| Jean-Christian Petitfils Louis XVI - Coffret 2 tomes Perrin - Tempus 2010 / 23 € - 150.65 ffr. / 1455 pages ISBN : 978-2-262-03396-5 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en avril 2005 (Perrin)
2 Tomes également disponibles séparément :
- Tome 1 : 1754-1786, 756 p., 11,50 , ISBN : 978-2-262-03430-6
- Tome 2 : 1786-1793, 692 p., 11,50 , ISBN : 978-2-262-03431-3
L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye poursuit une thèse consacrée au fils de Louis XIV sous la direction du professeur Joël Cornette à lUniversité Paris-VIII. Imprimer
Tout na-t-il pas été dit sur Louis XVI ? Pour les uns, roi martyr de la sauvagerie révolutionnaire, pour les autres, roi incapable et faible, Louis XVI cristallise les passions françaises. Au moment même où un ouvrage de François Dosse démontre avec brio toute la fécondité du genre biographique (Le Pari biographique, La Découverte, 2005), Jean-Christian Petitfils signait une étude admirable consacrée à Louis XVI (aujourd'hui en format poche).
Au fait des débats historiographiques les plus récents, doué dun sens certain de la synthèse, maniant notre langue avec la plus grande des élégances, lauteur éclaire dun jour nouveau le règne et la figure de Louis XVI. Critique sur les sources habituellement utilisées par les historiens, cette enquête, qui sétend sur plus de mille pages, fait la part belle à une documentation souvent délaissée. Nous ne citerons que les Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI de Jean-Louis Soulavie, lune des rares personnes qui a eu accès aux papiers personnels du roi après son incarcération au Temple. Rompu à la science politique, auteur de nombreuses biographies, notamment une consacrée à Louis XIV (Perrin, Tempus, 2002), Jean-Christian Petitfils présente un souverain parfaitement clairvoyant. Louis XVI ne souhaitait en fait rien de moins quune politique volontariste, réformiste même, afin de répondre aux tensions de la société, apparus au milieu du XVIIIe siècle.
Le récit souvre ainsi sur une description admirable et novatrice de la situation sociopolitique léguée par Louis XV à son petit-fils. La monarchie absolue, construite sur le modèle louis-quatorzien, ne faisait plus lunanimité si elle ne leut jamais faite. Remettant en cause la thèse de Tocqueville sur la continuité de lAncien Régime et de la Révolution, lauteur montre que toute une frange de laristocratie aspirait à retrouver une place de premier choix dans les Conseils. Les parlementaires, quant à eux, soucieux de préserver leurs privilèges en limitant le pouvoir du roi, tentaient de sériger en représentants de la Nation que le roi seul était supposé incarner. Cette opposition sest nourrie du développement fulgurant de lopinion publique. Que ce soit dans les salons, dans les cafés, où dans les feuilles, ancêtres de nos journaux, on se plaisait à prendre parti pour les uns et les autres, et même à discuter de la conduite du royaume, domaine relevant jusque-là des mystères de lEtat. Or, la monarchie narrivait pas à rompre le front uni qui se dressait contre elle. Louis XV, quelques années avant de mourir, pressentant le danger, exila les parlements.
Mais Louis XVI, admirateur dun père qui ne lavait pas toujours considéré, écrasé quelque peu par lauguste figure de son grand-père qui le tint soigneusement à lécart du pouvoir, était particulièrement inexpérimenté au début de son règne, en dépit dun savoir encyclopédique. Insaisissable, faible sans être mou, irrésolu sans se soustraire à ses devoirs de souverain, il rappela les Parlements sur les conseils de Maurepas, homme sans caractère et avide de pouvoir. Lopposition pouvait reprendre de plus belle avec cette fois la ferme intention de rabaisser le trône. Ce fut sans doute la plus grande erreur du règne.
A la lecture de louvrage, on comprend à quel point Louis XVI goûta la solitude du pouvoir. Faute de relais dans lopinion, caricaturé à merci par les privilégiés qui voulaient voir dans ses mesures les derniers avatars du despotisme royal, le roi narriva jamais à fédérer autour de lui les forces du changement. Sensible à lamour de son peuple, le roi joua lalliance avec le Tiers. Turgot, le physiocrate, essaya dinstaurer la liberté des grains. Necker, le banquier genevois, présenta un projet dassemblées locales qui devaient voter limpôt et le répartir. Dans cette ébauche de représentation, le Parlement sinquiéta de voir son pouvoir menacé ; les aristocrates sindignèrent de la disparition de la société dordre ; les clans de la cour samusèrent au petit jeu des rivalités de personnes pour faire tomber les ministres. La responsabilité de Louis XVI tient indéniablement dans son incapacité à soutenir durablement, contre vents et marées, les hommes dont il sétait entiché. Manipulé, influençable, avec ce manque de confiance quon lui connaissant depuis lenfance, il ne se posait plus en point déquilibre.
Certes, il ny eut pas que des échecs. Le roi simpliqua dans la politique étrangère. Scrupuleusement arc-bouté sur le droit, il préserva les équilibres continentaux et sut se jouer admirablement de lAngleterre dans laffaire de lindépendance américaine. Libres, les États-Unis dAmérique surent néanmoins rapidement sentendre avec lAngleterre tandis que la France, faute davoir ménagé ses dépenses militaires, était criblée de dettes.
Jean-Christian Petitfils sarrête longuement sur la dernière véritable tentative de réforme du roi. Il confia cette tâche à Calonne qui, en 1786, eut pour charge dinitier ce que lauteur nhésite pas à qualifier de révolution royale. Un impôt permanent devait frapper tous les revenus fonciers, quelle que soit la qualité de leur propriétaire. Cette mesure audacieuse aurait permis sans doute de remettre à flot le Trésor et surtout de transformer la société dordres en une société de classes. Le roi attendit un soutien du Tiers qui ne vint pas. Il céda une nouvelle fois. Cette année 1786 marque pour lauteur le début de la Révolution. Louis XVI senfonça alors dans un profond isolement, prenant chaque jour un peu plus la figure que lhistoire a le plus souvent retenue de lui : indécis, silencieux, personnage tragique qui marcha à léchafaud, résigné. Linfluence de Marie-Antoinette, jusque-là contenue, ne fit que grandir.
Toutes les conditions de la chute étaient réunies. Profondément affecté par la mort de son fils, le roi senferma à Marly, isolé des États Généraux par son frère, le comte dArtois, partisan dune réaction armée. Tout au long de ce mois de juin 1789, le Tiers espéra un geste du roi. Découragé, il crut à un double jeu. La révolte était alors inévitable. Prisonnier des parisiens, le roi décida de partir en juin 1791 lorsquil eut la conviction de ne plus peser sur la marche des choses. Sa retraite à Montmédy devait lui permettre de négocier avec lAssemblée en position de force. Ce fut léchec que lon connaît. Il ne restait plus à Louis XVI quà mourir dignement après un procès qui condamna moins ses actes que sa nature royale.
Tout au long de cette biographie, Jean-Christian Petitfils nuance les thèses libérales de François Furet dans ce style ciselé qui donne aux lectures des grands livres dhistoire un plaisir infini.
Matthieu Lahaye ( Mis en ligne le 30/11/2010 ) Imprimer
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