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Le Culte de l'émotion
Michel Lacroix   Le Culte de l'émotion
Flammarion - Essais 2001 /  14.96 € - 97.99 ffr. / 190 pages
ISBN : 2-08-210041-3
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« De l'Homo Sapiens à l'Homo Sentiens », tel pourrait être le sous-titre de cet essai consacré à un phénomène déjà souvent traité par les médias : l'avènement d'une société de l’émotion, dont les acteurs sont perpétuellement en quête de sensations fortes. Pour Michel Lacroix, cet avènement surviendrait en réaction à toute une série de facteurs contraignants : une technicisation croissante, à l’orée du XXe siècle, allant de pair avec une méfiance pour le « facteur humain » ; des codes sociaux que Mai 1968 n’a pas réussi à totalement décorseter ; un discours moral qui, depuis la Renaissance, donne à la raison la prééminence sur l'émotion.

Alourdi de cet héritage, l'homme contemporain s'est trouvé peu à peu une échappatoire dans la recherche de l’émotion sous toutes ses formes, si possible les plus intenses : fuite dans les univers virtuels, "raves" où sont atteints des états modifiés de conscience, sports extrêmes où la décharge d'adrénaline supplante la notion d'effort ou d'endurance. L'auteur voit dans cette quête l’expression positive d’un rejet de la rationalisation à tout crin, mais aussi une dérive dangereuse. En privilégiant l’émotion-choc au détriment de l’émotion-contemplation, l’homme s’isole à la fois des autres (son plaisir est solitaire et, par essence, incommunicable) et de sa propre richesse intérieure. Il s’excite mais ne s’émeut plus, ne laisse aucune émotion durable se déposer en lui et sédimenter pour enrichir son expérience du monde. Plus grave : en pliant le monde à sa quête des émotions, l’homme perd son humilité et sa capacité à admirer ce qui l’entoure. Or, sans admiration, pas de rapport possible au sacré. Dans un autre registre, les thérapies comportementales et les méthodes de développement personnel relèguent au second plan la parole, l’introspection, et placent le passage à l'acte au cœur du travail sur soi. Avec un seul mot d'ordre : « libérer ses émotions ».

Pour convaincante qu’elle soit, la démonstration de Michel Lacroix a toutefois du mal à s'élever au-dessus du simple constat. Et elle frise le ridicule lorsque sont abordés le thème de l’art ou de l’éducation.
Car écrire : « L’obsession de la nouveauté conduit à l’extravagance, à la laideur, au psychédélique », c’est faire preuve d’une vision de l’art qui nous ramène à Jdanov ; expliquer que « l’essence même du modernisme », par opposition à l’art classique, est de chercher à « provoquer une réaction qui est de l’ordre de l’émotion-choc », c’est dénier à Dürer, Callot, Friedrich, Bosch, Goya, Manet, Courbet la charge de beauté convulsive dont leur œuvre est porteuse ; reprocher à l’artiste contemporain « l’audace qui heurte les habitudes », le désir de « faire réagir » le public au lieu de chercher à lui plaire, l’accuser de « livrer assaut contre la sensibilité » et de « faire violence au goût » (deux notions que M. Lacroix manie avec une telle aisance qu’il se garde bien de les définir), c’est condamner un peu vite ce bizarre dont Baudelaire fait la condition essentielle du beau.

On peut enfin sourire lorsque M. Lacroix associe l’appauvrissement de la sensibilité littéraire des lycéens à la précocité de la vie sexuelle, qui « dilapide le capital de sensibilité disponible pour la jouissance esthétique ». Mais comment lire sans perplexité : « Un adolescent qui fait régulièrement l’amour depuis l’âge de treize ou quatorze ans peut-il vibrer à la lecture d’un poème de Verlaine ? » (Osons le dire : oui !)

Certes, d’un auteur qui puise toutes ses illustrations dans La Nouvelle Héloïse, Les Rêveries du promeneur solitaire, René et Les Mémoires d’Outre-tombe, on ne peut guère s’attendre à un discours follement en phase avec son époque. Mais, dès lors qu'il s'inscrit dans une démarche de type sociologique, le décalage est cruel et donne à la démonstration de Michel Lacroix des accents de prêche un peu poussiéreux.


Pierre Brévignon
( Mis en ligne le 19/08/2001 )
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