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Saint Martin : une histoire vraie | | | Olivier Guillot Saint Martin de Tours - Apôtre des pauvres Fayard 2008 / 26 € - 170.3 ffr. / 551 pages ISBN : 978-2-213-63415-9 FORMAT : 14,5cm x 22cm
L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions dhistoire des religions et dhistoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages dinitiation portant notamment sur le Moyen Age et sur lhistoire de lart. Imprimer
Malgré son impact dans lonomastique, le souvenir de celui quon désigne couramment comme «lapôtre des Gaules» est finalement peu présent, nous dit O. Guillot. Et le nouvel historien dun personnage qui en compte déjà un grand nombre invite à considérer les sources concernant lévêque de Tours avec un regard neuf, en tout cas radicalement différent de celui de Jacques Fontaine, qui a donné avec Nicole Dupré, il y a une quarantaine dannées, une édition de ces textes (Cerf, coll. «Sources chrétiennes») pour le moment définitive. Ce nest dailleurs pas la qualité de cette édition que conteste Olivier Guillot, mais son interprétation.
Cest que notre auteur accorde une fiabilité absolue à la Vita de Martin rédigée par Sulpice Sévère, et à lensemble qualifié de Dialogues présenté par le même homme de lettres, admirateur de Martin. Lhistorien sappuie notamment sur le fait que le récit de la vie, composé du vivant de son héros, a été relu, contrôlé et accepté par Martin, et il réfute avec une grande énergie lidée que les «Dialogues» ne seraient quune composition littéraire purement fictive. Il convient donc daccorder, selon lui, une confiance absolue aux épisodes rapportés dans ces sources. Et O. Guillot recherche pour chacun deux lexplication matérielle qui fonde la véracité historique des événements rapportés.
Exemple : lapparition des deux anges qui vont permettre la destruction du temple païen de Levroux que Martin navait pu persuader les habitants du lieu de démolir (Vita, chap. 14). O. Guillot, se fondant sur la description des deux envoyés du Seigneur (dominus pouvant désigner aussi bien Dieu que lempereur
), des êtres porteurs des armes habituelles des militaires, compte tenu du contexte, voit dans lépisode une simple application des édits impériaux ; si «miracle» il y a, cest simplement la simultanéité de la prière de Martin et de la mise en uvre dune politique.
La démonstration présentée ici est certes convaincante. Reste que, érigée en système, elle amène parfois à une sollicitation permanente des textes pour rendre compte de la priori : tout ce quils rapportent est vrai, sest réellement produit, il suffit den trouver lexplication et celle-ci ne manque jamais dans la relecture ici proposée.
Au long de son parcours, lauteur souligne à juste titre ce qui fait la puissance de Martin : la confiance absolue portée, par son entourage (amical ou hostile) et par lui-même, en sa virtus. Le terme, repris du latin et dont la traduction française en «vertu» ne rend pas compte, a été abondamment explicité par les actuels historiens de lhagiographie : il sagit dun pouvoir donné par Dieu à ses saints, grâce auquel ils agissent en fonction du dessein divin ; un pouvoir dont ils usent par leur volonté, leur intention, mais qui aussi, mystérieusement, émane de leur personne et peut se matérialiser, éventuellement à leur corps défendant, grâce à un simple contact avec leur personne ou leurs vêtements. Autre trait rapprochant la biographie de Martin des autres textes hagiographiques de lAntiquité tardive, le souci, chez Sulpice Sévère, dassimiler Martin aux saints martyrs et confesseurs dont le souvenir était encore vivace au IVe siècle et dont le type de témoignage passait encore dans bien des esprits comme seul fondateur de la sainteté. Le pape Grégoire le Grand suivra la même démarche quand il présentera, deux siècles plus tard, les saints de lItalie.
Séloignant à juste titre des interprétations reçues de la personnalité de Martin, O. Guillot convie aussi son lecteur à une approche plutôt négative de son rôle dévêque et de la perception quil a de la charge épiscopale. On ne peut que suivre lhistorien dans sa démonstration de ce que lévêque de Tours reste fondamentalement un ermite, privilégiant cette forme de vie retirée, bien que menée dans le compagnonnage, dont au XIe siècle encore un Robert dArbrissel fera son idéal. Martin abandonne ladministration du diocèse, jusquà lorganisation des liturgies auxquelles il ne semble participer que par devoir, à ses clercs ; doù des oppositions internes, parfaitement perceptibles dans ces textes écrits à la louange du personnage.
Quant à la postérité de Martin, on souscrira à la démonstration de lauteur qui voit dans les préceptes canoniques de la fin du Ve siècle concernant les évêques, ladoption, demeurée dailleurs assez théorique, du modèle martinien : lévêque se devrait dêtre un pauvre, condition toute contraire au rôle de chef de la cité tel quil se présente le plus souvent à la fin de lempire romain.
Jacqueline Martin-Bagnaudez ( Mis en ligne le 24/02/2009 ) Imprimer | | |
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