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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
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Pour une géographie réenchantée | | | Jean-Robert Pitte Le Génie des lieux CNRS éditions 2010 / 4 € - 26.2 ffr. / 59 pages ISBN : 978-2-271-06950-4 FORMAT : 16,9cm x 12cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Jean-Robert Pitte, membre de lAcadémie des Sciences morales et politiques et ancien Président de lUniversité Paris IV Sorbonne, sest spécialisé dans la géographie culturelle. Il sintéresse particulièrement à lhistoire du paysage et de la gastronomie ; son précédent ouvrage, A la table des dieux (Fayard, 2009), portait sur les relations entre nourriture et religion. Avec ce petit livre (60 pages) publié dans une nouvelle collection des éditions du CNRS, il nous offre un plaidoyer pour une géographie humaniste.
La première partie, joliment intitulée «Là, tout nest quordre et beauté», plaide pour un réenchantement du monde. Lauteur y exprime sa fascination pour lenracinement profond des hommes aux lieux. Il commence avec lexemple du Japon, pays quil semble bien connaître et apprécier. Il décrit lattachement des Japonais au Palais impérial de Tokyo et à des sanctuaires fameux comme celui dIse, consacré à la déesse du soleil Amaterasu, niché dans une majestueuse forêt sacrée, où le temple est rebâti à lidentique tous les vingt ans, depuis un millénaire et demi. Un autre exemple, cette fois-ci a contrario, des liens affectifs qui lient la condition humaine à une terre particulière, est celui de larchipel de Sainte-Kilda, au nord des Hébrides écossaises. La désertion de larchipel fait suite à sa «normalisation» par un pasteur calviniste un peu trop borné ayant banni des coutumes suspectes de paganisme.
La deuxième partie, «Révéler et interpréter le génie des lieux», tente de préciser ce concept, essentiel selon Jean-Robert Pitte à la démarche géographique, qui doit prendre en compte autant lapplication à laction et à la vie quotidienne que la démarche scientifique. Lauteur renvoie dos à dos les idéologues new age de la deep ecology, pétris dirrationnel, et le néo-scientisme de certains géographes férus de modélisations propres à tout comprendre (il critique ainsi son collègue Roger Brunet, quil juge insuffisamment ouvert à la géographie culturelle). Il souligne que lêtre humain a besoin, pour vivre en harmonie avec lui-même, de sapproprier son espace vital et de se construire un territoire. Les lieux de culte sont particulièrement valorisés à cet égard, quils soient païens ou monothéistes. Le contre-exemple est fourni par les grands ensembles sans âme. Jean-Robert Pitte se livre à une critique sévère de larchitecte Le Corbusier, qualifiant ''La Charte dAthènes'' de «degré zéro de lurbanisme» (p.26). Lapproche développée par les civilisations asiatiques, davantage en symbiose avec lenvironnement, lui semble de loin préférable.
La troisième partie, «La géographie pour mieux habiter la planète», opère un retour sur la discipline. Selon lauteur, les géographes ont comme seule utilité de révéler le génie des lieux afin daider les hommes à trouver lharmonie avec eux-mêmes et avec leurs contemporains, dans nimporte quel lieu. Il rappelle les défauts du système : un poids bien moindre que celui de la discipline sur, lhistoire ; une géographie qui ne fait plus rêver ; labsence des géographes dans le débat public, malgré le festival de Saint-Dié ; catastrophisme du discours médiatique ou politique
Mais, selon lui, la géographie est «lantidote du choc des civilisations, de la fin de lhistoire et de toutes les peurs millénaristes» (p.43), et il refuse tout déterminisme naturel.
Dans la quatrième et dernière partie, Jean-Robert Pitte se livre à un «Éloge de la diversité». Il prend un exemple quil connaît bien pour lavoir étudié, celui du vin (cf. Le Vin et le divin, Fayard, 2004 ; Le Désir du vin à la conquête du monde, Fayard, 2009), montrant que cette boisson peut-être un objet culturel géographique exaltant un terroir, face aux risques duniformité de la mondialisation. Il termine en plaidant pour une géographie au service de la Cité, indispensable à toute culture générale et à toute action politique, déplorant au passage le manque dambition actuel des sciences humaines, réticentes à généraliser à partir de plusieurs exemples particuliers. On peut ne pas être daccord avec toutes ces prises de position et avec le caractère spiritualiste de la démarche, mais ce petit livre, tout à fait accessible au non spécialiste, a le mérite douvrir la réflexion et de contribuer aux riches débats non seulement de la géographie, mais aussi des sciences humaines et sociales dans leur ensemble.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 14/09/2010 ) Imprimer
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