Emmanuel Pénicaut - Ministre et secrétaire d'État de la guerre de Louis XIV Ecole nationale des chartes 2004 / 45 € - 294.75 ffr. / 518 pages ISBN : 290079174X
Préface de Lucien Bély.
L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV).
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Dans la lignée des études récentes sur les institutions de lépoque moderne, à la suite des très utiles biographies de Pomponne de Bellièvre (1998) ou du comte dArgenson (1999) publiées aux mêmes éditions, Emmanuel Pénicaut, archiviste-paléographe et désormais conservateur du patrimoine au ministère de la Défense, ajoute sa pierre à lédifice grâce à son Michel Chamillart.
Ce dernier fait partie, comme le dit plaisamment Lucien Bély, préfacier du volume, des «inconnus illustres» qui ont besoin quune étude particulière les sortent de lombre où ils étaient injustement ? − tombés. Chamillart (1654-1721) a pourtant tout pour faire travailler limaginaire : choisi par le seul Louis XIV à une époque où les grands ministres sont morts, il cumule les charges de Colbert et de Louvois ; parti de peu de choses, il sélève jusquaux plus hautes charges avant dêtre frappé par la disgrâce royale.
C'est un pur produit de lascension sociale dAncien Régime sétendant sur plusieurs génération : son arrière-grand-père est un bourgeois gentilhomme de Sens, son grand-père fait sa place dans la robe parisienne, son père devient client de Colbert, procureur général au procès Fouquet puis intendant. Né en 1654, Michel Chamillart obtient dabord une commende de prieuré puis part dans la voie tracée par son père en achetant un office au parlement de Paris. Ayant peu dappuis, il se marie à sa cousine et sinstalle confortablement. Cest en 1684 que sa vie bascule grâce à la rencontre du roi qui se prend damitié pour lui (à la faveur dune partie de billard, dit-on). Sa carrière prend un autre tour et saccélère : il devient alors maître des requêtes, intendant puis, en 1690, intendant des finances. Cet homme seul découvre alors le monde des financiers et acquiert lamitié de Madame de Maintenon, appui essentiel. Cette montée en puissance se traduit en 1699 par laccession à une très haute charge : le roi le nomme contrôleur général des finances à la démission de Louis de Pontchartrain. Cest là un poste de premier plan car la guerre de Succession dEspagne amène à un énorme besoin dargent auquel Chamillart répond largement par le système de l«extraordinaire». Son poids augmente encore en 1701 quand il est choisi pour succéder à Barbezieux au secrétaire d'État à la guerre. Désormais, il ne finance pas seulement les opérations mais il les mène et les gère, ce qui nest pas aisé en cette époque de difficultés militaires. Au fur et à mesure de laccumulation des revers sur les champs de bataille et des dettes pour le trésor royal, des voix sélèvent contre le ministre que sa démission du contrôle général en 1708 ne parvient pas à faire taire. Le Grand hiver et les dernières défaites ont raison de lui : le roi, poussé par la cour et par lopinion, lui retire sa confiance, ce qui est extrêmement rare pour Louis XIV, ce qui montre également que le Roi-Soleil nest plus si absolu. Il se retira et vécut en particulier, auprès de sa femme bibliophile. Ni son fils, ni les deux ducs auxquels avaient été mariées ses filles nauront répondu à ses attentes.
Chamillart aura été le parangon du ministre choisi par le roi. Il nest pas un héritier, son entourage est restreint, sa clientèle peu importante, il na pas une grande personnalité ni un grand esprit ; pourtant il a fait dimportantes réformes et sinsère parfaitement dans cette époque qui voit «ladministration prendre le pas sur la clientèle».
Lentreprise dEmmanuel Pénicaut est large : il sagit danalyser tous les aspects du personnage, tant publics que privés. Le livre sarticule donc en trois grandes parties devenues classiques pour les biographies universitaires. La première («itinéraire dun favori») est une biographie au sens courant du terme, retraçant la vie de lhomme au sein de sa famille et de la société de lépoque. Suit une fine analyse du travail dun ministre de la fin du règne de Louis XIV («un ministre au travail»), tant avec le roi quau sein de ladministration de la guerre. Enfin, une troisième partie est consacrée à lhomme privé et la gestion de ses biens («la fortune de Michel Chamillart»). Il est remarquable davoir pu traiter des aspects si différents du personnage en un seul volume ; la deuxième partie joue le rôle darrêt sur image sur la partie la plus importante de la vie de lhomme : la petite décennie au cours de laquelle il est lun des principaux personnages de lÉtat, même si la contrepartie est de passer un peu rapidement sur son ascension. Enfin on ne comprendrait pas ce quest un ministre du Roi Soleil si lon ne prenait pas en compte les bouleversements induits dans la vie de la famille et la formidable richesse qui accompagnait la grâce royale, et se retirait avec elle.
Le sujet étant presque entièrement vierge de recherches, la grande réussite dEmmanuel Pénicaut réside dans son extraordinaire documentation : la lecture de près de 150 ouvrages lui a permis de faire la synthèse des connaissances et surtout un gigantesque travail en archives lui a donné la matière première pour un livre apportant de nombreuses analyses et données factuelles inédites. Emmanuel Pénicaut, en tant que chartiste et, aujourdhui, que conservateur du patrimoine, connaît en effet très bien les archives : il a travaillé dans tous les grands dépôts pour cet ouvrage (Archives nationales, Service Historique de lArmée de Terre, BnF, diverses bibliothèques parisiennes), ne négligeant pas pour autant les Archives départementales de la Sarthe ou de lYonne, jusquà avoir recours à des collections privées.
Ecrit dans un style sobre et plaisant, le livre, grâce également à sa typographie élégante et aérée, est agréable à lire. Il est agrémenté de très nombreuses notes qui permettent au lecteur exigeant de suivre le raisonnement point par point et de se reporter aux sources, enrichies de pièces justificatives, dun index, de tableaux généalogiques et de planches photographiques. On pourra seulement regretter que la prosopographie des commis de Chamillart au département de la guerre, complément naturel de létude, ait fait lobjet dune publication à part, dans un périodique.
Cette étude est donc particulièrement bienvenue. A la fois en elle-même, pour ce quelle apporte comme connaissances sur sa figure centrale et sur le fonctionnement de lappareil politique dans les dernières années du règne du Roi-Soleil, et, à plus large échelle, comme contribution à létude du personnel politique du Grand siècle : la comparaison de Michel Chamillart avec les autres ministres étudiés dans le passé ou dans lavenir sera, nen doutons pas, extrêmement fructueuse.
Emmanuel Pénicaut ne néglige jamais le côté social du politique, il explicite et questionne les liens qui existent entre la société et le pouvoir, nous trace le portrait dun ministre dans lentourage de sa famille et de sa société et nous conte ainsi, avec toujours une grande finesse danalyse, «léchec Chamillart».
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 14/02/2005 ) Imprimer |