| Denis Lacorne Justin Vaïsse Collectif La Présidence impériale - De Franklin D. Roosevelt à George W. Bush Odile Jacob 2007 / 23.90 € - 156.55 ffr. / 219 pages ISBN : 978-2-7381-2028-1 FORMAT : 15,0cm x 22,0cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
En 1973, lhistorien américain Arthur M. Schlesinger Jr théorisait la montée en puissance de lexécutif américain à travers une formule qui faisait mouche (et école), la «présidence impériale». Provocatrice comme tout bon oxymore (à part dans la France de Louis Napoléon Bonaparte
), cette «présidence impériale» sonnait comme un pied de nez aux checks and balances qui font de la vieille constitution américaine (1787) un modèle déquilibre et de souplesse. Certes, le système des amendements en a garanti la pérennité, mais dans les situations durgence nationale (à définir), seul lexécutif et donc la présidence peut exciper dune réactivité nécessaire pour rassembler les pouvoirs, quand le parlementarisme serait englué dans les débats
Vision stéréotypée ?
Cest donc à lavènement de cette «présidence impériale» - une notion qui ne désigne pas seulement la présidence Bush Jr, mais remonte historiquement à F.D. Roosevelt, voire plus loin - que Denis Lacorne, directeur de recherche au CERI et spécialiste de la civilisation américaine, et Justin Vaïsse, chercheur à la Brookings Institution et auteur détudes incontournables sur la politique extérieure américaine, ont consacré un ouvrage collectif, issu dun colloque et rassemblant quelques grands spécialistes français et américains de la question des institutions. Signalons du reste que louvrage présente des communications en anglais et en français : un ouvrage militant en ce domaine pour les études américaines en France.
Le sujet donc : à lheure où lexécutif français pratique une forme dimpérialisme au moins dans les médias, sinon dans la définition de la politique même - le débat sur la présidence impériale, quoiquhistoriquement américain, pourrait devenir transatlantique. Il létait du reste, philosophiquement, au XVIIIe siècle, à travers lessor de la philosophie politique et le mythe américain dune république idéale, fondatrice. Mais pourquoi un tel accroc à ce modèle américain fantasmé par Montesquieu et scruté par Tocqueville ? Cest le sens de la première interrogation de P. Mélandri, qui évoque le poids des contextes dans lévolution des institutions, contexte de guerre (à la pauvreté comme au terrorisme) depuis le New Deal jusquau 11 septembre et à lIrak, avec, en arrière plan, des médias de plus en plus développés
et parfois le soutien même des institutions censées contrebalancer lexécutif, à savoir le Congrès et la Cour suprême.
Comme le montre Denis Lacorne, le débat peut toutefois se transposer sur le modèle élaboré par Schlesinger lui-même, et sur les failles idéologiques - de son raisonnement (ce qui ne remet pas en cause le principe même de la présidence impériale, mais qui permet den modifier lassiette politique) : du théoricien à la théorie, la communication de D. Lacorne permet au lectorat français de resituer un débat qui peut sinon sembler clôt. Or débat, il y a et cest justement en cela que louvrage savère nécessaire au public francophone, afin de bousculer un schéma qui semble déjà figé. Loin de fustiger, les auteurs ont au contraire entrepris de dévoiler la complexité et les implications (politiques, institutionnelles, philosophiques) de cette évolution.
Car la présidence impériale recèle forcément des vertus : cest en tous les cas la position (le plaidoyer) dH. Mansfield, qui revisite la philosophie politique des pères fondateurs pour éclairer lesprit des institutions actuelles. Un débat dans lequel V. Michelot sinsère, en montrant la «responsabilité» du Congrès (ou plutôt de son effacement) dans lavènement du président (la politique, comme la nature, napprécie pas le vide), un débat engagé par W. A. Galston, qui répond (dans un texte plutôt écrit sous forme dargumentaire) à son collègue. Cela confère à louvrage ce ton vivant qui est celui du vrai débat démocratique et scientifique. En question également, comme révélateur, la guerre au terrorisme, ou du moins, la manière de la mener : à ce titre, les communications dA. Garapon et de J. Shapiro remettent dans la perspective actuelle, immédiate même, le débat entamé sur des prémices philosophiques ou institutionnels, en posant la question plus large des démocraties, confrontées à ce genre de guerre inédite, et, plus spécifiquement, en établissant une comparaison nécessaire entre deux États si divers en matière de conception juridique, que la France et les États-Unis. Une manière subtile de conclure louvrage sur une sorte de relativisme juridique/politique, loin des stéréotypes réducteurs qui circulent parfois de part et dautres de lAtlantique.
Un ouvrage utile donc, indispensable pour resituer avec précision un débat souvent tronqué en France (et lon appréciera dautant lexcellente introduction des auteurs, parfaitement synthétique), et qui, mené par deux de nos meilleurs connaisseurs de la civilisation américaine, témoigne de la vitalité des études sur ce sujet.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 15/02/2008 ) Imprimer
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