| Michel Lécureur Barbey d'Aurevilly - Le Sagittaire Fayard 2008 / 29 € - 189.95 ffr. / 535 pages ISBN : 978-2-213-63325-1 FORMAT : 16,0cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu : Essayiste, romancier, Jean-Laurent Glémin est titulaire dun troisième cycle en littérature française. Ayant travaillé notamment sur les sulfureux Maurice Sachs et Henry de Montherlant, il se consacre aujourdhui à lécriture de carnets et de romans. Il na pas publié entre autres Fou dHélène, LImprésent, Fleur rouge, Chair Obscure, Continuer le silence. Imprimer
Il y a deux sortes de lecteurs de Barbey dAurevilly (1808-1889), ceux, nombreux, qui ne lont jamais lu et qui ignorent jusquà son existence et ceux qui layant lu, ne peuvent sempêcher de se représenter, en ouvrant les pages de ses romans, lapparence mystérieuse et imposante de ce grand écrivain.
Avec Villiers de lIsle Adam et Huysmans, il compose le panorama étrange, secret et décadent de la fin du XIXe siècle. On imagine ce trio infernal vivant dans dobscurs manoirs, arborant redingotes funèbres et sadonnant à des murs étranges (Barbey, dans sa jeunesse, se baladait avec un poignard et cultivait le secret auprès des autres !). Or cest ignorer que leurs curs saignaient en permanence et que leur style sépanchait de manière feutrée sur la nature douloureuse des hommes souffrants. Cette biographie revient sur lexistence dun homme de son temps. Exigent, polémiste, dandy, et solitaire.
Michel Lécureur tente dexplorer de manière quasi exhaustive luvre et la vie de lécrivain notamment à travers la correspondance importante quil eut avec le libraire et ami Trebutien. On y apprend bon nombre de choses grâce aux extraits cités et surtout les traits dominants qui ont porté Barbey jusquà son dernier souffle. Artiste exigent, emporté, mais sensible et délicat, il accompagnera le siècle darticles littéraires et politiques, dessais majeurs (Du dandysme et de G. Brummel) et de romans puissants (LEnsorcelée, Un prêtre marié).
Curieusement, cest le Barbey critique que Lécureur va relever. En effet, et cest peut-être laspect méconnu de lécrivain qui ne vivra que de sa plume de journaliste en publiant des papiers politiques ou des critiques littéraires dans Le Globe, Le Journal des débats, Le Constitutionnel, La Revue de Paris, ou encore Le Pays où il se fera à la fois polémiste redoutable et défenseur acharné des causes qui lui tiennent à cur. Catholique fervent (Il se convertit en 1846.) et absolutiste convaincu (Après une brève période républicaine qui nétait due quà la fraîcheur de son âge !), Barbey défend De Maistre, Napoléon III, Chateaubriand, Balzac, Baudelaire et sen prend à la démocratie, à Hugo, à Zola et à Flaubert qui devient, entre autres, sa bête noire, lui reprochant notamment son hyperréalisme qui mésestime la puissance sanguine de lhomme. Flaubert «le terre à terre», forcément, ne pouvait rentrer dans le panthéon romanesque de Barbey où vivent en osmose létrange, le fantastique, le mystique et la passion dévastatrice. En cela, son uvre jouera beaucoup sur les discordances : entre fulgurance et minutie, réalisme et fantastique, catholicisme et immoralité. Contemporain de Maurice de Guérin (1810-1839), son camarade de collège et ami disparu prématurément à lâge de 29 ans, Barbey portera le deuil toute sa vie et pour lui rendre hommage, parviendra non sans mal à publier son uvre poétique.
Malgré les documents que lon possède sur lui, sa vie reste passablement mystérieuse et Lécureur avoue les lacunes la concernant. Vivant comme un dandy, amateur de jolies femmes, mais sujets à des problèmes financiers, Barbey a une uvre singulière dans la littérature du XIXe siècle, entre tradition et modernité, réaction et scandale. Il écrit son premier roman à 33 ans sans connaître le moindre succès. Il faut attendre dix années pour voir le suivant, toujours boudé par les critiques. Ce nest quavec LEnsorcelée - il a alors 46 ans - quil commence sa carrière de romancier. Cest aussi pour cela que Lécureur sattarde longuement sur son activité de polémiste dans les diverses revues de lépoque ainsi que les foudres ou les silences quelle déclenchât en fonction des papiers. Il a publié en moyenne deux à trois articles pas semaine durant plus de trente années. Vinrent ensuite Un prêtre marié (1864), Le Chevaliers Des Touches (1864) et Les Diaboliques (1874), qui mirent Barbey dans le cadre réservé des auteurs classiques. Sa filiation avec Baudelaire (quil admirait) nest pas sans rappeler les procès quils connurent tous deux, jugeant et condamnant leurs uvres comme immorales.
Le travail dun biographe consiste à retranscrire subtilement lexistence et luvre dun auteur. En quelle mesure lune entraîne-t-elle lautre et participe-t-elle de son évolution esthétique et morale ? Le genre étant limité (jusqu'à quel point la vie dun être mérite-t-elle dêtre racontée ?), le danger est de trop pencher dans un sens, ou pas assez dans lautre. Si la vie de Barbey est évoquée de façon assez rigoureuse, sans tomber dans des détails inutiles (Dailleurs, son enfance est assez vite expédiée.), il nen est pas de même de son activité de journaliste, finalement secondaire a posteriori dans son oeuvre, même si elle la occupé de manière quotidienne. Or ici, Lécureur sattarde trop. Cela ne serait rien si lactivité romanesque de lécrivain était analysée. Mais sur ce point le lecteur reste en demande. On ne sait pas ou presque pas dans quel cadre luvre romanesque de lauteur a été créée. Cette biographie sadresse davantage aux universitaires sappuyant davantage sur le mémorialiste que sur dautres aspects de lécrivain, notamment romanesques. Les querelles politiques et littéraires renseignent sur les positions radicales de Barbey et le climat idéologique de lépoque, mais elles rendent peu compte de son esthétique bien particulière. Il aurait peut-être fallu appeler ce livre, Barbey dAurevilly Critique.
Lécureur propose donc une biographie minutieuse, richement documentée, mais il reste elliptique sur luvre romanesque. A noter, si lon veut aller plus loin dans la connaissance de cet auteur sulfureux, que son journal intime existe, sous le titre Memoranda, Journal intime 1836-1864, abondamment et justement cité ici.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 06/06/2008 ) Imprimer
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