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Penser la post-modernité
Immanuel Wallerstein   L'Universalisme européen - De la colonisation au droit d'ingérence
Demopolis 2008 /  15 € - 98.25 ffr. / 137 pages
ISBN : 978-2-354-57012-5
FORMAT : 14cm x 19cm

Voir aussi :

- Jean-Michel Heimonet, La Raison démocratique dans les limites du religieux. Terreur intellectuelle à l'âge postmoderne, Editions Cécile Défaut, 2007, 133p., 15 €, ISBN : 978-2-350-18045-8.

L'auteur du compte rendu : Diplômé en politiques publiques de la Woodrow Wilson School de Princeton (États-Unis), Timothy Carlson est rédacteur en chef de No Innocent Bystanders (The NIB - www.thenib.eu), une revue mensuelle électronique en anglais sur les idées en France et en Europe. Il est également directeur d'un programme d'études pour étudiants étrangers à Paris.

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Deux essais, le premier par un chercheur-enseignant américain attaché à une école française (EHESS) et, l'autre, par un français, professeur dans une université américaine (Catholic University à Washington DC), chacun très critique envers sa rive natale de l'atlantique, tous les deux traversés par les mêmes airs du temps : comment vivre le post onze-septembre ? ; que faire des Lumières, et de l'Europe plus généralement ? ; où faut-il classer - ou ranger - la religion, la foi, le sacré ? Ces deux petits ouvrages joignent leur voix, férocement opposées, à toutes celles par lesquelles nous nous rendons compte que nous vivons dans une post-post-modernité. Comme si l'anti-réponse de la déconstruction et la réponse totale de la techno-science donnaient soif. Une soif de sens?

Emmanuel Wallerstein est un historien/sociologue engagé, dont l'engagement ne trône que rarement sur ses devoirs d'historien ; il a été l'un des pères fondateurs du mouvement altermondialiste, convaincu que l'ère du capitalisme est en train de s'achever, comme toute période historique, et qu'il faut bien en analyser les erreurs pour mieux en préparer la suite. Sur cette toile de fond, Wallerstein étale les fruits de ses études de l'universalisme européen, qu'il ne trouve pas si universel, et surtout les trois formes que cela a pris durant les cinq siècles de l'ère capitaliste. Avec la discipline d'un historien, la concision d'un essayiste et la précision d'un philosophe (au moins de certains), Wallerstein propose une boîte à outils pour penser où nous en sommes et vers quoi nous allons. En ce temps de règlements de comptes idéologiques, ça tombe à pic!

Pour Wallerstein, l'universalisme tel qu'il est élaboré dans l'occident moderne sert surtout à justifier le système-monde tel qu'il règne depuis le 16ème siècle, un capitalisme dont le moteur - l'accumulation des bénéfices - carbure aux situations de rentes et d'inégalités. La première forme qu'a pris l'universalisme européen a été la mission évangélique par laquelle l'Espagne à légitimé sa conquête destructrice du nouveau monde. Il analyse les raisons par lesquelles Sépulveda justifie la conquête et les contre-arguments de son antagoniste, l'évêque Las Casas. A terme, la rapacité lors de cette première époque exigeait une meilleure défense du comportement du dominant, en même temps que la domination prenait elle aussi de nouvelles formes, et la réponse a été fournie par les Lumières, la Raison, et l'éclairage relatif apporté par l'orientalisme avec son "comment peut-on être persan ?".

Reconnaissance, donc, de la grande civilisation de l'Autre mais surtout reconnaissance de la supériorité de la nôtre qui serait évidente dans sa capacité seule à devenir... moderne. Mais inévitablement, la validité de cette construction aussi s'épuise, en même temps que les avancées technologiques sauvent la mise d'un capitalisme en mal de marges : un nouvel "universalisme scientifique" domine depuis 1945, selon l'auteur. Malheureusement le désordre géopolitique décrédibilise le progrès scientifique, et c'est par un ultime avatar de l'unilatéralisme occidental que la technocratie bien-pensante invente les droits-de-l'homme. Avec un tour de main dévastateur, Wallerstein démontre les similitudes entre le droit d'ingérence par les "pays démocratiques" de Bernard Kouchner et la justification missionnaire des "pays chrétiens" de Sépulveda.

Le deuxième défi relevé par Wallerstein est de démêler adroitement les grandes lignes de l'épistémologie occidentale, réfutant en passant et les certitudes (de la Raison, de la Science) et le relativisme radical ("à chacun sa vérité"). Au cours de cette analyse, il démontre la racine de l'emprise de la méthode scientifique sur les sciences sociales au grand dam de ces dernières. Encore plus utile, en commentant le travail d'Edward Said, palestinien militant, professeur de littérature et grand pourfendeur de l'orientalisme, il souligne l'appel de celui-ci à éviter le piège de l'"occidentalisme", c'est à dire la tendance inverse des divers dogmes post-modernes à jeter la civilisation occidentale aux orties. Suivant Said, Wallerstein défend les "grands récits" contre "les jeux intellectuels désincarnés et sans consistance" des postmodernes qui "avaient abandonné la recherche d'une analyse intellectuelle et, par conséquent, une transformation politique". Finalement, ce petit ouvrage contient un grand appel à un effort commun pour trouver les vrais universalismes, "un consensus minimal sur un cadre de pensée alternatif, qui nous permettrait de devenir tous de francs non-orientalistes.... ce qui nous conduit à notre deuxième question dès que nous nous attaquons à reconstruire nos grands récits : des valeurs universelles peuvent-elles exister?"

S'il y a quelque chose de décevant dans ce texte, c'est la faiblesse du résultat en fin de course. Wallerstein ne sait finalement pas grand chose sur la forme que peuvent prendre ces nouveaux terrains d'entente. Ignorant les travaux pionniers de certains communautaristes et d'autres sceptiques devant le grand libéralisme de John Rawls, ou bien la piste suggérée par le Sujet chez les phénoménologues, Wallerstein se contente de sortir la réponse toute faite du XXIe siècle : il faut "réseau-ter". Les universalismes en réseau nous réuniront autour de la table pour la préparation de l'après-capitalisme.

Le texte de Jean-Michel Heimonet est moins bien construit. Ses dernières préoccupations, apparemment, ont été : la banqueroute de la "théorie critique" post-moderne ; la servilité dans la société contemporaine et surtout en Europe ; l'héroïsme des États-Unis post-11/09 ; l'importance toquevillienne du sacré dans toute démocratie (à l'instar de la démocratie américaine) ; les médias qui bien sûr font le lit du terrorisme ; le Mal et la littérature, etc...

En tirant si vite sur ces ombres, Heimonet semble perdre pied. Ses erreurs de raisonnement ou d'histoire des idées étant trop nombreux pour les détailler, nous nous contenterons d'une liste partielle : la forte tendance athée de sa chère tradition intellectuelle anglo-saxonne ; les ambivalences et complexités des relations Eglise-État aux États-Unis ; le fait que Jacques Derrida n'est pas la seule et unique voix française de ces dernières décennies ; ou bien les méfaits de l'Occident, qui rendent caduque son vitriol contre "la tolérance unilatérale".

A noter avec intérêt : les points commun entre ce fourre-tout et l'argument ciselé de Wallerstein. Ils sont tous les deux méfiants envers la science comme unique épistémologie, ou, ce qui revient au même, comme religion. Ils accorderaient une place dans le monde humain au réflexe du sacré, et ils n'ont pas grande chose à dire sur les post-structuralistes et autre "post-" comme analystes du monde. Pour tous les deux, une vraie épistémologie serait une affaire hybride, non-binaire, humaine, et aux multiples aspects. Heimonet est capable de passages lucides : "Révélant à un homme imbu de sa technique la présence de "barrières insurmontables" inhérentes à sa condition, ce sacré intelligent met un frein au prométhéisme non pas du tout en bloquant la pensée mais au contraire en la dotant d'oxygène spirituel..."

Ceci dit, un texte capable de clamer le désintéressement des États-Unis dans le Proche Orient tout en vilipendant les intérêts mesquins des Européens qui s'opposent à l'invasion de l'Irak est en soi auto-invalidant : fantasmes purs. Idem pour la défense des mesures sécuritaires au nom d'une "liberté juste" tout en ignorant magistralement le débat actuel autour de "l'état d'exception". Heimonet trouve bienvenu d'opposer l'état souverain à l'état providence. Son idolâtrie de Toqueville l'amène à regarder la démocratie américaine avec une douce nostalgie, et d'en faire la pièce centrale de sa thèse : la démocratie a besoin pour fonctionner d'une "religion démocratique", "blanche", qui soit "universelle". Mais pour y accéder il faut cesser de "nous [laisser] endoctriner par les prêtres d'un laïcisme figé dans le passé". Étrangement, il ne demande pas comment être persan...

Heimonet fascine (presque) par tous ces échos d'une faune très diverse. On pourrait y ajouter l'anti-islamisme de certains de nos néo-conservateurs français, l'angélisme de ceux qui croient à la mission des États-Unis dans le monde, et ces analystes qui voient que le Mal vient toujours des penseurs infidèles et jamais des intérêts économiques. Finalement, il rappelle ces plumes trempées dans la haine et si prisées par la droite américaine en ce moment. Traduit en Anglais, il pourrait se faire recruter aux côtés d'un Martin Amis ou d'un Christopher Hitchens, version Frenchy des maquilleurs Européens, embauchés par une droite américaine incapable tout seule de farder ses lourds discours avec de belles phrases.


Timothy Carlson
( Mis en ligne le 26/08/2008 )
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