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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
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Argent, lien social et asocial | | | Michel Pinçon Monique Pinçon-Charlot L’Argent sans foi ni loi Textuel - Conversations pour demain 2012 / 12 € - 78.6 ffr. / 92 pages ISBN : 978-2-84597-444-9 FORMAT : 11,4 cm × 21,0 cm Imprimer
Loin du langage abscons de léconomie financière, les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon exposent clairement à Régis Meyran la manière dont largent a été perverti afin de modifier «un ensemble de constructions sociales et de rapports de force entre les différents groupes» jusquà devenir une arme de domination. Lapproche sociologique, en mettant au premier plan les intervenants (financiers, spéculateurs, politiques, banquiers, termes du discours économiques, etc.), «évite de réifier largent et den faire un acteur autonome de la vie sociale».
La virtualité de largent ne va cesser de croître au XXe siècle : après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les accords de Bretton Woods (1945) permettent aux Etats-Unis dimposer le dollar comme monnaie déchange du commerce mondial et unique devise convertible en or. Puis, appauvris par la guerre du Viet-Nam et confrontés au déséquilibre entre les réserves dor de la banque fédérale américaine et le volume de dollars en circulation, les Etats-Unis abandonnent la convertibilité du dollar sur lor (Nixon, 1971). Ainsi libéré, le «dollar roi» devient «une arme que les Etats-Unis utilisent pour dominer le monde» mais aussi une monnaie de singe qui donne aux Etats la possibilité de vivre au-dessus de leurs moyens. La virtualité de largent se poursuit par la mise en place des chéquiers, prélèvements, banalisation des crédits, cartes bancaires, et en 1984, la France privatise ses dernières banques publiques ou mutualistes. Les financiers possèdent le pouvoir.
Le cheval de Troie du néolibéralisme sintroduit au sein même des Etats. Les collusions financier-politique, tant de gauche que de droite, sont nombreuses ; en la matière, la médaille revient à Petros Christodoulou, trader de Goldman Sachs en charge de
la dette grecque. Une génération de «patrons voyous» pille le savoir-faire des entreprises françaises et enrichit les fonds de pension américains au détriment des salaires de milliers de travailleurs car face à eux il ny a que la déliquescence de lEtat, lequel entérine les dispositions libérales du traité de Lisbonne malgré lopposition du peuple et nimpose ni embargo ni aucune autre sanction aux paradis fiscaux. Les actionnaires ne connaissent plus de limites dans leurs profits et largent perverti devient une arme dans les rapports sociaux de domination, qui permet dabaisser le coût du travail des salariés européens au niveau des pays les plus pauvres.
Cette distorsion, jamais atteinte entre les valeurs de la République et ce capitalisme financiarisé dérégulé, est niée par la presse people : à travers la saga des têtes couronnées et multimillionnaires avec leurs paradis fiscaux, cette presse entretient lidée dune «société consensuelle» dans limaginaire collectif.
Comment échapper au principe de fonctionnement du libéralisme aveugle, à linjonction de senrichir personnellement ? Comment redonner à largent «le rôle dhumble serviteur irriguant le corps social» au lieu dêtre linstrument de domination entre les classes et les peuples ? Les auteurs, en rappelant «quils choisissent leurs vies plutôt que leurs profits», proposent dautres alternatives loin dêtre utopiques. Pédagogues et clairs dans leur approche historique de cette dérive, leur «petit» livre est précieux et sadresse à un large public.
Aux formules vides de sens des discours politico-économiques quils nont pas manqué de repérer, ils préfèrent citer cet extrait : «Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent sa monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession, dabord par linflation, ensuite par la récession, jusquau jour où leurs enfants se réveilleront sans maison et sans toit sur la terre que leurs parents ont conquise» - 1802 -Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis.
Marie-Claude Bernard ( Mis en ligne le 27/11/2012 ) Imprimer
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