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Platon et Aristote politologues
Claude Mossé   Les Grecs inventent la politique
Complexe 2005 /  8.90 € - 58.3 ffr. / 157 pages
ISBN : 2-87027-996-5
FORMAT : 11x18 cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes d’Hésiode) et d’un DEA de Sciences des Religions à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia, il est actuellement professeur d’histoire-géographie.
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Complexe réédite un essai de Claude Mossé publié en 1969 aux Presses Universitaires de France sous le titre Histoire des doctrines politiques en Grèce. Le texte a été cependant quelque peu remanié par rapport à cette étude. Le nouveau titre, certainement plus attrayant en librairie, semble faire écho au livre de Moses I. Finley sur L’Invention de la politique (publié en anglais en 1983, mais réédité chez Champs-Flammarion en 1994), bien que l’historien anglo-saxon y traite également de la Rome républicaine (mais celle-ci apparaît également chez Mossé, à travers l’étude de Polybe et de Cicéron).

Dès l’introduction, l’auteur souligne que ce sont les Grecs qui ont inventé la politique au sens où nous la connaissons aujourd’hui. De plus, de nombreux termes utilisés par l’actuelle science politique ont une origine grecque : démocratie, aristocratie, monarchie, ploutocratie, oligarchie, tyrannie… Seule la dictature est d’origine romaine. Les pratiques politiques sont aussi anciennes que l’humanité, on les trouve déjà chez les Mésopotamiens (y compris les pratiques d’assemblée si chères à Marcel Detienne qui a bien montré qu’il fallait en la matière se garder de tout occidentalocentrisme). Mais ce sont les Grecs qui les premiers ont réfléchi aux problèmes de l’Etat, de son gouvernement, des rapports de pouvoir entre les différents groupes sociaux, et du fonctionnement des institutions. Leur influence s’est fait sentir très fortement jusqu’à l’aube du XXe siècle, chez les hommes politiques comme chez les théoriciens nourris de culture classique.

L’ouvrage suit un plan chronologique. Claude Mossé s’intéresse tout d’abord aux débuts de la réflexion politique dans les cités ioniennes et en Grèce continentale. A la fin du IXe siècle et au début du VIIIe siècle se développent sur la côte occidentale de l’Asie Mineure des cités qui deviennent riches et puissantes (Ephèse, Milet, Halicarnasse…). Ces cités avaient connu à l’origine un type de régime monarchique dont nous pouvons avoir quelque idée par les poèmes homériques. Les pouvoirs du roi (Ulysse à Ithaque, Alcinoos en Phéacie…) sont cependant limités ; il apparaît comme le plus vénéré des Anciens, à la fois juge, chef militaire et président des sacrifices et du culte ; il doit compter avec les autres Anciens, les chefs de famille qui forment le conseil. Le milieu du VIIIe siècle semble constituer une période de troubles qui se traduisent par la disparition du pouvoir monarchique au bénéfice d’une aristocratie de grands propriétaires. C’est aussi la période du vaste mouvement d’expansion coloniale vers l’Occident et la mer Noire. Le VIIe siècle est considéré par la tradition comme le siècle des «législateurs», mais les bouleversements peuvent également donner naissance à des tyrannies dans certaines cités. Celle-ci s’installe à Athènes malgré les réformes de Solon. Mais Clisthène, bien qu’aristocrate et petit-fils (et homonyme) de tyran, met en place la démocratie. Le régime est affermi par la victoire des Athéniens sur les Perses pendant les guerres Médiques, au début du Ve siècle. Sous le gouvernement de Périclès, Athènes devient le véritable centre de la Grèce. L’historien Hérodote y est le premier écrivain qui traduit de réelles préoccupations théoriques politiques, dans un dialogue où trois nobles Perses discutent des mérites respectifs de la démocratie, de l’oligarchie et de la monarchie. Le problème est de savoir quel est le meilleur type de constitution.

La seconde moitié du Ve siècle voit se développer la «révolution» sophistique. Mais nous n’avons aucune trace directe, immédiate, de la pensée de Protagoras, des autres sophistes (Prodicos, Hippias, Gorgias, Antiphon…) ou de Socrate. Et c’est bien souvent par des œuvres postérieures (dans le cas de Socrate celles de ses disciples Xénophon et surtout Platon) que nous pouvons entrevoir ce qu’était la pensée de tel ou tel des maîtres de cette période. Les sophistes apparurent d’abord comme des professeurs de rhétorique qui rassemblèrent autour d’eux des auditeurs soucieux d’acquérir la science des choses publiques, mais aussi l’art de bien parler, afin de convaincre. Mais les sophistes remirent également en cause un certain nombre d’idées jusque-là universellement admises. Pour eux, la nature a ainsi ses propres lois qui ne sont pas celles des hommes, lesquelles ne sont que pures conventions. Ils ouvrent ainsi la voie à un certain relativisme, conduisant par exemple Alkidamas à mettre en question la légitimité de l’esclavage. Lycophron justifie la démocratie, mais Critias (oncle de Platon), qui semble avoir été un athée convaincu, participa à la tyrannie des Trente après la défaite d’Athènes dans la guerre du Péloponnèse.

Le penseur du Ve siècle qui a eu le plus d’influence est assurément Socrate. Le problème est de savoir qui, de Xénophon ou de Platon, nous donne la vision la plus juste du personnage. Il est vraisemblable qu’il n’éprouvait pas pour le peuple le mépris que lui prête Platon. Mais il n’était pas pour autant partisan de la démocratie. Contrairement aux sophistes, il croyait en une notion idéale du Juste et de l’Injuste, dont la connaissance lui apparaissait comme le but suprême de l’homme politique. D’où sa soumission aux lois de sa Cité qui le conduit néanmoins à la mort. Sa pensée politique est donc essentiellement morale. Les répercussions de la «révolution» sophistique se font sentir aussi chez les dramaturges (notamment dans le théâtre d’Euripide) et les historiens (essentiellement Thucydide, qui évoque les rapports entre gouvernants et gouvernés, mais aussi entre cités).

La pensée politique continue à se développer au IVe siècle, où elle connaît même son apogée. Au lendemain de la guerre du Péloponnèse, on voit réapparaître les revendications de partage des terres et d’abolition des dettes, comme aux temps de la crise des VIIe-VIe siècles. Mais ce n’est guère le cas à Athènes, où les écoles de rhétorique et de philosophie n’ont jamais été aussi florissantes. Platon et Xénophon sont des théoriciens politiques, mais le second est aussi un homme d’action, un historien et un «économiste». Isocrate est un professeur d’éloquence réputé, tandis qu’Aristote s’est séparé de Platon, après avoir suivi ses leçons, pour fonder une école rivale de l’Académie, le Lycée. Leur souci est d’établir une société équilibrée. Platon a ainsi pu imaginer une société idéale pratiquant, dans la mesure où la propriété privée y est abolie, un certain «communisme» (mais le terme est ici bien anachronique, n’oublions pas qu’il reste un aristocrate méfiant par rapport à la populace…).

Pour Aristote, l’égalité absolue est injuste, car elle lèse les individus supérieurs qu’elle ramène au niveau moyen. Pour lui, l’équilibre sera obtenu par le renforcement de ce qu’il appelle le meson, ceux qui ne sont ni trop riches ni trop pauvres, c’est-à-dire les classes moyennes. Xénophon et Isocrate se font les chantres de la colonisation de l’Asie Mineure (ce qui conduit à l’affirmation d’une forme de panhellénisme politique), mais ce rêve est dépassé par l’épopée d’Alexandre. Enfin, le IVe siècle est aussi le temps d’une certaine critique des politeiai démocratique et oligarchique (critique nuancée il est vrai, notamment pour la dernière…) et surtout de l’élaboration de plus en plus affirmée de l’idéologie monarchique. Si la tyrannie reste déconsidérée, l’institution royale permet de mettre au sommet de l’Etat l’homme le plus distingué par ses origines, sa vertu ou la noblesse de ses actions. L’expression la plus parfaite de cette conception se trouve dans le philosophe-roi de La République de Platon. Mais celui-ci admet, contrairement à d’autres penseurs, que la science royale n’est pas héréditaire.

La conquête de l’Orient par Alexandre puis la formation de vastes royaumes par ses anciens compagnons bouleversent les conditions de la vie politique, surtout après la seconde moitié du IIe siècle. Les cités ne disparaissent pas, mais les grands royaumes tiennent le devant de la scène. La réflexion sur la royauté devient d’ailleurs un sujet dominant à l’époque hellénistique, où l’on s’interroge sur les fondements de la légitimité du pouvoir royal autant que sur les droits et les devoirs du roi. Les souverains favorisent le développement d’une littérature politique qui traite ces questions. Malheureusement, nous ne connaissons pratiquement rien des arguments de ces auteurs pour justifier la réalité de la basileia hellénistique, la plupart de ces œuvres ayant disparu. Quant aux philosophies nouvelles – épicurisme et stoïcisme – elles semblent beaucoup moins politiques, même si certains des disciples d’Epicure et de Zénon se font conseillers des rois. L’époque voit aussi fleurir les utopies égalitaires, comme le rapporte Diodore, ce qui n’est peut-être pas sans rapport avec les tentatives de rois réformateurs ou de tyrans révolutionnaires (Nabis de Sparte, Aristonicos de Pergame…).

Il faut attendre la seconde moitié du IIe siècle pour voir, avec Polybe, la discussion sur la meilleure politeia redevenir un thème essentiel. Il reprend la théorie de la Constitution mixte (mélange harmonieux d’éléments monarchiques, aristocratiques et démocratiques), l’appliquant non seulement aux politeiai grecques, mais aussi à l’exemple romain. Dans l’œuvre de Cicéron, on voit également se manifester la pénétration des doctrines grecques à Rome, cette fois-ci dans la langue latine. Si l’influence stoïcienne a été grande sur lui, elle se conjugue avec l’influence peut-être plus profonde de Platon. A Polybe, il emprunte l’idée de Constitution mixte. Porte-parole de l’oligarchie sénatoriale, il craint la menace monarchique (César, puis Antoine et Octave), mais fournit au fondateur de l’Empire romain le vocabulaire politique qui va lui permettre de faire accepter par tous un bouleversement constitutionnel présenté comme une restauration de la République.

La fondation de l’Empire met un terme à ce qui fait la spécificité de la Cité grecque, le débat public. Dès lors, la réflexion politique ne pouvait que s’étioler. Mais l’expérience grecque n’est pas perdue pour autant, elle est retrouvée par les libres communes italiennes médiévales, l’Angleterre du XVIIe siècle et la France du XVIIIe siècle. Même s’il faut se garder de conclure que les Grecs avaient tout inventé dans le domaine des sciences politiques, il n’en reste pas moins qu’ils ont posé les questions fondamentales auxquelles les hommes d’aujourd’hui cherchent encore des réponses.


Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 30/06/2005 )
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