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Les bases d'une écologie profonde chrétienne ?
John Baird Callicott   Genèse - La Bible et l'écologie
Wildproject Editions 2010 /  12 € - 78.6 ffr. / 112 pages
ISBN : 978-2-918490-02-9

Postface de Catherine Larrère
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Depuis la parution en 1967 de l'article '''The Historical Roots of Our Ecologic Crisis', du médiéviste Lynn White, les relations entre le christianisme et l'éthique environnementale, voire entre le christianisme et l'écologisme, n'ont cessé de faire débat, suscitant une myriade de publications et de très profondes réflexions de théologiens et de penseurs catholiques, protestants et orthodoxes, ainsi que de nombreuses initiatives œcuméniques et institutionnelles. En Europe, on citera les travaux de Jean Bastaire, Jean-Marie Pelt, François de Ravignan, René Coste et Monseigneur Stenger ; aux Etats-Unis, ceux de Thomas Berry, Wendell Berry, Denis Edwards, Willis Jenkins ; en Amérique du sud, les écrits du théologien de la libération Leonardo Boff.

Il est vrai que l'article de Lynn White était aussi brutalement accusateur que simplificateur, et cela à un moment où, comme le rappelle l'historien de l'environnementalisme américain Roderick Nash, les voix chrétiennes en faveur de l'éthique environnementale – pourtant précoces - étaient rares et peu entendues, et où l'une des principales sources de l'environnementalisme du nouveau continent - la fameuse ''contre-culture'' - commençait à développer une spiritualité très orientalisante – spiritualité qui allait influencer, entre- autres, l'écologie profonde. Cet article soutenait que, d'une part, divers passages de la Genèse, séparant Dieu de sa création et élaborant une hiérarchie au sein de laquelle l'homme était supérieur au reste de cette même création, favorisaient à la fois la déconsidération de la nature en elle-même, son objectivisation, et, donc, un usage exagéré, méprisant de celle-ci à des fins purement anthropocentrées et que, d'autre part, la tradition chrétienne n'avait, à l'exception (contestée) de Saint François, pas clairement remis en cause une telle interprétation, détruisant du reste toutes les dernières traces de paganisme qui enchantaient (et donc protégeaient) encore la nature. Enfin, la tradition chrétienne latine s'étant davantage concentrée sur la sotériologie que sur le statut de la création et sur l'étude de la nature de dieu au travers de la création, avait permis l'avènement des sciences modernes, donc de la maîtrise de la création par l'homme.

A cette interprétation, que Callicott qualifie de «despotique», de nombreux théologiens, penseurs et écologistes chrétiens ont répondu par une interprétation dite «de l'intendance», cherchant à prouver que si la Genèse donnait à l'homme un rôle particulier, ce rôle consistait à assurer pour ainsi dire l'entretien, le jardinage, l'usufruit de la création en fonction des désidératas de Dieu. Certains cherchèrent aussi à montrer que la Bible ou des personnalités comme celle de Saint François soit remettaient en cause l'idée du hiérarchie entre les êtres créés, soit affirmaient la valeur intrinsèque de la nature, parfois au sein d'un processus panenthéiste. D'autres enfin, assimilant l'essentiel de la critique despotique de White, tentèrent de réformer le christianisme à l'aide de formules plus ou moins «scientistes» - le christianisme réintégrant alors une cosmologie plus large par le biais liturgique - ou d'apports des religions orientales.

Or, la perspective développée par Callicott dans son Genèse offre une autre voie, permettant de concilier l'écologie profonde avec le christianisme – ce qui, du reste (et contrairement à ce que pensent de nombreux théologiens chrétiens qui ne connaissent ce courant que par le navrant ouvrage de Ferry), est favorisé par les penseurs de l'écologie profonde, notamment dans leur fameuse plate-forme programmatique, laquelle présente ce que Catherine Larrère appelle, dans la passionnante postface de l'ouvrage de Callicott, un «consensus par recoupement» (p.100).

Callicott commence par exposer le propos de Lynn White. Il note au passage, et très justement, un raccourci contestable. En effet, lorsque le médiéviste affirme que la pensée chrétienne permet le développement technoscientifique, le «mandate» ou le légitime, il oublie que ce qui constitue le fonds, les outils de ce développement technoscientifique, provient de la pensée grecque. C'est même cette philosophie grecque de la nature qui, par le biais de Descartes et Newton a permis l'interprétation «despotique» de la Genèse. Il expose ensuite quelques-uns des arguments des défenseurs de l'interprétation de l'intendance : l'affirmation divine selon laquelle la création est jugée bonne confère une valeur intrinsèque (c'est-à-dire objective, indépendante du sujet et de ses intérêts) à la nature ; Dieu donne aux hommes l'usufruit et non pas la possession de la nature, ce qui implique un certain nombre de règles à respecter dans l'usage qu'ils en font.

A ces deux interprétations, Callicott oppose une troisième, qu'il qualifie de ''lecture citoyenne de la Genèse''. Elle tire son inspiration des écrits du naturaliste John Muir, l'un des pères du préservationnisme américain, fondateur du fameux Sierra Club, groupement environnementaliste très puissant sur le nouveau continent, et l'une des plus importantes figures de l'écologie profonde. L'interprétation citoyenne est aussi fondée sur le constat qu'il existe trois textes de la Genèse dans la Bible, dont l'un n'est pas intéressant pour le propos de Callicott puisque c'est seulement dans les deux autres que les défenseurs de l'interprétation despotique comme ceux de l'interprétation de l'intendance puisent, mais sans faire attention à leurs origines respectives. Car, indique Callicott, le premier – le plus attaqué par les environnementalistes - date du Ve siècle avant notre ère, est très influencé par la cosmologie grecque présocratique et est postérieur au second, de tradition yhaviste, composé au IXe ou Xe siècle. Callicott propose de ne s'intéresser qu'au second, plus représentatif de la cosmologie proprement juive. On y trouve, comme le disait Muir, une plus grande communion entre la terre, les animaux et les hommes (faits à partir de la même matière) que dans l'autre texte ; l'éden peut y être perçu comme une représentation de la nature tout entière et non pas comme une partie de celle-ci ; l'homme placé comme intendant dans le jardin d'éden y est conçu comme moins dominant que dans l'autre texte, notamment parce que les animaux lui sont adjoints comme compagnons, ce qui suggère que l'homme n'est pas seulement déterminé par son partage de la transcendance divine ; Dieu y considère la nature comme un tout ; quant à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, c'est la conscience de soi (et non la connaissance du bien et du mal ou de la sexualité) qu'il octroie - aussi, ayant croqués la pomme, Adam et Eve se perçoivent comme «points de référence axiologique» (p.60), rendant ainsi possible la poursuite des intérêts individuels. Autrement dit, le péché originel, c'est l'anthropocentrisme, lequel amène «la rupture dans l'harmonie du monde» (p.63) ou encore le passage du mode de vie des chasseurs-cueilleurs à celui des agriculteurs, associé à la hausse de la fécondité humaine. L'expulsion du jardin d'Eden, c'est l'expulsion de la nature.

On trouve, dans cette opposition du paradis des chasseurs-cueilleurs à l'enfer des agriculteurs un écho aux théories et projets primitivistes de Zerzan et (dans une moindre mesure) de Shepard ; cependant, Callicott ne croit pas un retour à ce paradis possible et préfère considérer que cet acquis de la conscience individuelle doit être développé tout en retrouvant une relation directe à la nature, l'inclusion de l'individu dans la nature. Il fait alors appel à la théorie ecopsychologique et spiritualiste d'Arne Naess et de l'écologie profonde, qui consiste à promouvoir l'extension du moi à la nature – cet extension impliquant une extension éthique, l'homme, les espèces et les écosystèmes devenant des citoyens à part entière d'une communauté commune.

L'interprétation de Callicott est brillante et structurée ; elle s'oppose cependant moins à la théorie de l'intendance qu'elle ne la refonde sur une perspective moins anthropocentrée. Notons au passage que l'éthicien de l'environnement oublie de très nombreuses postures de révision du christianisme en faveur de l'éthique environnementale, par exemple celle de Thomas Berry, ou de critiques, comme celle de Paul Shepard. Il oublie aussi que le christianisme opère nécessairement un travail sur tous les textes de la Bible, et que la Genèse elle-même ne peut-être comprise pour un chrétien qu'avec la figure christique du Nouveau Testament. Par certains aspects, Callicott est aussi simplificateur que White ; il est même contradictoire lorsqu'il affirme que l'ordre canonique des textes chrétiens témoigne de leur importance (la Genèse ouvrant la Bible) et que, pourtant, le second texte de la Genèse, parce que son écriture est antérieure au premier, doit être pris en plus grande considération. On ne peut pas respecter le canon seulement quand cela arrange sa théorie ! Enfin, le christianisme est une religion du salut ; vouloir y ancrer l'éthique environnementale ou l'atteler à l'écologie profonde exige que la perspective sotériologique soit prise en compte ; de ce point de vue, Callicott aurait dû s'intéresser à l’œuvre de Jacques Ellul, notamment à Sans feu ni lieu.

L'interprétation de Callicott nous semble cependant particulièrement intéressante, sur un point que n'a pas relevé l'auteur lui-même (alors qu'il est l'un des rares éthiciens de l'environnement à l'avoir travaillé) : il permet une jonction entre l'éthique environnementale, l'éthique animale et la Bible. Car, si Dieu crée des espèces (que l'homme nomme), les ''compagnons'' de l'homme ne sont nécessairement pas des espèces, mais des individus, comme, bien plus tard, le loup de Gubbio de saint François d'Assise. Ce sillon-là mériterait d'être davantage creusé, et l'on compte sur Callicott pour le faire...


Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 05/07/2011 )
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