|
Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
 | |
Les fondations de l'Etat moderne | | | Didier Mineur Carré de Malberg - Le positivisme impossible Editions Michalon - Le Bien commun 2010 / 10 € - 65.5 ffr. / 113 pages ISBN : 978-2-84186-542-0 FORMAT : 11,7cm x 18,7cm
L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin. Imprimer
Durant la Révolution française, Robespierre entendait régénérer la France en substituant «toutes les vertus et tous les miracles de la République à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie». Il souhaitait en effet «substituer la morale à légoïsme, la probité à lhonneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, lempire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à linsolence, la grandeur dâme à la vanité, lamour de la gloire à lamour de largent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à lintrigue, le génie au bel esprit, la vérité à léclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de lhomme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable».
Naturellement, son dessein ne put pas tout à fait aboutir. Toutefois, la Révolution que lIncorruptible tenta de diriger, et qui finit par le dévorer, laissa une empreinte durable sur les fondements mêmes des différentes républiques qui se sont succédées en France depuis 1793. Cest pourquoi daucuns ont pu écrire à ce sujet que «lorigine révolutionnaire des principes composant le fondement de notre ordre constitutionnel nest plus aujourdhui discutée». Toutefois, sous la IIIe République, le droit constitutionnel a somme toute été «peu étudié». Il sapparentait alors à une sorte de «droit de lâge métaphysique et absolutiste, au mieux considéré comme un point de départ quil convient de dépasser pour permettre à lÉtat de saccomplir pleinement dans le régime parlementaire».
A cet égard, Carré de Malberg fait vraiment figure dexception dans la mesure où il fut «lun des rares auteurs à prendre le droit constitutionnel de la Révolution française au sérieux pour tenter de démontrer que ses principes étaient les fondations de lÉtat moderne» (E. Maulin, «Carré de Malberg et le droit constitutionnel de la Révolution française», AHRF, 2006). Comme lindique Didier Mineur dans son intéressant ouvrage intitulé Carré de Malberg. Le positivisme impossible, le juriste alsacien fut considéré par son disciple G. Burdeau comme «lun des guides de la pensée juridique française». Dailleurs, «létude de son uvre présente pour lhistoire et la théorie du droit un intérêt particulier». Le juriste sest en effet livré à une entreprise visant à élaborer une «théorie positive du droit qui soit en même temps prescriptive». Les «tensions internes» et l«évolution» de Carré de Malberg dévoilent en outre «les enjeux de toute tentative de penser le droit dune manière définitivement sécularisée, qui ne renonce pas pour autant à sa dimension éthique».
Sil a toujours manifesté une vive animosité à légard de lAllemagne en raison de lannexion de lAlsace-Lorraine après la guerre de 1870, Carré de Malberg a tenté dintroduire lIsolierung dans le droit français. Il sagissait de «faire du droit une science positive, cest-à-dire [d]autonomiser son étude vis-à-vis de toute considération extra-juridique». Ce qui a pour corollaire «le rejet du droit naturel». Le travail du juriste consiste par ailleurs à révéler la rationalité sur laquelle se fonde le droit ainsi quà développer «un idéal juridique, auquel se confronte le droit dun État particulier». Cet idéal est celui du Rechtsstaat : «lEtat est le véritable souverain, qui ne sexprime que par des organes, dont aucun ne peut seul sidentifier à lui». Dans cette perspective, la constitution est la norme fondamentale.
Pour Carré de Malberg, luvre des Révolutionnaires français et surtout la Constitution de 1791 permettent «dapprocher au plus près ces principes du droit, et de dessiner les contours dune théorie générale de lEtat» qui soit pleinement positive car rationnelle. Ce qui nest pas sans poser problème parce que, comme laffirme D. Mineur, les auteurs de la Constitution de 1791 «sinspiraient des principes de droit naturel». Une autre difficulté du projet malbergien provient de ce que «la fondation première de lordre juridique échappe à toute appréhension par la théorie juridique». Finalement, Carré de Malberg ne peut mener à terme son «projet dautonomisation de la science du droit, qui se trouve contrainte de recourir à lordre des faits pour fonder lordre juridique». Ce faisant est maintenue dans luvre du juriste alsacien l«ouverture sur le projet politique au fondement du droit».
La lecture du droit public français à laquelle sest livré Carré de Malberg évolua sensiblement. Alors que dans la Contribution générale à la théorie de lEtat le juriste alsacien tenait la Constitution de 1791 pour «un modèle de cohérence qui confiait à la représentation parlementaire la faculté de donner vie à la nation», Carré de Malberg la considère finalement dans La loi, expression de la volonté générale comme le vecteur de la «mystification originaire qui rend possible la dépossession du peuple». Le fondement du droit public français ne serait donc pas la volonté nationale, mais la volonté générale des citoyens. Ce qui exigerait la participation directe du peuple par le biais de mécanismes de démocratie directe. Carré de Malberg renoncerait ainsi à la neutralité axiologique découlant de son projet positiviste. Pis, il prendrait ses distances vis-à-vis de «lambition de comprendre le droit public français sur le modèle de lEtat de droit, où tous les pouvoirs sont soumis au droit. En effet, écrit lauteur, la souveraineté de cet être réel quest le peuple transcende nécessairement la Constitution et lordre juridique quelle organise». Tout au long de louvrage, cest la logique de cette évolution que D. Mineur sattache à restituer.
Alexis Fourmont ( Mis en ligne le 28/06/2011 ) Imprimer | | |
|
|
|
|