|
Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
| |
Les enseignants sont-ils de bons juges ? | | | Pascal Pansu Pascal Bressoux Quand les enseignants jugent leurs élèves PUF - Education et formation 2003 / 20 € - 131 ffr. / 190 pages ISBN : 2-13-052757-4 FORMAT : 14x21 cm Imprimer
Ce nest pas un ouvrage sur lévaluation que nous proposent Pascal Bressoux et Pascal Pansu, mais bien une étude sur le jugement que portent les enseignants sur leurs élèves. Leur réflexion sarticule logiquement autour de deux questions : comment les enseignants construisent-ils leur jugement, et quelles en sont les répercussions sur les élèves. Pour répondre à ces questions, ils sappuient sur quatre études menées en milieu scolaire, respectivement sur dix-huit, dix-neuf, trente et trente-neuf classes de C.E.2., ainsi que sur des études antérieures.
Le présent travail nous montre dabord que les enseignants fondent leur jugement sur une variable telle que les résultats notés aux épreuves scolaires, mais aussi sur dautres, inacceptables, comme lorigine sociale (les enfants de cadres supérieurs bénéficieraient dun meilleur jugement que les enfants douvriers), le sexe (les garçons seraient mieux jugés que les filles en mathématiques, alors que celles-ci seraient perçues comme meilleures en français), le retard scolaire ou le niveau de la classe (plus le niveau est élevé, plus le jugement serait sévère.) Les auteurs développent ensuite une variable importante selon eux, qui est le score dinternalité : plus celui-ci est élevé, plus le jugement serait bon. Ainsi, un élève qui suit un raisonnement interne attribue les événements à sa propre personnalité, ses propres capacités, alors quun élève dont le raisonnement est externe attribue les événements à des causes extérieures aléatoires ou au hasard. Cette distinction de raisonnement serait liée à la classe sociale : on retrouverait une causalité interne plutôt dans les classes sociales favorisées, tandis que la causalité externe, moins valorisante socialement, serait lapanage des classes sociales peu favorisées.
Cette étude nous montre donc que le jugement scolaire est loin dêtre uniquement fondé sur les résultats chiffrés. Que faut-il voir dans ces affirmations ? La confirmation dun manque dobjectivité des enseignants, ou linévitable reproduction en milieu scolaire des préjugés généraux de la société ? En effet, les variables annoncées dans létude sont aussi celles qui prévalent dans tout jugement social, en entreprise ou ailleurs. Quant au score dinternalité qui implique un bon jugement de la part des enseignants, il névoque rien détonnant ou de scandaleux, puisque lécole ne vise pas uniquement lobtention de bons résultats scolaires. Elle vise aussi à former des citoyens responsables, donc inscrits dans une norme dinternalité. En effet, si linternalité est valorisée socialement, nest-ce pas parce quelle exige un sens de la responsabilité ? Peut-on blâmer lécole de conduire ses élèves sur cette voie ? Les constats des auteurs semblent donc rassurants.
Toutes ces observations les mènent à sintéresser aux effets du jugement scolaire. En effet, les élèves ont connaissance du jugement émis par leurs enseignants car ces derniers changent de comportement (en félicitant par exemple davantage les bons élèves), même sils en sont moins conscients
Doù limportance détudier le poids du jugement sur lélève.
Les auteurs étudient cet effet sur la perception de soi. Ainsi, pour un élève, la perception de soi dépendrait de la performance scolaire, du sexe (les garçons auraient une meilleure perception de soi que les filles), du niveau moyen de la classe, du retard scolaire, mais aussi du jugement des enseignants. Plus le jugement est élevé, meilleure serait la perception que lélève a de sa compétence scolaire, mais aussi sociale ou encore comportementale. Les auteurs en arrivent à la conclusion qu«au travers du jugement que lenseignant porte sur la valeur scolaire de lélève, cest lenfant qui est touché.»
Lintérêt évident de cette étude est quelle a été menée en milieu scolaire, ce qui lui donne une validité indiscutable. Elle rappelle en outre que la vigilance est de mise pour chaque enseignant : bien que les variables énoncées soient sans surprise, il est toujours bon de les rappeler de temps à autre. Elle montre ensuite, là aussi sans surprise, le poids de linstitution scolaire sur les individus.
Néanmoins, bien que louvrage lance des pistes de réflexions intéressantes, il noffre pas de réponses pour des pratiques de classe. Ainsi, pour cela mais aussi en raison de sa complexité technique, il ne sadresse pas particulièrement aux enseignants, bien quils soient certainement les premiers concernés par ces questions, et attendent des réponses concrètes. Par exemple, les auteurs évoquent la difficulté détablir une moyenne de classe puisquil est difficile à un enseignant dévaluer les élèves autrement que les uns par rapport aux autres. Quelle est alors la valeur de la note ? Il sagit certes dun autre domaine de réflexion, mais qui aurait mérité dêtre développé dans le présent ouvrage.
Par ailleurs, il est légitime de se demander sil nest pas utopique de croire que le jugement scolaire a une valeur de jugement social : ce nest certainement pas le cas dans tous les milieux. Ainsi, la représentation quont les enfants de la valeur du jugement des enseignants est variable. Il serait intéressant de savoir où ces études ont été menées.
Enfin, il est bon de rappeler que la pédagogie actuelle est orientée vers une évaluation formative, dans laquelle la perception de soi ne dépend plus de lenseignant uniquement : lélève prend conscience de ses propres manques et progrès grâce à des critères dévaluation de plus en plus clairs et explicites.
Virginie Blay ( Mis en ligne le 13/10/2003 ) Imprimer | | |
|
|
|
|