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Hollywood like Ike ?
Régis Dubois   Hollywood, cinéma et idéologie
Sulliver 2008 /  19 € - 124.45 ffr. / 171 pages
ISBN : 978-2-351-22038-2
FORMAT : 15cm x 22cm
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Le cinéma hollywoodien, dans sa veine la plus commerciale, est-il passeur d'une idéologie ? C'est à cette question que tente de répondre Régis Dubois, dans un petit livre publié par les dynamiques éditions Sulliver. L'auteur est professeur d'histoire du Septième Art et travaille dans le cadre de la critique marxiste et des fameuses gender and cultural studies, un champ d'études venu des États-Unis, très florissant depuis une vingtaine d'années, et consacré aux minorités sociales et ethniques. Affirmant – à juste titre d'ailleurs – que les intellectuels ont souvent tendance à dédaigner ce cinéma «commercial», donc à ne prendre ses aspects esthétiques ou politiques au sérieux, et que, par contre, ceux qui l'apprécient ne perçoivent pas son contenu implicite, Régis Dubois offre dans cet ouvrage neuf études thématiques, certaines issues d'articles, d'autres inédites, qui décryptent à la fois les messages de quelques blockbusters et, dans une moindre mesure, la manière dont ils les rendent digestes.

Dans le premier chapitre, l'auteur résume les différentes étapes du contrôle politique sur le cinéma hollywoodien : le code Hays, la période maccarthyste puis le code de classification des films (fonctionnant sur des restrictions de publics et dont provient le fameux X des films pornographiques), plus pernicieux que prohibitif en ce qu'il oblige les réalisateurs à s'autocensurer en sorte que l'audience soit suffisamment large pour rentabiliser le film. Il ajoute le système des Oscars, plus subtil encore, puisqu'il incite à un certain type de production en soulignant ce qui mérite d'être vu ou pas. On le voit, logique politique et logique économique s'entrecroisent donc, mais sans que Régis Dubois se montre d'une franche clarté à ce propos. Il expose ensuite quelques-uns des aspects de ce qu'il faut bien appeler un cinéma de propagande, puisqu'il défend les valeurs de la société américaine, «l'idéologie étatsunienne», comme dit l'auteur : optimisme, happy ending en guise de retour à l'ordre, glorification de l'individualisme, manichéisme, simplification, phallocentrisme et négation de la figure de l'Autre.

Deux remarques méritent dors et déjà d'être faites. D'abord, la réduction, permanente dans l'ouvrage, de la culture américaine telle que présentée dans le cinéma commercial à ces quelques traits – individualisme, optimisme, célébration de la libre entreprise, etc. – est au moins aussi dérangeante que la propagande qu'elle dénonce ; elle fait l'impasse sur la très grande complexité d'une vision du monde axée sur quatre grands imaginaires originels de l'Amérique du nord : le capitalisme utopiste de Géorgie, le puritanisme du Massachusset, la vision des Quackers et le «légalisme» de Virginie, auxquels s'ajoutent (d'où l'intérêt des cultural studies) divers imaginaires plus récents, dus aux immigrations successives, notamment hispaniques, ainsi que l'imaginaire des Noirs américains, encore habités par le souvenir de l'esclavage et de la traite. Et s'il est vrai que les films hollywoodiens sont davantage marqués par certains imaginaires plutôt que par d'autres ; et si, indéniablement, les imaginaires noirs et hispaniques, jusqu'à une période très récente, ont été sous-représentés ou, pire, utilisés, donc dénaturés, il manque dans l'étude de Régis Dubois une appréhension sérieuse des autres aspects qui figurent bel et bien dans le cinéma hollywoodien et modifient du tout au tout la perception des traits qu'il dénonce. Mister Smith au sénat, par exemple, utilise la technique du happy ending qui assure le retour à l'ordre, donc la légitimité du système dont les aspects négatifs ne sont plus, désormais, que des accidents, mais il est aussi la parfaite illustration du légalisme virginien ainsi que de ce que Tocqueville évoquait lorsqu'il parlait de la force de la société civile américaine (que l'on pense au mouvement de jeunesse qui soutient l'honnête sénateur). Du reste, le film met en scène des intérêts collectifs radicalement opposés aux intérêts privés, ce qui ne va pas dans le sens d'un quelconque individualisme, néoclassique par dessus le marché !

Ensuite, certains des traits soulignés ne sont ni propres aux États-Unis, ni même au seul cinéma hollywoodien : l'ethnocentrisme, la stéréotypie et la négation de la figure de l'Autre, ou son instrumentalisation, ne sont, à la vérité, le propre d'aucun groupe en particulier (c'est un phénomène classique en psychologie sociale, étudié notamment par Tajfel, Duncan, etc.) même si, par le déploiement inédit de moyens qu'elle met à son service, l'obsession de la représentation des cultures (post)modernes occidentales est particulièrement opérante. De même, l'ethnocentrisme, la stéréotypie et l'instrumentalisation de la figure de l'Autre sont aussi opérés dans le cinéma «indépendant» : quels sont les films d'auteur européens qui, traitant de l'Autre, ne mettent pas en scène ses manques et insuffisances, dénonçant, par exemple, «la» tradition, toujours (et seulement) étouffante, toujours injuste et, bien entendu, par essence inamovible, inaltérée ?

Cette dernière remarque vaut pour le deuxième chapitre de l'ouvrage, où Régis Dubois étudie la série des Tarzan, et pour le chapitre huit, dans lequel il traite de la figure de l'Autre de manière plus générale. Pour ce qui concerne la série des Tarzan, il montre qu'elle véhicule une image déshumanisée et/ou infantilisée des Africains (donc justifie symboliquement le traitement des Noirs aux États-Unis), offre une caricature parfaitement inepte de l'Afrique et légitime la mission civilisatrice de l'homme blanc. C'est tout à fait vrai, à cette nuance près que ces stéréotypes visaient davantage les Noirs américains que des Africains, puisque les États-Unis n'avaient ni colonie ni intérêts stratégiques en Afrique noire (les objets de leur convoitise étaient plutôt l'Amérique du Sud, le Pacifique et l'Asie) ; mieux, ils avaient tout intérêt à dénoncer le colonialisme européen qui, par contre, était à son apogée (c'est d'ailleurs ce qui est fait dans Tarzan, au travers de la figures des blancs profiteurs, sans doute inspirée de l'abominable occupation léopoldiste du Congo, laquelle marqua les consciences dans le monde anglo-saxon, hélas moins les nôtres). En outre, c'est aussi l'identité américaine de la majorité «blanche» qui est en jeu : l'opposition à l'Autre permet de se poser comme existant ; de fait, le personnage de l'Anglais «surcivilisé», un tantinet aristocratique, auquel Jane préfère Tarzan, c'est très clairement l'Européen (sophistiqué, superficiel, lourd de son passé) face à une représentation de la classe moyenne, consumériste (comme l'indiquent les imitations d'objets ménagers dans la cabane de Tarzan et Jane) et pleine de bon sens commun. De nos jours encore, tous ces clichés, ces canevas demeurent, et s'affinent, notamment dans les deux premiers volets de Indiana Jones, chefs d'œuvre du néocolonialisme.

Le troisième chapitre, consacré à la boxe, est particulièrement intéressant en ce qu'il manifeste ce qu'il faut bien appeler la réaction «reaganienne» (aussi étudiée dans le chapitre sept) au changement opéré dans les années soixante/soixante-dix autour de la figure du Noir : dans le troisième épisode de Rocky, le spécimen de barbare noir, fait de brutalité et de sexualité sauvage, répond, du fin fond de sa banlieue, au changement d'image opéré par Martin Luther King et consorts ; en face de lui, le moyen-bourgeois blanc triomphant, qui n'a plus grand chose du paumé italien, doit prouver sa virilité (quelque peu émoussée par l'embourgeoisement) en remettant l'indigène à sa place.

Le chapitre quatre continue l'étude de la figure du noir, montrant qu'Hollywood le réduit, pour ainsi dire, à son sexe : ainsi, le violeur noir de Birth of a Nation, justifiant par l'absurde la domination blanche, appelle le Noir, accepté parce qu'asexué, représenté par Sidney Poitiers dans Guess Who's Coming to Dinner ; le noir, menace sexuelle, n'est intégrable que s'il abdique de sa sexualité (ou de sa représentation). De fait, la sexualisation du Noir, selon Régis Dubois, devient un enjeu politique pour le cinéma afro-américain des années soixante-dix. Autrement dit, les Noirs auraient repris et assumé un stéréotype vieux comme les expositions coloniales pour s'opposer à la représentation qui était donnée d'eux. On est là, justement, dans le discours de la gauche spontanéiste des années soixante-dix pour laquelle la sexualité était un enjeu métaphorique ou factuel, signifiant ou amenant une libération du corset familial, étatique, etc. On sait, depuis Foucault, ce qu'il en est… On est aussi en droit de se demander si, concernant les Noirs américains, il ne s'agissait pas davantage de l'intégration, de l'internalisation d'un stéréotype, c'est-à-dire de son acceptation à condition qu'il se modifie axiologiquement plutôt que d'un acte de résistance. En quel cas, il serait facteur d'aliénation plutôt que de libération...

Dans le chapitre six, l'auteur se livre à une comparaison entre deux films de guerre, Le Jour le plus long et Il Faut sauver le soldat Ryan, œuvres dont les reconstitutions se veulent réalistes mais qui sont néanmoins bien différentes formellement. Il montre que, malgré ou, peut-être, en droite ligne avec ce que Spielberg considère comme la fonction éducative du cinéma, la seconde est bel et bien, plutôt que ce pamphlet pacifiste que certains candides ont voulu y voir, une œuvre de légitimation de l'interventionnisme étatsunisien, plus particulièrement en Irak. Et si la véracité de la conclusion ne fait aucun doute, son analyse est un peu courte. Le scénario, notamment, demandait une analyse plus fine. Par exemple, le fait que le soldat allemand qui n'a pas été exécuté par les Américains resurgisse, plus tard, pour assassiner le personnage juif, cela alors même qu'un soldat allié se trouve à proximité et, tétanisé par la peur, assiste à la scène sans intervenir, peut être lu soit comme une référence à l'attitude des démocraties occidentales face au nazisme, soit comme l'attitude de l'administration Bush (père) en face de Saddam Hussein durant la première guerre du Golfe. Le fond même du scénario mériterait d'être questionné. Car enfin, des généraux qui sacrifient plusieurs hommes pour aller en chercher un seul sur la ligne de front, et cela parce que tous ses frères sont morts et que sa pauvre maman risque d'en mourir de désespoir, c'est plus qu'irréaliste : c'est carrément un conte de Noël ! Où l'on retrouve la figure – décidément compulsive chez Spielberg – de la mère (ici la mère-patrie qui, dans le giron familial, remet les pendules à zéro, rend l'innocence, à l'opposé de celle de Né un 4 juillet) ; un État qui sacrifie ses calculs utilitaires pour sauver un individu (autrement dit, un État qui fait de l'individu lambda sa raison d'État) ; et des hommes qui, par dessus le marché, finissent par trouver ça légitime, voici les spectateurs transformés en autant de Candide au pays des merveilles ! Le problème, c'est qu'il n'y a ici aucune ironie : nous sommes bien dans un conte : le mal est le mal, le bien est le bien et se retrouve sanctifié à la fin de l'histoire ; quant au merveilleux, constituant essentiel d'un conte, il est tout simplement dans la logique intrinsèque du scénario. Si l'on y regarde bien, Le Jour le plus long – même s'il est lui-même une belle pièce de propagande – est presque plus honnête : la figure de l'ennemi, quoique négative, y est au moins (un peu) plus humaine, fut-ce par le fair play technique des généraux allemands et la distinction «morale» faite entre Waffen SS et soldats de la Wermarcht – distinction qui aurait été moins acceptable dans un film consacré au front de l'Est, où l'armée fut largement complice des massacres de civils opérés par les sbires d'Himmler et de Heydrich.

On pointera, pour finir, le débat du dernier chapitre du livre, consacré au message politique du fameux 300, peplum endimanché d'effets visuels dont on a – il faut le dire – bien du mal à comprendre qu'un spécialiste du cinéma comme Régis Dubois puisse les trouver «esthétiques». On nous permettra, ici, d'évoquer une anecdote personnelle. Nous avons eu, il y a quelques mois, exactement le même débat avec nos élèves, ceux-ci affirmant que nous étions abominablement paranoïaque parce que nous voyions là l'un des plus effarants films de propagandes racistes (ou orientaliste, pour être plus précis en empruntant le terme au regretté Edward Saïd) jamais tournés. Leur raisonnement était que puisque ce film était issu d'une bande dessinée ou d'un jeu vidéo (ça dépendait de leurs sources), il ne pouvait pas être partisan et n'avait pas vocation à défendre un quelconque point de vue, et moins que tout autre, un point de vue politique. Nous avions beau leur expliquer que – a fortiori dans le contexte actuel – le fait qu'il mette en scène une bataille décisive de l'histoire de l'Europe antique, demeurée, dans l'imaginaire occidental, la bataille opposant «Occident» et «Orient» ; le fait que l'ennemi soit démonisé, montré comme décadent, difforme, ayant une sexualité incontrôlée, du mépris pour les femmes (ce sont les stéréotypes attachés aux «Orientaux», en particulier arabes, depuis le XIXe siècle au moins) et que ses innombrables soldats (autre cliché de monstration de l'Autre : il est toujours en foules, en hordes, en meutes) soient sans visage et vêtus comme les hurluberlus islamistes qui jacassent sur internet ; le fait que l'on fasse des Perses, actuels Iraniens, des Arabes et mêmes des Africains d'Afrique noire (l'ambassadeur de l'empereur de Perse est noir !) une sorte de magma ici aussi informe, c'est-à-dire que l'on assimile en un seul substrat toutes les cultures du pourtour méditerranéen, voire de l'Asie mineure ; le fait que l'on oppose aux malades, psychopathes et dégénérés d'Orient des vigoureux spartiates «darwiniquement» sélectionnés (la chose étant présentée comme dure mais saine – où l'on retrouve l'argumentation des membres des escadrons de la mort nazis sur le front russe!) ; le fait, enfin, que ces Spartiates se fichent des philosophes athéniens (démocrates efféminés) qui veulent négocier, et donc se mettent, par analogie, dans la posture des Américains en face des Européens, tous ces faits, ces stéréotypes, ces référents directs aux imaginaires coloniaux du XIXe, à l'actualité ainsi qu'au plus médiocre de la culture humaniste, qui fit perdre à l'Europe tous ses apports arabes, nous semblaient être des indices suffisants pour appréhender le message du film avec méfiance : considérer qu'il n'était ni neutre, ni innocent. Au fil d'un intéressante enquête sur l'opinion d'internautes concernant ce film, Régis Dubois décrypte les diverses argumentations de ceux qui, comme nos élèves, voient ce film comme un simple divertissement. De là, plusieurs questions pourraient être posées, et notamment une que l'on aimerait voir traitée dans le prochain ouvrage de Régis Dubois : par quels mécanismes cognitifs ces aspects du film arrivent-ils à frapper le spectateur (nul doute qu'il ne le fasse!) tout en passant pour neutres ? Bien sûr, une part de la réponse touche au fonctionnement bien connu des stéréotypes et de leur activation ; cependant, le lien avec les techniques cinématographiques reste à faire...

Bien que la critique d'origine marxiste de Régis Dubois soit à la fois intéressante et perspicace, il manque décidément à ce livre – et à tous les autres ouvrages consacrés au même sujet – une analyse de fond utilisant les dernières découvertes en sciences cognitives. L'appel est lancé...


Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 16/09/2008 )
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