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Panopticum
Elodie Lemaire   L'Oeil sécuritaire - Mythes et réalités de la vidéosurveillance
La Découverte - L'Envers des faits 2019 /  20 € - 131 ffr. / 207 pages
ISBN : 978-2-348-03649-1
FORMAT : 13,5 cm × 22,0 cm
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L'enquête de terrain de la sociologue Elodie Lemaire porte sur le système de vidéosurveillance d'une petite ville. En observant les enjeux et pratiques à la fois techniques, légaux, logistiques, organisationnels et sociaux, elle cherche à vérifier si les croyances concernant la toute-puissance supposée, l'efficacité vantée, voire l'omnipotence totalitaire si souvent dénoncée des caméras de surveillance qui envahissent les espaces publics, les transports en commun ou encore les commerces sont vérifiées, ou même seulement vérifiables. Pour ce faire, elle s'attache – dans une démarche de sociologie participative couplée à des entretiens – à suivre au quotidien le travail et les interactions des acteurs du domaine : opérateurs, techniciens, enquêteurs, magistrats, tout autant qu'à confronter leurs actes et discours à la réalité complexe du terrain, aux résultats attendus ou prétendus. Le tableau d'ensemble est à la fois nuancé et mitigé, et les enjeux, affirme Lemaire, ne sont peut-être pas ceux que l'on croit.

Tout d'abord, les caméras de surveillance ne sécurisent pas ; plus précisément, rien ne semble indiquer qu'elles empêchent des crimes ou délits d'être commis ou encore qu'elles aident les forces de l'ordre à empêcher ces délits ou crimes quand ils sont en cours – surtout si l'on considère les biais du canal de communication entre les opérateurs caméra et la police. Si divers acteurs assument qu'elles ont un effet préventif, dissuasif, rien d'objectif ne semble l'indiquer – d'autant qu'il n'existe pas réellement d'outils pour le faire – et au mieux peut-on attendre un déplacement du problème que sa résolution : comme le souligne lucidement l'un des intervenants, les actes les moins spontanés (et seulement eux) sont probablement commis ailleurs que sous l'oeil mécanique. Cela implique – mais cela ne fait hélas pas l'objet de la réflexion de Lemaire – que l'efficacité (théorique) des caméras ne peut-être assurée que par l'extension de leur nombre (et l'amélioration de leurs capacités techniques) : la prétention à l'efficacité implique une sorte de fuite en avant ou de prophétie autoréalisatrice dont on connaît un argumentaire assez semblable dans la rhétorique libérale ; le marché censé être autorégulateur et donc efficace ne l'est que s'il est libre, or il ne l'est jamais assez, ce qui explique et excuse ses échecs. Ainsi les caméras de surveillance ne peuvent être efficaces que si leur diffusion est totale et ont donc une vocation totalitaire : du point de vue sécuritaire, qui est leur raison d'être officielle, l'existence des caméras ne se justifie que par leur multiplication. Ainsi, l'argument des opposants aux caméras qui y voient une tendance orwellienne n'est pas invalidé, en tout cas sous son aspect théorique.

Pratiquement, c'est une autre affaire. Car en l'état actuel de la technique et de l'organisation sécuritaire, non seulement les caméras ne permettent pas d'empêcher les crimes et délits, mais elles sont même modérément efficaces dans l'aspect pénal et répressif : si elles peuvent effectivement aider à retrouver les criminels, à les identifier ou à établir les faits, l'auteur montre que l'on est très loin des attentes généralement exprimées, qu'à vrai dire les attentes ne sont pas les mêmes selon les acteurs qui utilisent les potentialités des caméras et que les obstacles techniques, logistiques, légaux et même sociaux sont aussi nombreux que nuisibles à une utilisation optimale des caméras dans les enquêtes judiciaires. Tout le mérite – et finalement les dangers - de l'enquête de Lemaire consiste à montrer ces obstacles, et les enjeux qu'ils amènent. On citera par exemple les délais de conservation des séquences filmées, qui ne correspondent pas au temps judiciaire, les limites du cadrage et du mouvement des caméras ainsi que de leur manipulation, les jeux de pouvoir dans le champ sécuritaire qui opposent les policiers aux opérateurs caméras, dont le statut précaire, le manque de formation et l'identité professionnelle faible font l'objet du mépris des mêmes policiers, au point que ceux-ci, ne partageant pas les raisons pour lesquelles ils souhaitent avoir accès à un enregistrement, ne permettent pas une véritable recherche documentaire des opérateurs, etc.

Lemaire affine son enquête en analysant la manière dont ces enregistrements vidéos sont utilisés comme preuve et note que les magistrats, en sus de s'appuyer (par manque de temps mais de manière assez légère) sur le visionnage opéré par les policiers et les extraits ou photos que ceux-ci en retirent, n'utilisent pas toutes les potentialités des vidéos ; que les avocats n'ont pas souvent accès à ces vidéos ; enfin, que la lecture de ces vidéos pas nécessairement sélectionnées en fonction des besoins de l'enquête (puisque ces besoins ne sont pas transmis aux opérateurs qui fouillent les archives), réduites à quelques traces, donc à des interprétations, des montages probants construits par les policiers pour ensuite être intégrées dans un faisceaux d'éléments plutôt à charge par les magistrats est, pour le lecteur attentif, un peu inquiétant. Le traitement du matériaux «brut» paraît à la fois extrêmement chaotique, opaque et terriblement orienté – et l'on se dit que c'est sur ce point qu'une sérieuse étude sociologique devrait continuer celle de Lemaire.

Deux autre aspects sont soulignés par l'auteur : d'une part, le mièvre statut et les conditions de travail peu exaltantes des opérateurs, leur ennui, et la mesquinerie qu'implique leur situation, et d'autre part, le fait que le placement des caméras indique des enjeux de sécurité parfois à double tranchant (puisqu'ils permettent de contrôler ceux qu'ils sont censés protéger, comme l'ont bien compris les syndicats de chauffeurs de bus) et spécifiquement orientés vers certains délits (de petites délinquances), et donc vers certaines populations : au final, la boucle est bouclée, ce sont bel et bien des déclassés sociaux qui s'ennuient à surveiller des pauvres.


Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 10/05/2019 )
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