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Anthropologie culinaire de la culture juive | | | Claudia Roden Le Livre de la cuisine juive Flammarion 2012 / 39.90 € - 261.35 ffr. / 588 pages ISBN : 978-2-08-128028-1 FORMAT : 24,6 cm × 31,5 cm
Cécile Nelson (Traducteur) Imprimer
Publié pour la première fois en anglais en 1996, puis en 2003 traduit dans plusieurs langues, Le Livre de la cuisine juive nous revient aujourdhui sous une présentation particulièrement soignée et une superbe mise en page dans la collection «Vie pratique» de Flammarion. Bien plus quun recueil de recettes il en comporte plus de huit cent recueillies dans le monde entier , ce très bel ouvrage représente laboutissement de seize années de recherche approfondie et de rencontres autour de la spécificité juive des «pratiques» culinaires, le terme «pratique» devant sentendre ici, par delà lhabileté du savoir-faire, sous langle anthropologique des «techniques du corps» de Marcel Mauss ou des «Mythologiques» de Claude Lévy-Strauss («Le Cru et le cuit». «Lorigine des manières de table»).
Alliant rigueur et sensibilité, lapproche de Claudia Roden, qui consiste à fouiller les archives tout en récoltant sur le terrain les saveurs, les gestes et les dires, relatifs aux «techniques» culinaires, relève pleinement des sciences humaines, à la croisée de lHistoire, de lethnologie et de lanthropologie. Sans omettre la dimension géographique dans la mesure où le travail a été mené sur lensemble des cinq continents, là où les communautés juives se sont implantées au gré de leurs multiples déplacements, choisis ou contraints. Notons que lauteure a rédigé par ailleurs une vingtaine douvrages portant sur dautres spécificités, notamment espagnoles (à paraître en octobre) ou moyen orientales.
Mais que le lecteur se rassure : en dépit de sa très vaste érudition dont rend compte la sélection bibliographique, il ny a aucune pédanterie dans cet ouvrage accessible à un large public : les informations diversifiées et nourries, en référence entre autres aux préceptes bibliques et talmudiques, surviennent par nécessité, là où elles sont les bienvenues. À une approche encyclopédique aride, Claudia Roden a préféré une anthologie dictée par ses choix et ses engagements, très tôt ouverts sur lactualité des «pratiques» sans pour autant omettre les contextes de leur apparition, Si elle défend lidée dune unicité de «la» cuisine juive en dépit de sa diversité, cest en grande partie lié au cosmopolitisme de son parcours : née au Caire, doù sa famille sépharade et polyglotte venue dAlep et dIstanbul devra sexiler à Londres au moment de la crise de Suez, Claudia Douek a vécu trois années à Paris avant de sunir à P. Roden, un juif ashkénaze dorigine russe. Depuis, elle vit dans la capitale britannique à moins quelle ne sillonne le monde, sur la trace dune recette oubliée ou au devant dun événement gastronomique.
Aussi ne sagit-il pas pour elle de choisir entre les principaux groupes culinaires, sépharade, ashkénaze, distincts dans leur provenance et leurs principes clairement expliqués, mais bel et bien de présenter les deux, sachant par expérience que le dicton «dis-moi comment tu manges, je te dirais qui tu es» savère de moins en moins fiable au fil des entrecroisements culturels et de lévolution des exigences du monde moderne. Tout en étant porteur de son habitus, chaque groupe social a été amené à sadapter aux conditions climatiques, géographiques et techniques de son nouvel environnement. Les rythmes de vie ont changé, les pratiques religieuses au quotidien aussi. Autrefois réprouvée elle lest encore dans les milieux stricts , la mixité des mariages a entraîné une diversité des arts, des mets et des manières de table : à la logique des exclusions a succédé une dialectique des complémentarités.
Restent le Shabbat et les fêtes religieuses, inscrits dans les mémoires collectives, lors desquels, quelles que soient les libertés prises par ailleurs, les repas retrouvent leur coloration rituelle, «comme à la maison», dont sinspirent de nombreuses «recettes» rassemblées dans ce livre. Comme le rappelle, dans un parfait français et non sans humour, linvitée de lémission «On va déguster» (France Inter, le 10 juin 2012 ) : chez les juifs, la pratique religieuse sexerce principalement à table.
Choisies et commentées en fonction des traces écrites et surtout des aventures humaines nouées à travers elles, les «recettes» senchaînent sur un mode associatif fluide et personnel, ponctuées danecdotes «savoureuses» et de blagues où lautodérision est de mise. Pour lagrément du lecteur, sont reproduites une cinquantaine dillustrations, non pas des plats préparés comme on le voit dans la plupart des livres de recettes, mais des photographies darchives représentant des gens, des lieux et des habitats. Des familles se réunissent autour dune table de fête, dautres se serrent assis par terre devant lobjectif
Nous sommes ici à lintérieur dun ghetto, là dans un souk, en Pologne en Géorgie, au Yemen, en Chine ou ailleurs : devant des photos anciennes de pays lointains qui pourtant chaque fois sarticulent à des récits vivants, saisis en pleine actualité.
Un grand beau livre de communication, de relation et de transmission pétri des témoignages de lHistoire. Remarquable !
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 03/07/2012 ) Imprimer | | |