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La part lumineuse
Elisabeth Roudinesco   La Part obscure de nous-mêmes - Une histoire des pervers
Albin Michel 2007 /  18 € - 117.9 ffr. / 229 pages
ISBN : 978-2-226-17902-9
FORMAT : 14,5cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Elisabeth Roudinesco, universitaire, auteur d'une Histoire de la psychanalyse en France, d'un livre sur Jacques Lacan, d'un Dictionnaire de la psychanalyse ou de La Famille en désordre, a été l’élève de Gilles Deleuze et de Michel de Certeau. De 1969 à 1981, elle a été membre de l’École freudienne de Paris, fondée par Jacques Lacan. Collaboratrice au journal Libération de 1986 à 1996, puis au Monde, elle a été chargée de conférences à l’EHESS et à l’EPHE.

Écrire sur la perversion est périlleux. Le mot est connoté et appelle tous les fantasmes. En général, on parle de perversion pour celui qui jouit du mal et de la destruction de soi ou de l'autre. Certes, si la perversion a toujours existé et que chaque époque l'a envisagée à sa façon, on ne peut pas relativiser le terme qui, lui, a une définition précise. Le pervers fait du démenti son mode même de subjectivation, lequel lui permet d'annihiler l'altérité de l'autre en l'instrumentalisant. Le pervers est structuré sur la mère qui fait la loi (perversion stricte) ce qui débouche sur une toute puissance infantile, une négation de la Loi symbolique qui fonde la subjectivation. L'enfant effectue une fixation inconsciente qui intervient au début de la crise œdipienne au moment où il prend conscience de la différence des sexes. Alors que pour l'enfant la puissance symbolique semblait incarnée par sa mère, il constate qu'elle n'est pas pourvue de l'organe viril et qu'elle semble donc marquée d'un manque. Pour certains enfants, cette différence apparaît insupportable et ils s'orientent vers le déni, c'est-à-dire le refus d'admettre cette différence. Le pervers se distingue par un renoncement au désir auquel il substitue une volonté de jouissance. Sigmund Freud a montré que la perversion n'est pas un mécanisme qui se situe à part de la vie sexuelle mais qu'elle en fait partie intégralement.

Elisabeth Roudinesco s'engage donc dans une histoire des pervers mais son entreprise a ses limites car on tombe sur des figures classiques, depuis le Moyen Age (Gilles de Rais) jusqu'à nos jours (le pédophile, le terroriste et bien sûr le nazi au XXe siècle), en passant par Sade ou le XIXe (l'enfant masturbateur, l'homosexuel(le), la femme hystérique). Si ces figures sont emblématiques, elles ne nous apprennent pas grand chose. Et Elisabeth Roudinesco ne semble pas faire le lien véritable entre ces différentes figures. Parfois l'exercice tourne vite au jugement fort contestable : "Sade est aussi celui qui a rendu désirable le mal, désirable la jouissance du mal, désirable la perversion en tant que telle. Jamais il ne peint le vice pour le rendre détestable." (p.61) D'ailleurs, le rendre détestable n'est pas très opérant car détester n'est pas comprendre et ce qui n'est pas compris peut être répété. Pire, Elisabeth Roudinesco essaye de faire un lien direct en la vie de Sade et son oeuvre.

Certes, si l'on a classé les homosexuels dans la catégorie de la perversion, il est facile, de nos jours, de voir le brouillard nimbant les époques passées… et d'oublier aussi le nôtre. A cet égard, Elisabeth Roudinesco sent bien qu'une nouvelle utopie a lieu : en finir avec le mal, le conflit, le destin, la démesure pour un idéal de festin tranquille de la vie organique. Mais ce discours ne risque-t-il pas d’orienter la société vers une nouvelle perversion ? Cette abolition de la perversion n'est-elle pas aussi l'indistinction entre bien et mal et donc l'instrumentalisation du monde et d'autrui à d'étranges fins ? Cette "part obscure" ne serait-elle pas devenue maintenant le propre de la lumière au lieu de l'habituelle obscurité ? C'est, comme elle le rappelle, ce qu'avaient vu des romanciers comme Balzac et Flaubert : "Rien n'était plus pervers, à leurs yeux, que cette morale positiviste visant à domestiquer les passions humaines, fussent-elles les plus transgressives." (p.107)

La dernière partie du livre est à la fois la plus virulente et la plus contestable par certains côtés. Elisabeth Roudinesco s'en prend à des figures moins classiques, comme les anthropologues qui nient les différences entre l'homme et les animaux. "Et pourtant, force est de dire, contre les primatologues que, quoi qu'il en soit, et même si l'on doit par ailleurs critiquer la notion de "propre de l'homme", jamais aucune sexualité animale ne ressemblera à celle des hommes, pour la simple raison qu'elle est dénuée de tout langage symbolique complexe, et donc de toute forme de conscience d'elle-même. C'est bien pourquoi toutes les observations sur la sexualité animale ne font que renvoyer les chercheurs à leurs présuppositions anthropomorphistes, ou, pire encore, à une tentative perverse, et parfaitement anti-darwinienne, de faire de l'homme un singe et du singe un homme. Aucune science, en effet, sauf à être perverse, ne pourra jamais prouver l'existence d'une quelconque perversion dans le règne animal. Les animaux ne connaissent ni la Loi ni la transgression de la Loi, ils ne sont ni fétichistes, ni zoophiles, ni pédophiles, ni coprophiles, ni nécrophiles, ni criminels, ni sadiques, ni masochistes, ni voyeuristes, ni exhibitionnistes, ni capables de sublimation. Ils ne sont ni transexuels, ni travestis, ni même homosexuels, bisexuels ou hétérosexuels." (pp.182-183)

Elisabeth Roudinesco attaque l'utilitariste Peter Singer qui assimile l'anormal à l'humain et en déduit que le sort que l'homme réserve à l'animal en le mangeant est de même nature que celui que les dominants ont réservé aux dominés dans l'histoire de l'humanité, qu’ils soient racistes, colonialistes, fascistes, misogynes, etc. "Mais, à y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'elle repose sur une inversion des lois de la nature conduisant à faire de l'homme, non pas un être identique à l'animal, mais le représentant d'une espèce... inférieure à celle de l'animal : un sous-animal en quelque sorte. Et du coup, pour régénérer la condition humaine, abâtardie par sa pulsion carnivore, Singer en appelle à la création d'un homme nouveau, l'"homme végétarien", seul capable, selon lui, de libérer les autres hommes - immondes mangeurs de "sandwichs au jambon" - de leur statut d'assassins. Singer pense ainsi que le fait de manger l'animal serait en soi un acte criminel aussi abject que de la torturer pour le plaisir. Aussi transforme-t-il chaque humain carnivore en complice d'un meurtre collectif semblable à une sorte de génocide" (p.187). Peter Singers en viendra même à faire l'apologie de la zoophilie, s'appuyant sur la thèse du biologiste néerlandais Midas Dekkers, en soutenant que les animaux seraient attirés par les humains. Assimilant la puissance olfactive à un véritable désir, il en appelle à la levée du tabou qui pèserait sur la zoophilie afin que les relations sexuelles entre humains et non-humains soient regardées comme aussi évidentes que celles qui unissent des humains puisque les animaux y seraient consentants !

Elisabeth Roudinesco s'en prend aussi à la disparition du mot de perversion du lexique de la psychiatrie. La perversion est vidée de sa substance et l'homme, de sa part obscure. En 1987, le terme fut remplacé par "paraphilie". Elle voit bien que le DSM (Diagnostic and Statistical Manual, outil de classification aux États-Unis pour définir les troubles mentaux) réalise sur le mode mortifère le projet d'une société sadienne : abolition des différences, réduction des sujets à des objets sous surveillance, suprématie d'une idéologie disciplinaire sur une éthique de la liberté, dissolution du sentiment de culpabilité, suppression de l'ordre du désir, etc. Elle pense même que les psychiatres comportementalistes d'aujourd'hui sont les agents puritains d'une biocratie anonyme. "Une société qui voue un tel culte à la transparence, à la surveillance et à l'abolition de sa part maudite est une société perverse." (p.197)

Il est alors étonnant qu'après une critique aussi logique, Elisabeth Roudinesco en vienne à défendre le mariage gay (voire l'homoparentalité) dans un passage fort peu argumenté : "En conséquence, on a le sentiment que le discours pervers est tenu aujourd'hui - non par les rebelles issus de la race maudite et capables de défier la Loi - mais par ceux qui veulent interdire aux anciens invertis d'accéder à un nouveau statut légal. Car c'est au nom d'une sacralisation de la différence sexuelle et de la notion de préférence d'objet que les tenants de ce discours, hostiles aux nouvelles normes, s'opposent à toute réforme du Code Civil visant à transformer le mariage en une union laïque entre deux individus, quel que soit leur sexe. Aussi valorisent-ils désormais, par une inversion du regard, cette race ténébreuse qu'ils persécutaient jadis, cherchant à maintenir coûte que coûte à sa place, de crainte de voir s'écrouler un ordre normatif qui n'est pourtant déjà que l'ombre de lui-même" (pp.198-199). Comment peut-elle défendre une telle optique qui efface les différences quand la perversion est un déni de la différence des sexes et procède comme elle le dit, d’un effacement généralisé des autres différences ? Cela semble incohérent.

Bref, le livre de Elisabeth Roudinesco est souvent pertinent mais un peu confus.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 15/02/2008 )
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