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Vie heureuse d’un Tragique | | | Jacques Jouanna Sophocle Fayard 2007 / 30 € - 196.5 ffr. / 906 pages ISBN : 978-2-213-60384-1 FORMAT : 14,5cm x 22,0cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Les biographies Fayard senrichissent dun nouveau titre consacré à lun des trois Tragiques Grecs du Ve siècle av. J.-C. dont nous ayons conservé des pièces complètes, Sophocle. Jacques Jouanna, membre de lInstitut, professeur émérite de littérature et civilisation grecques à lUniversité Paris IV-La Sorbonne, a dailleurs déjà publié une biographie dHippocrate dans la même collection (1992). Spécialiste de la médecine grecque, il a aussi beaucoup travaillé sur la tragédie, notamment sur Sophocle.
La première partie de louvrage est consacrée à la vie même de Sophocle. Le chapitre premier sintéresse tout naturellement à sa jeunesse. Le dramaturge, fils dun certain Sophillos qui était peut-être un artisan, est né dans le dème de Colone (où il fixera laction de lune de ses tragédies sur dipe), connu pour son sanctuaire des déesses Vénérables (Semnai), entre 497 et 494 av. J.-C. Bien quon nait guère dindications sur sa formation intellectuelle, il acquit une immense culture qui le rendait particulièrement brillant dans les banquets. Il obtint aussi des prix athlétiques et musicaux. Il chanta et dansa ainsi en public pour célébrer la victoire de Salamine. Le second chapitre traite de lhomme politique que fut aussi lauteur dAntigone. Il exerça sa première charge publique (celle dhellénotame, «trésorier des Grecs») alors quil avait déjà atteint la cinquantaine. Il fut ensuite plusieurs fois stratège. A ce titre, il participa, avec Périclès, à lexpédition dAthènes contre lîle de Samos qui sétait révoltée. Il fut aussi le collègue de Nicias pendant la guerre du Péloponnèse. Il fit également partie du collège qui vota en 411 av. J.-C. létablissement du régime oligarchique dit «des Quatre Cents», même sil sy opposa par la suite. Il appartenait en effet aux modérés, aussi éloignés des démagogues bellicistes que des oligarques prolacédémoniens.
Le troisième chapitre montre que Sophocle fut un homme profondément religieux. Il avait la réputation dêtre aimé des dieux. Une anecdote le met en rapport avec la fondation dun culte dHéraclès. Il fut prêtre du héros guérisseur Halon. Mais cest surtout dans le culte dAsclépios, le dieu de la médecine, quil joua un rôle important. Il contribua à introduire à Athènes le culte de cette divinité venue dEpidaure dans les années 420 av. J.-C (il accueillit ainsi la représentation du dieu dans sa propre maison, avant la construction de son sanctuaire). En récompense, il fut héroïsé après sa mort (il fut lobjet dun culte sous le nom de Dexion).
Le quatrième chapitre a pour objet la carrière théâtrale de Sophocle. Cette carrière débute triomphalement, car le poète remporte sa première victoire dans le concours de tragédies dès sa première participation, en 468 av. J.-C. A vingt-huit ans, il vole ainsi la vedette au vieil Eschyle. Au reste, de tous les auteurs tragiques grecs, Sophocle est celui qui a été le plus souvent victorieux : les rares fois où il ne remporta pas la première place, il fut deuxième (ainsi pour dipe Roi, considéré pourtant dès lAntiquité comme son chef-duvre). Sa carrière théâtrale (un peu plus de soixante ans) fut plus longue que celles dEschyle (pas tout à fait trente ans) et dEuripide (qui, bien que plus jeune, mourut avant lui). Le cinquième chapitre sintéresse aux dernières années de la vie de Sophocle, à sa mort à plus de quatre-vingt-dix ans (en 406 ou 405), à ses funérailles et aux hommages publics qui lui ont été rendus, à sa postérité familiale (son fils Iophon et son petit-fils Sophocle le Jeune ont été également des auteurs tragiques), et à ses portraits dans la sculpture et la peinture.
La seconde partie, «Sophocle le tragique» est plutôt consacrée à luvre quà lhomme. On na conservé de lui que sept pièces (Ajax, Les Trachiniennes, Antigone, dipe Roi, Electre, Philoctète et dipe à Colone) sur cent vingt-trois ou cent-trente. Il a écrit également des élégies, des épigrammes et des péans, ainsi quun traité en prose sur le chur, qui nont pas été conservés. Le premier chapitre expose limaginaire mythique dans les pièces de Sophocle. Trois dentre elles (dipe Roi, Antigone, dipe à Colone) concernent les Labdacides, la maison royale de Thèbes. Electre sinsère dans la geste des Atrides, dont deux représentants (Agamemnon et Ménélas) jouent également un rôle dans Ajax et Philoctète, qui se déroulent pendant la guerre de Troie. Les Trachiniennes sintègrent dans la légende dHéraclès.
Dans le théâtre de Sophocle, loracle de Delphes tient une place très importante, de même quAthènes. Le deuxième chapitre sintéresse à lespace du théâtre et au spectacle tragique, rappelant que les pièces trouvaient leur place dans les célébrations des fêtes dionysiaques (Lénéennes et Grandes Dionysies). Il analyse les aspects matériels de la performance, les rôles respectifs du chorège et de lauteur, la forme de lorchestra et de la scène, la répartition des rôles entre le chur et les acteurs (protagoniste, deutéragoniste et tritagoniste), sans oublier les jeux scéniques (utilisation de leccyclème, de la méchanè, du théologeion
). Le troisième chapitre traite du temps et de laction dans la tragédie. Parole et chant alternent dans le déroulement de la représentation : le début de la tragédie (prologue) est une partie parlée, de même que les épisodes et la fin de la tragédie (exodos). La parodos constitue le chant darrivée du chur lorsquil pénètre par une entrée latérale dans lorchestra, tandis que tout autre chant, une fois le chur installé, forme un stasimon. Les acteurs peuvent également chanter (cest toujours le cas, à un moment ou à une autre, du personnage principal), surtout dans certains dialogues avec le chur, par exemple les commoi, qui constituent des lamentations communes. Certaines scènes sont typiques du théâtre grec (on les retrouve chez Eschyle et Euripide) : scène de messager, ou scène dagôn entre deux personnages (ainsi le célèbre dialogue entre Créon et Antigone).
Le quatrième chapitre porte sur les personnages. La tragédie ne présente pas que des rois et des héros ; la présence des humbles (messagers, suivantes, serviteurs
) ne doit pas non plus être négligée, dans la mesure où elle relance souvent laction (ainsi le messager corinthien et le berger thébain dans dipe Roi, dont la confrontation révèle les véritables origines ddipe). Si lon peut noter un certain silence des femmes mariées (Jocaste, Eurydice et Déjanire juste avant leur suicide), il faut néanmoins mentionner lhéroïsme des jeunes filles (Electre et Antigone). Les mêmes personnages peuvent se retrouver dans diverses tragédies, et recevoir un traitement différent (ainsi Créon dans les trois tragédies de la geste des Labdacides, mais aussi Ulysse dans Ajax et Philoctète). Le chapitre suivant sintéresse à des personnages un peu particuliers, les dieux. Héraclès et Athéna sont physiquement présents dans Philoctète et Ajax, les hommes mortels entendant leur voix. Les divinités peuvent aussi être indirectement représentées par les devins (Tirésias à Thèbes) et les oracles (celui dApollon à Delphes, mais aussi celui de Zeus à Dodone), même si la véracité de leurs prédictions est parfois mise en doute par certains personnages. Les dieux peuvent également être longuement invoqués, comme le fait le chur pour Dionysos dans Antigone. Enfin, le sixième chapitre, «Voir, entendre et comprendre», traite de lironie tragique et des prises de conscience dans le théâtre sophocléen. La conclusion opère une ouverture sur la réception de luvre de Sophocle, de la mort du poète à lépoque contemporaine, en passant par la Renaissance et la période moderne.
Le corps du texte est complété par des annexes fort utiles. La première expose le synopsis des sept tragédies conservées, tandis quune deuxième sintéresse aux fragments. Viennent ensuite une présentation du dossier épigraphique sur lidentification de Sophocle hellénotame, le discours de Dion de Pruse comparant les Philoctète dEschyle, Euripide et Sophocle, puis des traductions déléments biographiques anciens (Vie de Sophocle, notice de la Souda sur le poète). La copieuse bibliographie et les notes abondantes faciliteront, pour le lecteur désireux daller plus loin, lapprofondissement de certains points. Trois index (notions, noms propres, passages cités) permettent de se retrouver facilement dans cet ouvrage riche et foisonnant qui va bien au-delà dune simple biographie de lauteur ddipe Roi et dAntigone.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 04/03/2008 ) Imprimer | | |
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