| Antoine Coppolani Richard Nixon Fayard 2013 / 32 € - 209.6 ffr. / 1170 pages ISBN : 978-2-213-67210-6 FORMAT : 15,3 cm × 23,5 cm
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Lhistoire politique a ses mythes, ses lieux de mémoire : le duel télévisé Nixon-Kennedy de 1960, illustre, jusquà lexcès, la rigueur de ces jugements injustes du «tribunal de lHistoire». Dun côté, Kennedy, le gentil Kennedy, à qui lon pardonnera ses mensonges, ses liens avec la mafia, ses frasques, lescalade au Vietnam, etc., et de lautre, le méchant, lodieux Nixon, le «Tricky Dick» dont les deux mandats sont résumés à la seule (et certes déplorable) affaire du Watergate. On voudrait voir, en 1960, dans la victoire électorale de Kennedy, qui avait, durant la campagne, fait la démonstration de son charisme et de son aisance, presque la victoire du bien sur le mal, selon une lecture providentialiste de la politique. Mais réduire un Richard Nixon à cette seule image médiatique est, plus quinjuste, irrationnel. Lhomme est complexe, subtil, ambigu certes, mais indéniablement, il fut un immense homme dÉtat, dont luvre, sur le plan national et international, eut sans doute bien plus de résonance que les élans du clan Kennedy. Au-delà du Watergate, du coup dÉtat Pinochet et de lombre de Kissinger, il faut souligner la politique de détente, le rapprochement avec la Chine et la fin de la guerre du Vietnam. Sans esquisser une comptabilité exempte de morale, il est bon de sinterroger sur lhomme et sur son action, hors de toute reconstruction et stéréotype.
Cest à cette relecture historienne, à la fois dense, subtile et dépassionnée, quAntoine Coppolani, professeur dhistoire à luniversité de Montpellier, se livre. Et demblée, on peut dire que cette relecture, magistrale, redonne au personnage un lustre indiscutable, tant lauteur a su combiner le souffle de lécriture et la pédagogie. Pourtant, le sujet est, du départ, douteux, et dans son introduction problématisée, qui parcourt une historiographie anglo-saxonne ample, lauteur souligne, non sans ironie, combien le «sujet» Nixon fait débat. A limage par exemple de son principal biographe américain, Stephen Ambrose, passé de la haine à ladmiration (en quelques volumes, il est vrai). Car le cas Nixon, du fait de cette lecture subjective, pose problème. Il y a pourtant matière à recherche, et lauteur a su puiser dans une masse de fonds conservés dans diverses archives (dont la fondation Nixon) ainsi que dans une bibliographie immense. Le premier défi dune biographie de Richard Nixon, cest celui de la synthèse objective. Un autre défi réside dans le dialogue qui, insensiblement, sétablit entre Nixon et son biographe, Nixon dont lautobiographie retrace les efforts et les combats, au risque de la reconstruction.
Mais Antoine Coppolani ne sest pas égaré dans ce «jardin aux sentiers qui bifurquent» - borgésien de lautobiographie nixonienne. Il suit pour cela, méthodiquement, le cours dune existence entamée en Californie, dans un milieu familial marqué par les Quakers. Et demblée, il sagit déviter les écueils de la reconstruction : Nixon se présentait comme un homme né dans la misère, marqué par des drames familiaux (la mort dun frère) et hissé à la force du poignet. La biographie nuance, relativise et montre, sans pathos, la réalité dune indéniable ascension sociale pour un homme qui, sans avoir connu la misère (mais frôlée peut être, comme étudiant), a vécu dans la difficulté et en a été marqué dans son rapport aux autres. La méritocratie, le barreau, la guerre toujours traumatisante, même si elle est vécue dans une sécurité relative sont des étapes, rapides, dans une carrière qui débouche rapidement sur la politique.
Et la politique, chez Nixon, est un apprentissage autant quun combat : de la Californie à Washington, il trace rapidement un chemin qui passe par des convictions (avec lanticommunisme comme figure de proue) autant que par un travail électoral efficace et implacable. Et comme un accomplissement, la première victoire électorale, celle de 1946, confirme le talent politique de Nixon. Cest la première rencontre avec un autre animal politique, moins méritant mais plus charismatique, Kennedy, avec lequel il entretient, jusquen 1960, des relations amicales (du moins de la part de Nixon, lauteur étant discrètement plus sceptique pour Kennedy). Le face-à-face entre les deux hommes est marquant, et illustre, sil en était besoin, leurs différences. Là où Nixon figure un stratège politique opiniâtre, Kennedy semble jouer sur la force des appareils autant que su le charisme. Au Congrès, il peut du reste continuer son apprentissage en sinitiant à la politique étrangère, avec, en arrière plan, la Guerre froide qui débute et qui va «forger» son personnage.
Jeune, motivé, ambitieux, idéologiquement inflexible et sans trop de scrupules quant aux pratiques électorales, le sénateur Nixon semble promis, en 1950, à un grand avenir. Mais cest au prix peut-être dune santé physique et mentale - que la tension fragilise. Car Antoine Coppolani pose à plusieurs reprises la question de létat mental de Nixon. De fait, la campagne présidentielle en tant que vice président de 1952, aux côtés dEisenhower, a effectivement de quoi déstabiliser un homme. On découvre les conflits, les coups fourrés, la problématique financière qui pèsent sur le candidat Nixon, peu apprécié de son président. Cest lun des intérêts de ce destin et de cette biographie de constamment revenir à lintime, au moral, autant quà la stratégie et à la mécanique politique : le «métier politique» tel quil est analysé par lauteur ne se limite pas à lidéologie et aux épisodes électoraux. La démonstration est complexe, mais maîtrisée.
Avec la vice-présidence, puis la présidence, le destin de Nixon se confond à celui de lAmérique : louvrage oscille alors entre lindividu et lhistoire - nationale et internationale. Dans le cadre théorique de la «présidence impériale», les chapitres «présidentiels» sont autant de dossiers consacrés à des questions majeures de lhistoire de la période, avec, comme un sommet, le Watergate sur lequel lauteur, comme pour les autres chapitres, offre un récit à la fois dense, complexe et bien maîtrisé. Mais cest dans les contreforts de ce destin que lon saisit alors le personnage Nixon : dans sa campagne présidentielle et sa «stratégie sudiste», dans son rapport aux médias, exacerbé au temps du Vietnam, dans ses liens avec ses conseillers (et plus largement, son rapport pathologique ? à son entourage et particulièrement Kissinger), dans ses dénis, ses distances, ses intuitions, pour ce qui sapparente à un bouleversement radical des pratiques comme des équilibres politiques américains, et même internationaux. Dans ses représentations enfin, avec, comme une ombre excessivement portée, le Watergate. Mais au-delà du scandale, lauteur (finalement séduit ?) montre ce que Nixon apporte de neuf et de révolutionnaire à son temps
La démonstration est menée de manière imparable, pédagogique (parfois à la manière dun cours thématique, mais cest le prix de la démonstration), et lappareil de notes vaste, ô combien qui sous-tend le récit éclaire lampleur de la recherche menée, dans les archives et la bibliographie. Il sagit non seulement de louvrage de référence sur le sujet et plus largement sur lhistoire de la politique intérieure et extérieur américaine de ce temps - mais, peut-être plus encore, dune réflexion solide sur le métier politique, à laune dun praticien exceptionnel.
Incontournable et magistral.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 25/03/2014 ) Imprimer | | |