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Un prestige érodé
Jacky Hummel   Essai sur la destinée de l'art constitutionnel
Michel Houdiard Editeur - Le Sens du droit 2010 /  18 € - 117.9 ffr. / 171 pages
ISBN : 978-2-356-92038-6
FORMAT : 14cm x 22cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.
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«Nous ne croyons plus à ces Lycurgues improvisés qui changent les idées et les mœurs d’une nation avec quelques lignes écrites sur un morceau de parchemin» (p.34). C’est en ces termes que le publiciste Edouard Laboulaye exprimait en 1872 son désenchantement vis-à-vis de l’idée de constitution, dont les évolutions viennent d’être retracées par le Professeur Jacky Hummel dans un très bel ouvrage intitulé Essai sur la destinée de l’art constitutionnel.

La référence à l’Antiquité et plus spécialement à Lycurgue n’est pas innocente, loin s’en faut : face aux désordres incessants de sa patrie, le législateur légendaire de Sparte aurait décidé d’aller chercher à l’étranger des exemples de bonne constitution. Ainsi, Lycurgue se serait rendu en Crète, en Egypte et en Asie. Il aurait, également, consulté l’oracle de Delphes. A son retour à Sparte, il aurait façonné la plupart des institutions de la cité, puis il aurait fait jurer à ses concitoyens de ne rien changer à la constitution, «la Grande Rhêtra». Afin de s’assurer que la constitution était bonne, il serait reparti pour consulter Apollon. Celui-ci lui confirmant que les lois mises en place étaient positives, Lycurgue aurait décidé de ne pas revenir pour ne pas délier les Spartiates de leur serment. Il se serait finalement suicidé en se laissant mourir de faim.

Lycurgue parait donc mériter une place de choix dans le «Panthéon de l’art constitutionnel», mais tel ne serait pas le cas de tous ses successeurs, comme l’indiquait naguère E. Laboulaye. Dans son Essai, le Professeur J. Hummel s’interroge sur la destinée de l’art constitutionnel, dont le prestige originel était immense en raison des missions qui lui étaient assignées. A l’occasion de la Révolution française, il s’agissait non seulement de régénérer le pacte social sur de nouvelles bases, mais également de borner le pouvoir en vue de soumettre l’Etat au droit. Pour reprendre le bon mot de B. Constant, la constitution était alors considérée comme «un acte de défiance, puisqu’elle prescrit des limites à l’autorité». Néanmoins, instruit des heurs et malheurs de la Révolution, le libéral ajoutait lucidement «qu’une constitution étant la garantie de la liberté d’un peuple, tout ce qui est à la liberté est constitutionnel, mais que rien n’est constitutionnel de ce qui n’y est pas : qu’étendre une constitution à tout, c’est faire de tout des dangers pour elle, et créer des écueils pour l’en entourer : qu’il y a de grandes bases, auxquelles toutes les autorités nationales ne peuvent toucher ; mais que la réunion de ces autorités pouvait faire tout ce qui n’est pas contraire à ces bases» (B. Constant, Écrits politiques, Gallimard, 1997, p.305).

Si l’art constitutionnel a initialement bénéficié d’un grand enthousiasme, comme en témoignent les écrits de B. Constant, l’engouement s’est en quelque sorte tassé sous les coups de butoir de l’Histoire et a peu à peu laissé la place à la défiance. Si bien que d’aucuns en ont conclu sinon à l’impuissance de l’art constitutionnel à encadrer l’exercice du pouvoir politique, du moins à son efficacité extrêmement aléatoire. Au fil des pages, le Professeur Hummel se penche sur les mécanismes de la désaffection à l’égard de l’art constitutionnel, que masque partiellement «le discours néo-constitutionnaliste de la primauté juridique de la constitution normative». En effet, d’après lui, «le culte actuel et toujours croissant rendu à la constitution est un leurre», puisque l’idée de la constitution «comme source de l’ensemble du système juridique n’épuise pas totalement la vérité : en effet, si la notion de constitution ne peut, par hypothèse, être formellement dévalorisée dans la mesure où sa force juridique s’y oppose, elle se désacralise toutefois progressivement et inéluctablement» (pp.8-9).

Ceci résulte de la conjugaison de plusieurs éléments. Au premier rang d’entre eux, se trouve «l’instrumentalisation politique de l’acte constitutionnel». La constitution et plus largement le droit constitutionnel seraient devenus de simples outils, dont le pouvoir politique use et abuse à satiété. Par ailleurs, les «nouveaux centres de pouvoir et de mécanismes de pression» auraient contribué à rendre obsolète le schéma traditionnel de l’ordre constitutionnel fondé sur la relation entre l’Etat et l’individu. L’auteur mentionne en outre une véritable «dédramatisation du pouvoir constituant», se traduisant par «une inflation de révisions de circonstance» bouleversant les équilibres originels du texte. Concourent également à l’abaissement de l’art constitutionnel le phénomène de «réécriture jurisprudentielle» de la constitution ainsi que «l’épuisement de la traditionnelle croyance en un destin collectif et la multiplication de revendications identitaires propres à fragiliser le principe d’unité porté par l’acte fondateur» (pp.9-10). D’autre part, «la construction d’un ordre constitutionnel à l’échelon européen» condamnerait à «l’anachronisme une notion apparue originellement pour donner une expression juridique au modèle historique de l’Etat-nation» (pp.10-11).

On le voit, l’art constitutionnel n’est pas sans poser de questions. Il se caractériserait de plus en plus par «un oubli manifeste de sa promesse fondatrice de cimenter une communauté de destin ainsi que par une certaine désublimation». «L’effacement de la fonction politique de la constitution, précise le Professeur J. Hummel, expose la notion au péril de l’inconsistance, c’est-à-dire à n’être que la norme suprême d’un corps politique démembré», car la «logique formelle» du pacte constitutionnel tend à l’emporter sur sa «logique substantielle» (p.33). Pour y remédier, l’universitaire présente des pistes de réflexion très stimulantes quant à la revalorisation de la notion de constitution, puisque la notion de constitution est «moins condamnée à s’effacer qu’à épouser de nouvelles significations» (p.11). Si «un retour de l’idée de constitution dans sa splendeur originelle» parait illusoire, la notion de constitution n’est pas perdue parce que «c’est en elle, par les subtiles correspondances entre droit et politique qu’elle renferme, que se résout le conflit entre la légalité et la légitimité» (p.161).


Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 24/05/2011 )
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