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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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C’est pas du Rimski, du Korsakov ou je ne sais qui ?... | | | André Lischke Histoire de la musique russe - Des origines à la Révolution Fayard - Les Chemins de la musique 2006 / 30 € - 196.5 ffr. / 792 pages ISBN : 2-213-62387-2 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
La titi parisienne (magnifiquement jouée par Colette Renard dans sa chanson «ça, cest dla musique !») pour qui seul le bal-musette était «champion !» de «la vraie musique», manquait déjà dans les années 50 dune certaine culture de base en musique russe, mais on attendait déjà du public français, et plus seulement bourgeois, quil en rît, car depuis les emprunts et les entremets franco-russes, la Russie est une passion française, fût-ce sous les espèces douteuses des clichés de «lâme russe» ou «slave». Passion nourrie à la littérature et à la musique !
A. Lischke est bien connu des auditeurs des émissions danalyse musicale de la radio, en tant que pédagogue de la musicologie, mais il est aussi un spécialiste de Tchaïkovski et de Borodine. Dorigine russe, il sinscrit dans une tradition démigration russe qui a été médiatrice de sa culture en occident. Il a longtemps pensé à publier une histoire de la musique du pays de ses ancêtres pour donner aux francophones une synthèse (la première dans notre langue) sur un sujet quon réduit presque toujours, hors des milieux musicaux russes, à de grands compositeurs et de grandes uvres de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Lischke sappuie sur les musicologues et les historiens, qui ont répondu au goût et à la demande sociale de leur temps mais, sinscrivant dans une approche historicisante et contextualisante des phénomènes, il se propose de mettre cette apogée (qui nous a conduit à «la musique russe») en perspective, de façon diachronique dans la longue durée et synchronique dans le contexte socioculturel et politique de chaque moment de cette histoire. Ce livre est aussi un hommage à une tradition qui la nourri (spirituellement et professionnellement), retour imaginaire de lhomme mûr et nostalgique dans la patrie de ses parents
Car la «musique russe» de Lischke sarrête en Octobre 17. Un tel choix relève de la liberté de lauteur et, stricto sensu, la musique composée dans le pays ou par ses citoyens est devenue «soviétique». Il est également évident que le régime et son idéologie ont eu une influence sur la tradition nationale. Cependant on peut sinterroger sur la pertinence de la coupure. Dautant que Lischke finit par des digressions sur la musique de lémigration après 1917! Dorigine politique, la coupure est-elle adaptée à la périodisation sur le plan artistique ? Pour Lischke, oui, qui parle de rupture tragique de la tradition au moment même de la plus grande créativité (début du XXe siècle). Position paradoxale, à notre sens.
Bien des créateurs de lépoque soviétique pensent dabord en Russes héritiers dune riche tradition, y compris dans les nationalités périphériques, influencées par le centre slave-russe de lempire des tsars et de lURSS. Car même en URSS, la culture contemporaine, dessence moderne (dans son savoir et ses techniques) et européenne, poursuit une histoire commencée depuis le XVIIe siècle et Pierre le Grand, de dialogue intense avec tous les courants de la modernité occidentale et leurs questionnements créatifs devant les origines de la musique et les traditions populaires, mais aussi devant lévolution des sciences et des sociétés. Et il est impossible de réduire la musique soviétique dans sa totalité à la platitude dun réalisme socialiste purement idéologique et sans aucun intérêt artistique, à moins den extraire tout ce quil y a de grand par une interprétation politique. Quant à idéaliser la liberté de création sous lempire, il suffit de rappeler lexistence de la censure et la mort suspecte de Tchaïkovski, pour relativiser lindépendance absolue des arts à cette époque
Ce qui est vrai, cest que le départ en exil de Rachmaninov, de Stravinski, sans parler dartistes liés à la musique comme Diaghilev et Nijinski, et la poursuite de leurs uvres dans lémigration crée une rupture : mais à ce compte, leur musique est-elle plus "russe" que la soviétique? ? On le voit, ce qui compte, cest linscription dans un héritage assumé et l'on ne peut le dénier à Prokofiev ou à Chostakovitch, et leurs sentiments politiques à légard du régime sont finalement secondaires sur le plan esthétique. Une autre façon de voir les choses est donc de dire que la musique russe est morte en 1917, se survivant dans un style romantique tardif, religieux ou folklorique, et que les catégories nationales tendent à perdre leur sens au XXe siècle, pour tout ce qui est novateur. Le «russe» étant, dans notre cas, une touche de références inessentielles, à un ancrage biographique du compositeur. Le propos de vulgarisation de Lischke lui fait contourner ces questions philosophiques et l'on ne lui en fera pas grief. On notera quen revanche il sinterroge sur linclusion dans lidentité «russe» de la musique ukrainienne.
Lintérêt cependant de ces mêmes questions, légitimes et essentielles, cest de comprendre que définir nationalement procède dun regard dauteur qui nous convient parce quil partage avec le nôtre une source commune : une façon de classer la différence sur une base folklorique des particularités de la culture populaire authentique (ici slave orientale) ou dans une pensée du XIXe siècle sur la superposition dun art européen par son écriture, ses techniques, ses formes principales - à couleur locale empruntée au folklore et cultures populaires en voie de disparition. Acceptons donc ce regroupement «russe» de choses diverses produites en Russie ou par des Russes de diverses époques, dans divers moments de la culture du pays. Regard habituel sur la «musique classique».
La musique russe donc commence dans le milieu du monde slave oriental, de la Russie ancienne (la «Rous»). Cest un complexe de traditions populaires de structure mélodique souvent pentatonique - de chants véhiculant la sagesse païenne, lexpérience de la nature, des rythmes du monde connu, tout un univers que Le Sacre du printemps essaiera de reprendre, dépopées et, à partir du XIe siècle, de liturgie orthodoxe. Laissons de côté le serpent de mer des origines de la Rous : le fait est quun ensemble de principautés dirigées par la dynastie des Rurikides, peut-être dorigine viking, vient coiffer officiellement en 862 - les tribus slaves au IXe siècle.
On dispute du degré dinfluence scandinave sur la musique «russe» : les chansons de gestes (bylines) qui exaltent les fiers guerriers «bogatyrs» parlent-elles de héros normands («varègues») dans un esprit enrichi sur le plan des thèmes et des images par limaginaire scandinave? Ces chants sont psalmodiés sur des gousli, sorte de lyre. Lischke présente les éléments dinformation de ces dossiers riches en questions ouvertes et en débats dinterprétation, en reconnaissant que la période la plus ancienne est aussi la moins précisément documentée et donc connue. La Rous avant le XVe siècle sinspire aussi des influences orientales des steppes, elle qui vit sous la domination de hordes mongoles puis au contact des Tartares et des Turcs
mais aussi aux frontières de lEurope centrale, doù lui arrivent visiteurs hongrois, allemands et slaves. Mais inspirée par les Pères lecteurs de Platon, lEglise est hostile, depuis le baptême du pays en 988, à toute musique profane, expression contagieuse de passions impures et de danses lubriques, sur fond de paganisme résistant. Elle prétend canaliser lénergie populaire dans la liturgie qui est lieu et occasion de la sainte musique - a capella jusquà aujourdhui qui comme ailleurs a souvent intégré des éléments populaires locaux et sest de plus en plus distingué du modèle (byzantin-oriental).
Ce que nous appelons naïvement musique religieuse «typiquement» russe est en fait la polyphonie dinspiration italienne, qui à partir du XVIe et surtout du XVIIe siècle remplace lancien chur monodique. Le pays souvre à lEurope de la Renaissance, peu à peu, mais (fin de la 1ère partie, «Des origines à Pierre le Grand»), cest avec Pierre Ier qua lieu le grand tournant culturel et «le XVIIIe siècle» (2ème partie) est le moment, méconnu, dune digestion en Russie des formes artistiques (le théâtre !) et musicales de lEurope moderne : musique de cour souvent italienne, composée par des spécialistes étrangers. Quant à la «grande musique russe», elle commence (3ème partie, «Lentrée dans le siècle dor») avec Verstovski, puis Glinka («père de la musique russe») et Dargomyjski dans la première moitié du XIXe siècle : sous linfluence de Beethoven surtout, de jeunes Russes travaillent à une musique nationale à base folklorique dans lesprit romantique et subissent linfluence de lopéra italien (Rossini, Donizetti) et détrangers prestigieux, parfois condescendants, en tournée dans lempire des tsars de 1840 à 1870 (Schumann, Liszt, Berlioz). Alors se produit le moment d«apogée et rayonnement» (4ème partie) avec le Groupe des 5 (Balakirev, Cui, et «les trois grands» : Borodine, Moussorgski, Rimski-Korsakov) et bien sûr Piotr Ilitch Tchaïkovski. La 5ème partie, «A la charnière de deux siècles», fait le tableau dun âge brillant deffervescence avec Skriabine, Rachmaninov et la musique de piano, les Ballets russes de Diaghilev, lenseignement et lédition de la musique...
Au final cette histoire ne comporte rien de très original sur le fond. Les courts chapitres dhistoire, par exemple, dans lencyclopédie La musique : les hommes, les instruments, les uvres, en 2 volumes (Larousse, 1965), signés Michel-Rostislav Hofman, (auteur dun classique sur lopéra russe et spécialiste cité par Lischke), sont clairs et justes sur lart populaire, la musique dEglise, celle, européanisée, de cour, la musique romantique et contemporaine depuis Glinka (ce qui dépasse sur le plan chronologique, la période traitée par Lischke). Mais lhistoire de Lischke est plus riche, plus érudite et sappuie sur une vie de lectures par un spécialiste averti, lui-même russophone et informé du dernier état des connaissances. Cest une synthèse pratique du savoir dispersé dans les études musicologiques, monographies et biographies. Celui qui voudra approfondir sur le plan technique dispose dune riche bibliographie à jour en fin de livre (parfois en russe !).
Le lecteur cultivé appréciera une narration vivante, élégante sans aridité ni excès de technique, qui lui fera parcourir agréablement cette histoire sur la longue durée. On notera que dans son souci dhistoricisation, Lischke a aussi accordé une place assez importante à la musique ancienne, généralement expédiée ; il réussit à dépeindre et caractériser chaque période et à placer les faits musicaux dans leur contexte socio-historique. Souhaitons donc succès à cette histoire, qui comblera une lacune et rendra bien des services au grand public cultivé et aux amoureux de la culture russe.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 27/06/2007 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:L’Art russe, dans la seconde moitié du XIXe siècle de collectif Contes russes et ukrainiens de Michel Cadot | | |
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