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Histoire & Sciences sociales  ->  Biographie  
 

Le prix caché de la Terreur
Emmanuel de Waresquiel   Fouché : les silences de la pieuvre
Fayard Tallandier 2014 /  29,90 € - 195.85 ffr. / 830 pages
ISBN : 978-2-84734-780-7
FORMAT : 16,7 cm × 23,0 cm

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Louis XIV. Homme et roi (Tallandier, 2012), Fontainebleau. Mille ans d'histoire de France (Tallandier, 2013).
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Talleyrand et Fouché forment dans l’histoire de France un duo d’exception. Traîtres de mélodrame, «le vice appuyé sur le bras du crime», suivant la formule de Chateaubriand, ils sont aussi, dans la génération marquée par la trajectoire fulgurante de Napoléon Bonaparte, les deux seuls grands politiques au milieu d’une cohorte souvent insipide d’orateurs et de gens de loi, de hauts fonctionnaires et de commis, de courtisans et de traîneurs de sabre. Il y a dix ans, Emmanuel de Waresquiel avait donné une mémorable biographie du premier, Le Prince immobile, dont le succès fut immense et mérité ; il y a cinq ans, il publiait une non moins remarquable étude de l’épisode des Cent-Jours envisagé du point de vue royaliste, qui fut recensée dans ces colonnes ; il s’attaque aujourd’hui au deuxième homme fort du régime impérial : après Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, «tombeur» de Napoléon en 1814, voici donc Joseph Fouché, qui joua un rôle analogue en 1815.

À l’instar de sa somme sur Talleyrand, le livre que nous offre Emmanuel de Waresquiel se distingue d’abord du tout venant de la production biographique par l’ampleur de l’enquête. L’auteur a tout lu des sources imprimées anciennes et modernes, dépouillé les archives publiques et privées et pisté les documents inédits. Sa ténacité a été couronnée de succès : des pans entiers de la vie familiale de Fouché, qui le montrent sous un jour très différent du Fouché «politique», sont pour la première fois mis au jour. Mais l’enquête la plus pointilleuse ne peut rétablir les documents que l’intéressé a fait disparaître. En la matière, Fouché a été plus méthodique que Talleyrand, et bien souvent Emmanuel de Waresquiel butte sur le «nettoyage» opéré par son héros pour faire oublier son rôle dans telle ou telle opération compromettante.

Talleyrand est un aristocrate, Fouché un petit bourgeois. Le premier naît à la politique nationale en 1789, l’autre en 1792. L’un s’éclipse outre-mer durant la Terreur, l’autre, conventionnel régicide, en est un des principaux artisans. Mais par-delà des données de départ aussi dissemblables, leurs carrières suivent des lignes étonnamment parallèles pendant plus de quinze ans : tous deux, une fois la Terreur finie, souhaitent consolider les acquis de la Révolution ; tous deux accèdent au ministère sous le Directoire ; tous deux apportent un concours prudent au coup d’État du 18-Brumaire ; tous deux figurent dans le premier cercle du Premier Consul puis de l’Empereur, l’un ministre des Relations extérieures, l’autre ministre de la Police ; tous deux tentent vainement de faire prévaloir une pacification européenne qui assurerait la stabilisation du régime ; tous deux subissent la disgrâce de Napoléon ; tous deux œuvrent avec succès à sa perte ; tous deux, enfin, doivent s’effacer une fois la seconde Restauration assurée. Là, les lignes divergent. Le passé terroriste du régicide Fouché le rattrape, lui vaut l’exil et une mort solitaire et réprouvée, à Trieste, en 1820. Talleyrand, lui, reçoit, comme prix de consolation, la charge de grand chambellan de France. L’évêque apostat finit en apothéose sous la Monarchie de Juillet, négociant jusqu’au bout et dupant tout le monde, et jusqu’à Dieu lui-même.

Dans Les Silences de la pieuvre comme dans Le Prince immobile, Emmanuel de Waresquiel excelle à démonter les versions officielles de l’histoire, les hagiographies comme les portraits à charge. De l’épreuve, la figure de Fouché sort précisée sinon grandie, dépouillée de l’aura tragique que lui donne le célèbre essai de Stefan Zweig. Quand Talleyrand mène la vie libre, dépensière et apparemment oisive de l’aristocratie de cour d’avant 1789, Fouché se plaît dans son cercle de famille, économise et ne connaît d’autre divertissement que l’exercice du pouvoir. Le premier est homme de salon, le second homme de bureau. Du début à la fin, Talleyrand a eu des convictions vaguement constitutionnelles et libérales, escamotées quand le besoin s’en faisait sentir ; ni pur opportuniste, ni traître pathologique, Fouché a cru un moment à l’homme nouveau qui sortirait de la violence révolutionnaire, il a été au cœur de cette matrice d’où sont sortis tous les totalitarismes. Sous l’Empire et la Restauration, en dépit de leur rivalité pour le pouvoir, les analyses des deux hommes convergent : pour assurer la paix civile, il faut sauver les conquêtes de la Révolution tout en ralliant à la France nouvelle les nostalgiques de la France ancienne. Analyse politique dont l’avenir allait montrer la justesse, et qui offrait en outre l’avantage de conforter les positions personnelles des deux hommes…

D’une biographie à l’autre, Emmanuel de Waresquiel témoigne plus d’empathie et d’indulgence pour le prince de Bénévent que pour le duc d’Otrante. Il est vrai que le Fouché de la Terreur a beaucoup de sang sur les mains, plus que n’en eut jamais au cours de sa très longue vie politique l’habile évêque d’Autun. Mais il est un peu court de reprocher au tueur de nobles son futur titre ducal, au contempteur des riches sa fortune à venir et son domaine de Ferrières. Le virage de Fouché après Thermidor est celui de toute une classe politique qui a vu la guillotine de trop près. Les hommes qui avaient des idées en 1789 n’ont plus en 1795 que des intérêts. C’est le prix du sang versé, le prix caché de la Terreur, sur lequel ce grand Fouché nous invite à méditer.


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 21/10/2014 )
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