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Tout pour Jésus !
Stéphane-Marie Morgain   Le Père Hermann Cohen (1820-1871) - Un romantique au Carmel
Parole et silence 2019 /  35 € - 229.25 ffr. / 1055 pages
ISBN : 978-2-88959-087-2
FORMAT : 15,0 cm × 23,5 cm

L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer est conservateur général honoraire du Patrimoine et a enseigné l’histoire moderne à l’Université Paris I. Elle a récemment publié Rendez à César. L'Eglise et le pouvoir (Flammarion, 2017), Une brève histoire de l’Église. Le cas français (Flammarion 2019), ainsi que Le Parlement de Paris. Histoire d’un grand corps de l’État (avec Monique Morgat-Bonnet, Champion, 2018).
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Voici une vie qui se décline sur le mode du mimétisme : Czerny avait baptisé son élève Liszt du surnom de Putzig ; George Sand baptisera l’élève de Liszt de celui de Puzzi. Plein de grâce enfantine ou insupportable prodige, c’est lui qui, lors de la célèbre confrontation entre Liszt et Thalberg organisée en 1834 par la princesse Belgiojoso, tient le piano pour accompagner les chanteurs. Une carrière commencée sous les meilleurs auspices pour ce tout jeune Allemand né à Hambourg en 1820 dans une famille juive fortunée, au sein de laquelle il fut un enfant choyé, sinon adulé, qui arrive à Paris à 14 ans et se coule dans la vie de son professeur. Avec ses «longs cheveux flottants, paré comme une fille», il fait impression dans le monde et se laisse griser par le succès et les plaisirs.

Le pianiste prodige partage la vie mouvementée et mondaine de Liszt jusqu’à une rupture en 1841. Converti en 1847 en présence du Saint-Sacrement, il entre deux ans plus tard chez les Carmes déchaussés. Désormais, c’est le Carmel qui bénéficie de ses talents : le Père Augustin-Marie du Très Saint Sacrement (encore appelé communément Père Hermann), devenu prédicateur, toujours musicien, se fait fondateur de couvents (Carcassonne, Pamiers, Bagnères-de-Bigorre, Lyon, Tarasteix, Londres) et propagateur de l’œuvre d’Adoration au saint-Sacrement ; il continue de mener sa vie – y compris contemplative − sur le même rythme effréné. Après avoir rempli d'importantes fonctions au sein de son ordre, il obtiendra l'autorisation de vivre en ermite au «désert» de Tarasteix, à vingt kilomètres de Lourdes, mais sa vie s’interrompra brutalement en 1871 au lendemain de la guerre franco-prussienne quand il sera fauché par la variole en Allemagne où il était aumônier auprès des prisonniers français. Une page d’histoire européenne marquée par le foisonnement des mondes et des personnages et qui se termine pour cet Allemand expulsé de France par une mort prématurée au mauvais moment, le condamnant à l’oubli.

On disposait jusqu’ici de deux biographies. La principale était due au chanoine Charles Sylvain en 1881, en fait Charles Rolland, ecclésiastique tourangeau, qui l’écrivit lors d’un exil pénitentiel à Rome pour outrage à la pudeur : La Vie du Révérend Père Hermann : en religion Augustin du T.-S.-Sacrement, carme déchaussé (Paris, Librairie H. Oudin, 1881). Plus récemment, sous le titre  Flèche de feu : Le Père Augustin-Marie du Très Saint-Sacrement, Hermann Cohen. 1821-1871 (France-empire, 1981), Jean-Marie Beaurin, moine bénédictin de Fontgombault et arrière-petit-neveu de son héros, n’était pas avare de commentaires édifiants ou de jugements abrupts.

Pour les 200 ans d’Hermann Cohen, il y avait donc place pour une véritable biographie scientifique au simple et probe récit minutieux résultant de la mise en œuvre de sources dont la grande diversité donne la mesure de l’envergure insoupçonnée du personnage, et du travail accompli par son biographe pour le ressusciter. L’ouvrage du Père Morgain ne comporte pas moins d’une centaine de pages consacrées à leur énumération ainsi qu’à celle de la bibliographie (pp.871-974). Les innombrables anecdotes qui émaillent la vie d’Hermann Cohen y sont fondues dans le récit minutieux (et on remerciera l’éditeur d’avoir fait figurer l’annotation en bas de page) d’une vie qui ne couvre pourtant qu’un demi-siècle avec cette coupure radicale de la conversion, et qui fait la part plus belle à la vie religieuse comme le laisse pressentir son titre. Sous le titre de L’Indépendant (on y reviendra), 150 pages retracent la première partie de cette vie mouvementée et plus de 600 sont consacrées au parcours ecclésiastique, complétées par un dictionnaire biographique de même tonalité. Une grande page d’histoire du Carmel au service de la cause d’une béatification espérée.

Si les aspects ecclésiastiques l’emportent sur la dimension musicale, la figure évoquée reste très attachante ; son exhumation pose de multiples questions et rejoint de grands dossiers historiques. Celui de l’émancipation des juifs d’Europe dans le sillage de la Révolution française et de l’œuvre institutionnelle de Napoléon. Celui des conversions dans le sillage de Liszt et d’Alphonse de Ratisbonne. Celui de la caractérisation stylistique de l’individualité romantique et musicale d’un enfant dont on ne saurait assez souligner, suite à l’absence du père, l’influence de sa mère et de son maître ou les effets de son exposition aux idées du temps, et d’un musicien dont il resterait, pour en juger, à ressusciter la musique bien oubliée (la biographie appellerait le complément d’un CD).

Les sermons (dont l’édition par le Père Stéphane-Marie Morgain est annoncée au Éditions du Carmel pour avril 2020) peuvent être invoqués à l’appui de la connaissance de leur auteur : «Son discours est celui de la persuasion de la foi utilisée avec autorité. Son éloquence ne vient pas de la compilation d’ouvrages de théologie, mais du cœur tourné vers le Verbe fait chair» ; il vire au témoignage personnel et à l’expression d’une urgente et angoissante nécessité : «L’itinérance folle du prédicateur à la santé fragile ne peut se comprendre qu’à l’intérieur de cette angoisse et de ce besoin irrépressible de partager aux hommes endormis ou égarés sur une voie sans issue la source du bonheur». «Oui, je suis si heureux que je viens vous offrir, que je viens vous prier, vous supplier de partager avec moi ce trop-plein de bonheur !», s’exclame-t-il dans un sermon de 1854. Ajoutons que la prestation n’est pas que d’éloquence, puisqu’aussitôt après le musicien, organiste et compositeur de cantiques, se fait entendre pour transformer l’essai. Et, au-delà de ces sermons qu'il prêche, de ces cantiques dont il écrit la musique (il est l’auteur du premier cantique en l’honneur de Notre-Dame de Lourdes dont il est un miraculé) et d’une vie aux allures d’incessante course d’obstacles effrénée, c'est en fin de compte le contemplatif qui revendique sa vocation. «Tout pour Jésus !» est l’incipit des nombreuses lettres de cet «acteur tiraillé, mais aussi réconcilié, entre le milieu artistique de la période romantique et la spiritualité».

Avancée décisive de la connaissance du personnage et de ses contemporains, la somme de Stéphane-Marie Morgain donnera sans doute matière à approfondissement d’une psychologie (ou d’une pathologie) dont les manifestations y sont minutieusement décrites : à sa lecture, on ne peut en effet manquer de souligner les rapports mimétiques et conflictuels qu’entretient Hermann Cohen : Liszt, Ratisbonne, ou encore Rancé, mais aussi sa mère et ses origines, le monde des salons, ses multiples maladies y compris une guérison miraculeuse à Lourdes. On pourrait sans doute relire sa conversion comme une soumission à un absolu qui lui permet d’échapper à toutes ces tutelles qui pesèrent sur des jeunes années que l’on ne saurait, dans cette perspective, définir par leur indépendance.

La rigueur de la recherche doit alors céder la place à l’imaginaire de la lecture prôné par Marcel Proust : «Car bien souvent pour l’historien, même pour l’érudit, cette vérité qu’ils vont chercher au loin dans un livre est moins, à proprement parler, la vérité elle-même que son indice ou sa preuve, laissant par conséquent place à une autre vérité qu’elle annonce ou qu’elle vérifie et qui, elle, est du moins une création individuelle de leur esprit» (Sur la lecture, 1906, p.24).

Toute vie est un mystère ; au lecteur d’en proposer sa résolution. En l’espèce, la rigueur de S.-M. Morgain se révèle sans doute nécessaire pour contenir la fougue romantique d’une personnalité qui donnera matière à psychanalyse et/ou à béatification.


Françoise Hildesheimer
( Mis en ligne le 16/10/2019 )
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