale) ou dans une pensée du XIXe siècle sur la superposition d’un art européen – par son écriture, ses techniques, ses formes principales - à couleur locale empruntée au folklore et cultures populaires en voie de disparition. Acceptons donc ce regroupement «russe» de choses diverses produites en Russie ou par des Russes de diverses époques, dans divers moments de la culture du pays. Regard habituel sur la «musique classique».

La musique russe donc commence dans le milieu du monde slave oriental, de la Russie ancienne (la «Rous’»). C’est un complexe de traditions populaires – de structure mélodique souvent pentatonique - de chants véhiculant la sagesse païenne, l’expérience de la nature, des rythmes du monde connu, tout un univers que Le Sacre du printemps essaiera de reprendre, d’épopées et, à partir du XIe siècle, de liturgie orthodoxe. Laissons de côté le serpent de mer des origines de la Rous’ : le fait est qu’un ensemble de principautés dirigées par la dynastie des Rurikides, peut-être d’origine viking, vient coiffer – officiellement en 862 - les tribus slaves au IXe siècle.

On dispute du degré d’influence scandinave sur la musique «russe» : les chansons de gestes (bylines) qui exaltent les fiers guerriers «bogatyrs» parlent-elles de héros normands («varègues») dans un esprit enrichi sur le plan des thèmes et des images par l’imaginaire scandinave? Ces chants sont psalmodiés sur des gousli, sorte de lyre. Lischke présente les éléments d’information de ces dossiers riches en questions ouvertes et en débats d’interprétation, en reconnaissant que la période la plus ancienne est aussi la moins précisément documentée et donc connue. La Rous avant le XVe siècle s’inspire aussi des influences orientales des steppes, elle qui vit sous la domination de hordes mongoles puis au contact des Tartares et des Turcs… mais aussi aux frontières de l’Europe centrale, d’où lui arrivent visiteurs hongrois, allemands et slaves. Mais inspirée par les Pères lecteurs de Platon, l’Eglise est hostile, depuis le baptême du pays en 988, à toute musique profane, expression contagieuse de passions impures et de danses lubriques, sur fond de paganisme résistant. Elle prétend canaliser l’énergie populaire dans la liturgie qui est lieu et occasion de la sainte musique - a capella jusqu’à aujourd’hui – qui comme ailleurs a souvent intégré des éléments populaires locaux et s’est de plus en plus distingué du modèle (byzantin-oriental).

Ce que nous appelons naïvement musique religieuse «typiquement» russe est en fait la polyphonie d’inspiration italienne, qui à partir du XVIe et surtout du XVIIe siècle remplace l’ancien chœur monodique. Le pays s’ouvre à l’Europe de la Renaissance, peu à peu, mais (fin de la 1ère partie, «Des origines à Pierre le Grand»), c’est avec Pierre Ier qu’a lieu le grand tournant culturel et «le XVIIIe siècle» (2ème partie) est le moment, méconnu, d’une digestion en Russie des formes artistiques (le théâtre !) et musicales de l’Europe moderne : musique de cour souvent italienne, composée par des spécialistes étrangers. Quant à la «grande musique russe», elle commence (3ème partie, «L’entrée dans le siècle d’or») avec Verstovski, puis Glinka («père de la musique russe») et Dargomyjski dans la première moitié du XIXe siècle : sous l’influence de Beethoven surtout, de jeunes Russes travaillent à une musique nationale à base folklorique dans l’esprit romantique et subissent l’influence de l’opéra italien (Rossini, Donizetti) et d’étrangers prestigieux, parfois condescendants, en tournée dans l’empire des tsars de 1840 à 1870 (Schumann, Liszt, Berlioz). Alors se produit le moment d’«apogée et rayonnement» (4ème partie) avec le Groupe des 5 (Balakirev, Cui, et «les trois grands» : Borodine, Moussorgski, Rimski-Korsakov) et bien sûr Piotr Ilitch Tchaïkovski. La 5ème partie, «A la charnière de deux siècles», fait le tableau d’un âge brillant d’effervescence avec Skriabine, Rachmaninov et la musique de piano, les Ballets russes de Diaghilev, l’enseignement et l’édition de la musique...

Au final cette histoire ne comporte rien de très original sur le fond. Les courts chapitres d’histoire, par exemple, dans l’encyclopédie La musique : les hommes, les instruments, les œuvres, en 2 volumes (Larousse, 1965), signés Michel-Rostislav Hofman, (auteur d’un classique sur l’opéra russe et spécialiste cité par Lischke), sont clairs et justes sur l’art populaire, la musique d’Eglise, celle, européanisée, de cour, la musique romantique et contemporaine depuis Glinka (ce qui dépasse sur le plan chronologique, la période traitée par Lischke). Mais l’histoire de Lischke est plus riche, plus érudite et s’appuie sur une vie de lectures par un spécialiste averti, lui-même russophone et informé du dernier état des connaissances. C’est une synthèse pratique du savoir dispersé dans les études musicologiques, monographies et biographies. Celui qui voudra approfondir sur le plan technique dispose d’une riche bibliographie à jour en fin de livre (parfois en russe !).

Le lecteur cultivé appréciera une narration vivante, élégante sans aridité ni excès de technique, qui lui fera parcourir agréablement cette histoire sur la longue durée. On notera que dans son souci d’historicisation, Lischke a aussi accordé une place assez importante à la musique ancienne, généralement expédiée ; il réussit à dépeindre et caractériser chaque période et à placer les faits musicaux dans leur contexte socio-historique. Souhaitons donc succès à cette histoire, qui comblera une lacune et rendra bien des services au grand public cultivé et aux amoureux de la culture russe.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 27/06/2007 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • L’Art russe, dans la seconde moitié du XIXe siècle
       de collectif
  • Contes russes et ukrainiens
       de Michel Cadot
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd