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Charisme et savoir
Dominique Iognat-Prat   Gilles Veinstein   Histoire des hommes de Dieu - dans l'Islam et le Christianisme
Flammarion 2003 /  20 € - 131 ffr. / 298 pages
ISBN : 2-08-210103-7

Ouvrage collectif sous la direction de Dominique Iognat-Prat et Gilles Veinstein
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Les éditions Flammarion publient les actes d’une table ronde tenue en avril 2001 au centre Thomas More. Durant celle-ci, plusieurs spécialistes des religions, orthodoxe, catholique, protestante et musulmane, sont intervenus sur le statut de l’homme de Dieu au sein de ces différentes confessions.

« Homme de Dieu », le terme est délibérément large tant les différences sautent aux yeux entre la forte structuration et hiérarchisation dans l’Eglise catholique, le statut beaucoup plus souple du pasteur dans les Eglises réformées, et celui des ulémas dans l’Islam, religion sans Eglise. Pour autant, ces divergences n’interdisent pas l’inspection comparatiste dont les vertus, les chercheurs en conviennent de plus en plus, sont nombreuses.
C’est donc sur le terrain commun de la religion, dans sa triple dimension historique, sociologique et anthropologique, que les différents intervenants ont amorcé un dialogue des plus enrichissants.

Les pistes de réflexion sont nombreuses en la matière. L’homme de Dieu, dans toutes les religions, vit dans une tension difficile entre la proximité avec la masse des croyants desquels il se distingue par son statut même d’homme de Dieu, par son rôle d’intermédiaire donc, et une dimension plus spirituelle faisant de l’homme de Dieu, aussi, ce solitaire en quête d’un dialogue intime et immédiat avec le divin.
Cette tension s’exprime donc par ce couple charisme/savoir, opposant le spirituel inspiré, solitaire, et l’homme plus proche de la communauté religieuse qu’il éclaire de sa science - théologique, juridique, etc. selon les religions. En Islam, elle s’incarne dans les deux visages de l’uléma, docteur de la science (on parle de fuqaha en la matière) et des spirituels à l’origine du soufisme, les fuqarâ. Toutes les religions expriment cette dialectique, sans qu’il ne faille y voir une opposition franche et hermétique.

En effet, concernant l’Eglise byzantine, Marie-Hélène Congourdeau, tout en rendant compte de l’opposition entre moines et clercs séculiers, rappelle les efforts incessants de l’Eglise hiérarchique pour contrôler et intégrer les premiers au Moyen Age. Ainsi au XIVe siècle, au sortir de la crise Hésychaste, empereur et moines se retrouvant pour la première fois côte à côte, ces derniers sont choisis systématiquement pour les postes d’évêques et de patriarches, confusion qui sera perpétuée dans le monde orthodoxe post-byzantin comme l’explique Matei Cazacu. Cette progressive affirmation de l’Eglise est attestée en Occident de même, ce que souligne Dominique Iognat-Prat, autour de la réforme dite grégorienne (du nom de Grégoire VII, pape de 1073 à 1085).

Mais ici aussi l’historien se doit d’entrer dans la nuance. Si le schéma tripartite, identifié par Georges Dumézil, se sédimente autour de l’an mil, la distinction entre les deux clergés ainsi que le pouvoir de l’Eglise sur le monde des laïcs ne doivent pas être exagérés. L’omnipotence supposée de ces médiateurs est en effet relativisée par la manifestation d’anticléricalismes croyants dès le XIe siècle, mouvements annonçant les Vaudois, Hussites et Lollards des XIIIe-XVe siècles, la Réforme enfin au siècle suivant, à laquelle Thierry Wanegffelen consacre un article passionnant. L’historien y démasque une tension nouvelle au sein de la nouvelle confession chrétienne. En effet, l’affirmation du sacerdoce universel des baptisés par Luther en 1520, en réaction à l’autorité de l’institution ecclésiale, n’évacue pas la question épineuse du cléricalisme. Le pasteur n’est pas le prêtre de l’Eglise catholique, ce en quoi il peut être rapproché de l’homme de religion musulman. Mais, si cette religion n’est pas institutionnalisée comme l’est le catholicisme, la fonction de pasteur n’échappe pas à une institutionnalisation progressive, voire à une «recatholicisation» selon le mot de Jean Wirth. Ici aussi la maîtrise d’un savoir entraîne la distinction de certains hommes, les pasteurs, «un type particulier de clercs» (Jean-Paul Willaime).

La distinction pose un problème au rôle de médiateur que doit jouer l’homme de Dieu auprès de sa communauté. La médiation suppose en effet une proximité que la distinction bride. Cette apparente contradiction, dénoncée en son temps par les protestants, fut pointée du doigt par la suite, qu’il s’agisse de la fronde des succursalistes sous la Monarchie de Juillet, du mouvement des abbés démocrates en France dans les années 1880 ou de celui des prêtres-ouvriers, analysé par Emile Poulat (Les Prêtres-ouvriers. Naissance et fin, Cerf, 1999). Denis Pelletier consacre un chapitre à l’une des dernières manifestations de ce courant. Dans la configuration historique particulière des «années 68», le mouvement Echanges et Dialogue exprime une volonté de «déclergification» par la revendication pour les prêtres du travail salarié, de l’engagement politique et syndical, d’une démocratisation de l’Eglise et de la possibilité du mariage.

Les différentes contributions posent des problématiques dont on espère qu’elles seront développées par la suite. Le dialogue de spécialistes d’horizons différents autours d’un objet commun éclaire d’une lumière nouvelle et féconde leurs propres recherches. D’autres pistes longtemps méconnues sont effleurées. Le rôle des femmes de Dieu, considérable dans toutes ces confessions, n'est pas des moindres. Les rapports avec les pouvoirs politiques sont également abordés, avec pour corollaire l’évocation de dynasties d’hommes de religion. Denise Aigle développe l’exemple des sayyids iraniens au Moyen Age. La question du rôle des hommes de Dieu dans l'éveil des sentiments nationaux au XIXe siècle est de même abordée.
Cet œcuménisme historiographique, le terme s’impose, est une entreprise à saluer. L’ouvrage, d’une construction pédagogique, intéressera tout autant le spécialiste que celui que ces questions intriguent. La lecture de ces différentes interventions nourrira une réflexion plus personnelle sur les rapports entretenus par les religions entre elles, leurs ressemblances, parfois insoupçonnables, et leurs différences, réelles mais souvent trop accentuées.


Thomas Roman
( Mis en ligne le 26/06/2003 )
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