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Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
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Concevoir le néolibéralisme | | | Walter Lippmann La Cité libre Les Belles Lettres - Bibliothèque classique de la liberté 2011 / 29 € - 189.95 ffr. / 458 pages ISBN : 978-2-251-39052-9 FORMAT : 13,5cm x 21cm
Préface de Fabrice Ribet
Traduction de Georges Blumberg
L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Économiques et Sociales en région parisienne. Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide. Imprimer
On sait mieux aujourdhui linfluence et la nature du néolibéralisme, courant de pensée dont Lippmann fut un des auteurs les plus éminents. On sait mieux aussi limportance du colloque Lippmann qui sest tenu en août 1938 à Paris pour la théorisation et la promotion de ce même néolibéralisme. Un colloque qui vise précisément à discuter louvrage de Walter Lippmann, Inquiry into the Principles of the Good Society, traduit en français dès 1938 sous le titre La Cité libre. Cest dire que cette réédition nous livre une des pièces maitresses de la pensée néolibérale.
Lippmann réaffirme et insiste sur un premier point fondamental : le libéralisme ne se réduit pas, ne doit pas se réduire au «laissez-faire». Pour Lippmann, la promotion du «laissez-faire» avait été initialement un mot dordre révolutionnaire dans le but de tourner une page historique et de se débarrasser dun régime économique et social ancien. Mais cette volonté dun État minimum, réduit aux fonctions régaliennes et refusant tout type dintervention dans la monde économique, ce «laissez-faire» est devenu «un dogme obscurantiste et pédantesque». Cest là un des éléments singuliers qui permet de comprendre en quoi le «néolibéralisme» nest pas tant une continuité et encore moins un retour au libéralisme classique ; il est une rupture avec certains de ses principaux dogmes. Cest tout le sens de la volonté de Lippmann deffectuer une véritable refondation dun libéralisme qui a échoué. Car Lippmann défend lidée que les causes du désordre économique sont à rechercher dans le libéralisme (classique) lui-même et non, comme le pensent Hayek ou von Mises, dans la trahison du libéralisme. Cette refondation suppose de revenir sur les catégories juridiques du libéralisme classique et de définir un nouvel art de gouverner.
Critiquant Spencer, Lippmann insiste sur lerreur quil y a de penser quil existe des domaines daction totalement libres, comme la sphère économique, et dautres qui pourraient tolérer ou même nécessiter lintervention de lEtat. Il critique aussi sévèrement lillusion selon laquelle la propriété privée ne serait que lexpression dun droit naturel et plus généralement que le libéralisme reposerait sur la reconnaissance des droits naturels. Cette illusion, qui ne perçoit pas que droits, contrats et sociétés «sont créatures du droit», cette illusion a été porteuse dune impasse qui a paradoxalement contribué à renforcer la détermination de mouvements révolutionnaires qui visent précisément à abolir la propriété privée. «Si la propriété est si gravement compromise dans le monde moderne, cest parce que les classes possédantes, en résistant à toute modification de leurs droits, ont provoqué un mouvement révolutionnaire qui tend à les abolir».
Considérant léconomie capitaliste comme une véritable force révolutionnaire, Lippmann défend lidée quil est nécessaire que les hommes, la société dans son ensemble, sadaptent en permanence à ses exigences. Cest lensemble de la société, cest lHomme même, quil convient de réorganiser pour les rendre plus aptes à se conformer à léconomie capitaliste. Sur le plan institutionnel, Lippmann défend lidée quil est nécessaire de limiter le pouvoir politique et de se méfier des expressions populaires. Il défend donc lidée que seule une élite compétente est capable de gouverner et de défendre le bien commun. Ce gouvernement élitiste doit encourager les principes de concurrence partout où cela est possible et doit, par de multiples moyens, faire comprendre aux masses les bonnes raisons de ces logiques : «Il faut quelles [les démocraties] inculquent aux masses, par la voix de nouveaux instituteurs, le respect des compétences, lhonneur de collaborer à une uvre commune».
La manière dont sont conçues aujourdhui les institutions européennes rappelle suffisamment cette idée dun «État fort libéral» pour que lon comprenne tout lintérêt de lire louvrage de Lippmann.
Guy Dreux ( Mis en ligne le 17/05/2011 ) Imprimer | | |
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