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Un panorama complet et clair | | | Serge Audier Les Théories de la république La Découverte - Repères 2004 / 7.95 € - 52.07 ffr. / 120 pages ISBN : 2-7071-3909-2 FORMAT : 11x18 cm
L'auteur du compte rendu : Laurent Fedi, ancien normalien, agrégé de philosophie et docteur de la Sorbonne, est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la philosophie française du XIXe siècle, parmi lesquels Le Problème de la connaissance dans la philosophie de Charles Renouvier (L'Harmattan, 1998)ou Comte (Les Belles Lettres, 2000). Imprimer
Ce petit livre dense, précis, documenté, expose les théories républicaines de la Renaissance à nos jours, sans jamais sacrifier à la vulgate. Le pari était audacieux. Grâce à une maîtrise parfaite des clivages doctrinaux les plus fins et à une connaissance approfondie des textes, tant italiens que français, britanniques et américains, lauteur circule avec aisance dans le dédale des conceptions républicaines pour nous donner une vision à la fois globale et subtile des grandes orientations politiques de lâge moderne, axées sur «le bien public».
Si lon peut utiliser ce livre comme un manuel (recommandable à tout étudiant), il est plus quun catalogue de doctrines. Dabord, il faut noter que lexigence analytique (imposée par le genre de la collection) se double dune visée normative, dune réflexion sur le «renouveau républicain» qui succède à lère du soupçon généralisé et de la recherche dun modèle possible et souhaitable de régime politique. Au fil des analyses et plus nettement dans la conclusion, Audier conteste la réduction du libéralisme à un individualisme égoïste et à une vision atomisante de la société. Il existe en effet, et lun des mérites de ce livre est de le montrer, une compatibilité profonde entre le républicanisme et un certain libéralisme politique, dont la formule a été délivrée au XIXe siècle par lItalien Mazzini et le Français Renouvier sous le terme de «socialisme libéral», un courant qui inspira jusquà un certain point Toynbee, Hobhouse, voire Raymond Aron, mais surtout Carlo Rosselli. Contre lassimilation du socialisme libéral à ce que lon appelle péjorativement le «social-libéralisme», il met en évidence les sources républicaines de ce courant de pensée.
On remarquera, ensuite, quun fil conducteur traverse louvrage, balisant les différents chapitres : la problématique de la conflictualité démocratique, que lauteur aborde à partir de son interprétation de Machiavel. Le Florentin a reformulé le républicanisme romain. Au risque de choquer les humanistes de son temps, il a souligné la valeur positive des dissensions dans le cadre dun régime appuyé sur le peuple et garanti par les lois. Lidéal politique de Rousseau, avec son fantasme unanimiste de transparence et sa référence aux vertus lacédémoniennes, promeut un autre schéma, que la politique de Robespierre aura eu pour effet, en partie, de discréditer au profit dune conception plus «démocratique» de la République. Les pages sur Condorcet sont à cet égard éclairantes : car cest ce penseur du lien entre progrès scientifique et progrès moral, préférant Athènes à Sparte, qui servira de référence aux fondateurs de la République laïque dans les années 1880.
Le chapitre sur le XIXe siècle français est riche dinterprétations stimulantes. Tocqueville y est présenté comme libéral et républicain : libéral parce quil fait passer la liberté individuelle devant la passion démocratique de légalité, dans laquelle il perçoit une menace de despotisme de la masse, mais républicain parce quil perçoit lindividualisme comme une tendance non moins dangereuse, qui doit trouver un contrepoids dans le civisme et la participation à la vie associative et communale. Le pluralisme de Tocqueville retrouve à travers Montesquieu une veine machiavélienne, malgré les différences évidentes. Audier expose également les doctrines moins connues, mais tout aussi passionnantes, de Pierre Leroux, Mazzini, Dupont-White, Henry Michel, Léon Bourgeois ou Léon Duguit. De la question des nationalités à la philosophie du «solidarisme» en passant par le kantisme français, lessentiel est dit.
Le thème de la conflictualité est repris dans la dernière partie, à propos du «renouveau républicain», notamment au sujet dArendt et de Habermas. Audier nhésite pas à critiquer la «démocratie délibérative» de Habermas en ce que celle-ci néglige les antagonismes qui permettent aux interlocuteurs potentiels de sidentifier à partir de situations généralement inégalitaires. En moins de quarante pages, Rawls, Van Parijs, Skinner, Pettit, Pocock, Sandel, Walzer, Kymlicka, Tylor prennent place dans un champ problématique articulé autour de questions telles que le multiculturalisme et lavenir de la citoyenneté et de la justice sociale à lère de la mondialisation.
Enfin, le pari est tenu grâce aussi à une méthode rigoureuse. Lauteur détermine chaque position théorique par ses écarts différentiels aux positions voisines ou adverses, ces écarts étant eux-mêmes déclinés en fonction des diverses interprétations proposées par les commentateurs dont les noms sont accompagnés dune référence bibliographique. Les théories contemporaines font, en outre, lobjet dune critique qui permet au lecteur den saisir les faiblesses relativement à des modèles plus anciens ou mieux construits et, partant, de progresser dans sa réflexion personnelle sur ce qui est «possible et souhaitable». On aura compris que ce livre pour étudiants et professeurs sadresse aussi tout simplement aux citoyens.
Laurent Fedi ( Mis en ligne le 27/11/2004 ) Imprimer
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