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De la société de consommation
Marie-Emmanuelle Chessel   Histoire de la consommation
La Découverte - Repères 2012 /  10 € - 65.5 ffr. / 128 pages
ISBN : 978-2-7071-5925-0
FORMAT : 12,2 cm × 19,1 cm
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La consommation étant pour ainsi dire le plus petit dénominateur commun moral et peut-être même politique des ressortissants de l'ère postmoderne – même quand ils la contestent – ainsi qu'un mode d'appréhension du réel tout à fait inédit dans l'histoire humaine, elle est devenue un champ d'études à part entière, d'ailleurs difficile à délimiter tant ses implications et ses enjeux sont larges. Fort opportunément, la collection ''Repères'' avait déjà offert un petit ouvrage consacré à la sociologie de la consommation tout à fait réussi ; voici qu'il est suivi d'une Histoire de la consommation, synthèse elle aussi remarquable due à Marie-Emmanuelle Chessel, directrice de recherche au CNRS. Madame Chessel a déjà traité dans plusieurs ouvrages de la professionnalisation et la volonté et l'encadrement politiques qu'impliquent ce que l'on appelle depuis les années 1960 «la société de consommation».

La structure de l'ouvrage articule le diachronique et le thématique. Aussi s'ouvre-t-il sur la genèse de la société de consommation au XVIIIe siècle. Celle-ci trouve ses racines dans une logique politique, celle du monarque absolu qui pousse à la dépense ostentatoire pour détourner la noblesse de la conquête du pouvoir, couplée à une logique – déjà – de distinction sociale par laquelle cette même noblesse se distingue du peuple, de son éthos et de ses pratiques d'autoproduction. Puis, avec l'arrivée d'une plus grande variété de produits (notamment coloniaux), le développement de l'urbanisation et du travail salarié (et donc du recours au marché qui engage une partie de la population hors de la sphère domestique, donc de l'éthos de l'autoproduction) ainsi que l'enrichissement d'une partie de la bourgeoisie, les immenses possibilités de la production industrielle naissante et l'avènement de l'économie politique libérale (sa valorisation du luxe et de la poursuite des intérêts individuels, telle qu'elle se présente, par exemple, dans la fable des abeilles de Mandeville), la logique de distinction par la consommation déborde la seule aristocratie.

Mais Madame Chessel insiste davantage sur une autre transformation, celle des techniques de vente (prix fixe, marge faible avec compensation sur le volume de vente, offre large, renouvelée, publicité, rationalisation, etc.), de la mise en scène des produits dans les grands magasins ou de nombreuses boutiques spécialisées. Il est à noter que l'avènement du comportement «consumériste» ne va pas sans résistance de la paysannerie et du monde ouvrier et que sa diffusion n'est pas homogène eu Europe, notamment là où les marchés restent fermés aux commerce international : le lien entre société de consommation, homogénéisation des marchés et commerce international n'est plus à rappeler...

Durant l'entre-deux guerres, le modèle fordiste, venu des Etats-Unis, s'impose : travail à la chaîne, production de masse à bas prix, augmentation du pouvoir d'achat des ouvriers. Mais c'est entre 1955 et 1975 que se met réellement en place la société de consommation de masse. Là encore, la consommation devient un outil et un enjeu politique dans l'affrontement des blocs ; la compétition idéologique, et donc la légitimité des systèmes en place, se fonde sur les signes de «satisfaction» des besoins – ou, pourrait-on dire avec Ivan Illich dans sa critique du développement, de création de besoins, c'est-à-dire de manques.

La consommation de masse est favorisée par l'augmentation du temps libre, des dépenses de santé et... du crédit. Jadis condamné par les réformateurs sociaux, il est désormais considéré, en particulier pour l'achat d'immeubles, comme une sorte d'épargne. On mesure le changement de mentalité qui s'est opéré depuis le XIXe siècle. C'est aussi à cette époque que naissent les lois de protection du consommateur : avec la consommation de masse, l'Etat étend son champ d'intervention. Les quatre chapitre qui suivent explorent plusieurs caractéristiques de la société de consommation et des processus qui y ont mené ; ils sont respectivement consacrés à l'américanisation, à la professionnalisation, aux genres puis aux organisations de consommateurs.

Tant décriées par les mouvements critiques de la société de consommation, l'américanisation, défend Madame Chessel, a été relative ; en effet, non seulement les défenseurs américains de la société de consommation sont plus souvent qu'on ne le pense allé s'inspirer en Europe, mais les dénonciateurs, cette fois européens, ont eux fait le chemin inverse et doivent beaucoup aux campagnes critiques du nouveau continent. De plus, si la professionnalisation, dans le champ du marketing et de la publicité, s'est opérée en Europe en référence à celle des Etats-Unis, l'appropriation de l'imaginaire consumériste américain en Europe a été active et sélective : ce qui en a été pris n'a pu l'être que parce que cela pouvait faire sens ou être utile et efficace sur le vieux continent. Quant à cette fameuse professionnalisation de la vente, elle se manifeste par une pléthore de nouveaux métiers : courtiers d'annonce, publicitaires, marketers, designers, etc.

L'avènement de la société de consommation et de la figure du consommateur a aussi eu un impact concernant la représentation et le rôle des femmes. Les stéréotypes à son égard se sont souvent davantage vus renforcés, confortés que bousculés : longtemps on a opposé l'homme rationnel à la femme influençable. Naissent deux figures féminines, utilisées par les marketers et publicitaires : la bourgeoise dépensière et hystérique et l'ouvrière vertueuse, gestionnaire, celle des cours d'enseignement ménager. L'auteure souligne que si la consommation, notamment au travers de la publicité, a renforcé les stéréotypes, elle a aussi offert aux femmes, exclues du jeu politique, un champ d'action social donc, de manière détournée, politique.

Enfin, concernant les associations de consommateurs, on peut distinguer celles qui relèvent de la consommation «éthique» (par exemple, la Ligue sociale d'acheteurs, qui opère dès le début du XIXe et cherche à améliorer le sort des travailleurs, ou encore celles actuellement liées au commerce dit «équitable») de celles qui relèvent du pur consumérisme, c'est-à-dire de la défense du consommateur (sa santé, les bonnes affaires, etc.) sans relation avec le monde du travail ou d'autres critères.

Histoire de la consommation est un ouvrage riche, offrant de très diverses perspectives de réflexions et d'approfondissements avec, comme toujours dans la collection ''Repères'', une excellente bibliographie. Il laisse cependant sur sa faim parce que si l'auteure a choisi de ne pas rester dans l'histoire factuelle, elle s'engage dans l'histoire sociale – insistant, on l'a vu, sur les thématiques de professionnalisation et de genre – sans vraiment entrer dans celle des idées qui la sous-tendent. Mais c'est là bien sûr le risque d'une synthèse, et l'on ne peut qu'attendre une suite ou une étude plus fouillée de la part d'une chercheuse qui maîtrise indéniablement son domaine...


Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 28/08/2012 )
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