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Un prince charmant
François Kersaudy   Lord Mountbatten - L'étoffe des héros
Payot - Biographie Payot 2006 /  25 € - 163.75 ffr. / 413 pages
ISBN : 2-228-90064-8
FORMAT : 14,0cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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Dans l’histoire du XXe siècle, Louis Mountbatten (1900-1979) est un personnage certes important, mais bizarrement pas de premier plan : brillant chef de guerre, diplomate habile et homme du monde accompli, Lord Mountbatten fut pourtant aux premières loges de l’histoire anglaise et européenne, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la décolonisation et la guerre froide.

Professeur à l’université Paris I et auteur d’ouvrages importants sur le rapport entre guerre et diplomatie, François Kersaudy s’est intéressé à cette figure célèbre, mais pas forcément bien connue. Avec Lord Mountbatten, l’étoffe des héros, il livre - à partir d’une bibliographie principalement anglo-saxonne, de quelques archives publiées et de fonds publics - une belle biographie, assez classique, centrée sur les hauts faits et la vie publique, et de ce fait très accessible, d’un personnage haut en couleurs et aux facettes multiples.

L’histoire des Mountbatten s’apparente quelque peu à celle des Windsor (ils sont d’ailleurs cousins) : aristocrates d’origine germanique implantés par mariage en Angleterre, ils se trouvent contraints par la Grande Guerre à angliciser leur patronyme (le Battenberg hessois devient Mountbatten), non sans en subir le prix (ainsi, Mountbatten père, aussi brillant marin soit-il, est poussé brutalement vers une retraite plus qu’anticipée de 1er lord de l’amirauté). Cette connivence de destin fait que Louis Mountbatten, Dickie pour les intimes, sera fréquemment dans les pas de la monarchie, ami fidèle des princes et des rois. Faut-il pour autant le réduire à un courtisan habile autant qu’ambitieux, parvenu au faîte des honneurs par calcul… ? Ce serait ignorer le parcours scolaire et militaire exemplaire (il sort major de son école d’application d’officier de transmission), un courage réel (notamment en mer) qui confine à la témérité.

Bizarrement, sa capacité à se sortir de situations dangereuses n’a d’égale que sa propension à s’y mettre. Si sa carrière militaire en temps de paix doit beaucoup à son énergie, son inventivité et ses aptitudes, c’est la guerre qui le révèle : passé une phase navale plutôt coûteuse en marins, il fait merveille comme patron du DCO (la direction des opérations combinées terre-air-mer) avant de s’illustrer tout aussi brillament comme commandant suprême («supremo») sur le front du sud Est asiatique, et l’on suit avec F. Kersaudy les grandes lignes de cette action militaro-administrative. Mais son énergie se heurte alors aux exigences du front européen. La paix asiatique – en partie due à la bombe A – le transforme en un gouverneur militaire censé gérer un immense territoire encore occupé par des troupes japonaises qu’il faut parfois associer à la gestion. Asie, année zéro.

Mais que faire d’un homme comme lui en temps de paix ? Il se verrait bien reprendre la mer, en charge de l’escadre de Méditerranée… Le modèle paternel demeure, comme une obsession. Mais le destin et Clement Atlee en décident autrement. L’Inde tourne mal, entre hindouistes, sikhs et musulmans prêts à entrer en guerre civile : il lui faut un vice-roi subtilement diplomate, capable de mener en douceur l’Inde - unifiée - vers l’indépendance. Qui d’autre que Mountbatten pourrait concilier Gandhi (qui déstabilise Mountbatten, chose rare), Nehru (indiscutablement séduit) ou encore Jinnah sans désespérer Downing street ? Entouré d’un état-major de crise, le nouveau vice-roi s’engage au pas de charge dans une décolonisation pacifique, jouant à merveille de son couple (son épouse, Edwina, s’est imposée pendant la guerre dans l’humanitaire, à la tête d’une délégation du Comité International de la Croix Rouge). Et face aux réalités politico-ethnico-religieuses indiennes, il parvient à faire admettre à tous, non sans difficultés («vers l’Orient mystérieux…») une solution naguère inconcevable : la partition pacifique de l’Inde et du Pakistan. Churchill lui-même s’y prètera, non sans pester. L’Inde, indépendante et reconnaissante, lui confiera même le premier poste de gouverneur général, non sans recourir à ses conseils (ou plutôt ses talents de stratège) quand les violences intercommunautaires menacent la structure même du pays, puis quand le Cachemire commence à faire parler de lui. Et l’on s’amuse un peu, avec F. Kersaudy, à voir cet homme habile confronté à un continent, sa culture et son inertie.

Mais comme dans tous les contes de fées, le héros finit par retrouver son monde, à savoir, pour Mountbatten, la mer qu’il chérit. Continuant son cursus honorum, le vice-amiral achève sa carrière de marin comme 1er lord et inaugure même le poste de chef d’etat major des armées anglaises, poste dans lequel il fait sa petite révolution culturelle, et surtout administrative, de l’armée sur le modèle du DCO de la guerre. Encore une fois, l’entregent, l’habileté de Mountbatten font merveille pour briser les résistances internes (mais il y a là un thème à développer, tant l’histoire militaire anglaise contemporaine nous échappe). C’est couvert d’honneurs et de médailles (car l’homme est aussi extrêmement sensible à la reconnaissance officielle, et assez vaniteux) qu’il quitte une carrière impressionnante… avant de finir assassiné par des terroristes de l’IRA, qui trouvent dans un retraité de 79 ans une cible digne de leur courage.

La lecture est agréable, et au rythme empressé de Mountbatten, on parcourt tout le XXe siècle anglais, depuis Victoria jusqu’à la fin de l’empire des Indes, en croisant au passage quelques sommités vue du regard de l’intime. On le suit facilement, à la trace d’une ambition insatiable, adossée il est vrai à d’incontestables capacités : petit dernier capricieux, aspirant travailleur et plein de ressources, mondain infatigable, courtisan habile, soldat plus courageux que prudent, diplomate né. Sa carrière se bâtit autour de deux personnages : un soldat, exigeant pour lui comme pour les autres, meneur d’hommes efficace, très apprécié de Churchill, et un play boy richissime (après son mariage en 1922) lié à tout ce que le monde compte de célébrités, conseiller du prince à ses heures perdues.

Le ton est en sympathie, au risque parfois de l’hagiographie : manifestement, F. Kersaudy a été la dernière victime du charme incontestable de «Dickie» (et sans doute du ton de la biographie «officielle» de Ziegler, qui a bénéficié des papiers privés du comte) et l’on se demande parfois si la réalité n’est pas un peu embellie (du reste, F. Kersaudy le constate lui-même à maintes reprises). Mais telle quelle, cette fresque anglaise dans le sillage de Mountbatten est un ouvrage à la fois fort utile pour les amateurs d’histoire anglaise, qui y trouveront une mine de faits, de rencontres, d’anecdotes et d’explications, et très distrayant, le roman d’une vie.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 04/10/2006 )
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