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Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
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Le combat pour la positivité | | | Georges Gastaud Sagesse de la révolution Le Temps des cerises 2008 / 18 € - 117.9 ffr. / 277 pages ISBN : 978-2-84109-676-3 FORMAT : 20 x 14 cm
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a publié récemment, aux Editions Thélès, 10 ans sur la planète résistante (2008). Imprimer
Il y a cinquante ans, défendre le marxisme comme une option philosophique et existentielle (et non seulement comme une grille danalyse économique) était affaire de mode, l«horizon indépassable» de la pensée de lépoque. Aujourdhui, comme Marx et Lénine ont été renversés de leur piédestal, la tâche est plus ardue et requiert un surcroît de réflexion, de conviction, dindépendance desprit. Cest le défi que tente de relever Georges Gastaud, agrégé de philosophie et «militant vraiment communiste» ainsi quil se décrit lui-même, et il le fait dans une forme originale, celle de la polémique contre une philosophie conservatrice qui prône le retour aux Grecs pour mieux déconnecter la sagesse de la politique.
La lecture du livre de Georges Gastaud, qui se compose dune série de petits essais, est ainsi loccasion de mieux comprendre, dans un monde qui donne rarement la parole à ce courant, les raisons philosophiques que les marxistes révolutionnaires peuvent donner à leur engagement.
La force du livre, incontestablement, tient à son parti pris pour la positivité de la vie, assimilée à la positivité du combat. Attribuant le nihilisme aux classes dirigeantes, réputées «exterministes» et mortifères aussi bien dans le libertinage des bobos que dans la religiosité des milliardaires Bush et Ben Laden, Gastaud valorise la vie comme mesure de toute chose, et le bonheur comme expression maximale de celle-ci, au terme dune démonstration ontologique convaincante selon laquelle du néant ne peut naître aucune évaluation de lêtre ni aucune pensée. Fidèle à la tradition du courant dont il se réclame, Gastaud lie intimement la notion de vie au combat, plutôt quà la contemplation. On lira avec curiosité à ce propos les remarques selon lesquelles des Etats qui se réclament du marxisme comme lURSS ne pouvaient pas magnifier dans leur esthétique la guerre et lapocalypse nucléaire comme le fit le monde capitaliste un propos qui mérite lattention quand on sait les carnages provoqués par les guerres états-uniennes depuis vingt ans, et lomniprésence du meurtre dans les productions télévisuelles et cinématographiques du monde «riche».
Du choix de la positivité une positivité de combat, dialectique, qui se nourrit de la négation et du dépassement-conservation, Aufhebung, de ce quelle combat dérive une réhabilitation des notion de sens, et dabsolu, mais pensés concrètement dans les pratiques humaines quotidiennes, et larticulation possible de ces pratiques, au niveau global de la société humaine, dans une perspective révolutionnaire (au prix dune gestion complexe de toutes les contradictions, dans une mise en perspective eschatologique).
Loption marxiste que défend Georges Gastaud suppose un «nettoyage» interne dans le courant dont il se réclame, et notamment la mise au placard dune certaine déification de lHistoire qui était au fondement du marxisme «classique». On a le sentiment que la praxis (même si le mot nest bizarrement - jamais prononcé) éclipse largement la foi dans les Lois du développement historique (et dialectique) de la matière. Cependant celle-ci ressurgit tout de même à des endroits inattendus lorsque, par exemple, sur la base de références scientifiques pour le moins légères (Hubert Reeves), lauteur tente de démontrer que le Sens de lévolution de lunivers matériel réside dans lémergence de formes naturelles de plus en plus complexes, de sorte que la pensée humaine qui opte pour la révolution ne ferait ainsi quen accompagner le mouvement. On retrouve dans ce propos le fantasme dune symbiose entre le devenir de lhumanité et celui de lunivers, une réintroduction subreptice du finalisme et de tous les credos antiques qui donnaient au sage une raison dêtre malgré tout «à laise dans son monde». Mais de cette manière on touche peut-être là au point faible et le moins «philosophique» de loption défendue : en attribuant commodément la négativité, le nihilisme, et le désespoir, aux classes dominantes qui ne vivent pas de leur travail et senferment dans un rapport virtuel à la matière, le marxisme éclipse peut-être la véritable négativité, la plus radicale et la plus matérielle, celle qui nest ni dialectique, ni «dialectisable» (dans la mesure où elle ne peut produire aucun sens) : à savoir la factualité pure des lois de la physique qui aussi bien et indifféremment produisent des formes et les anéantissent.
A aucun moment Gaston Gastaud ne se confronte par exemple, pour ce qui concerne la matière vivante, à lévolution darwinienne, et à lespèce de magma indistinct déclosion et de destruction, de progrès et de dégénérescence quelle occasionne (un ensemble dont pourtant lesprit humain dans son fonctionnement quotidien est hautement tributaire), ni non plus au problème moral que pose la solitude de lespèce humaine, et des autres espèces animales évoluées, dans la région de lunivers où elles se situent, sous la menace permanente de forces naturelles qui les peuvent anéantir sans aucune voie de recours possible. Or on peut se demander ce que vaut une option philosophique, politique et morale qui fait léconomie dune analyse réelle de cette négativité-là pour saccrocher commodément aux vieilles lunes de lhumanisme (cest-à-dire de lanthropocentrisme).
On pourrait ainsi presque se demander si, en plaçant demblée le combat sur un fond de confiance en un horizon de sens disponible pour lhumain, loption marxiste que défend Georges Gastaud ne tisse pas, en réalité, comme un arrière-plan de certitude et de confort bourgeois qui rendent suspecte lauthenticité de la notion-même de lutte telle quelle est défendue. Néanmoins on peut reconnaître au livre le mérite de replacer la contestation de lordre des choses au centre des valeurs éthiques que sassigne lhumain, ce qui correspond exactement au sens profond du geste philosophique depuis Socrate.
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 23/12/2008 ) Imprimer | | |
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