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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
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Des étrangers bien de chez nous ? | | | Andréa Rea Maryse Tripier Sociologie de l'immigration La Découverte - Repères 2003 / 7.95 € - 52.07 ffr. / 122 pages ISBN : 2-7071-4001-5 FORMAT : 11x18 cm Imprimer
Louvrage dA. Rea et de M. Tripier est fondamentalement ancré dans notre époque. Les thèmes ici abordés sont de ceux qui nous interpellent, qui nous mobilisent facilement et animent les débats politiques aujourdhui : la problématique de lassimilation, celle de la relation entre identité et citoyenneté, et les questions liées au racisme et à ses implications quant au lien social national. Comment ne pas se sentir concerné par ces enjeux lorsque la polémique sur le communautarisme revient sur le devant de la scène, encore exacerbée par les récentes propositions de la Commission Stasi, ou que le Front National, fort de son assise électorale, tente dinstaurer et dexploiter un clivage entre «Français de souche» et immigrés ?
Cependant les auteurs ont réussi à sextraire dans un premier temps de ces aspects politiquement brûlants pour adopter un point de vue plus strictement scientifique, qui sappuie sur létude des courants de pensée sociologiques au XXe siècle ; il serait malaisé de le leur reprocher, puisquen agissant de la sorte ils sont parvenus à éviter lécueil du discours normatif ou militant, affleurant ces eaux troubles des sciences sociales, et ce sans pour autant renoncer à donner des éclairages propices à la compréhension de la situation actuelle.
Leurs observations recourent à des analyses tant américaines queuropéennes, et les lumières croisées de ces deux sociologies très différentes sont assurément bien utiles quand il sagit de juger un phénomène dont limportance a longtemps été minorée, quand il nétait pas purement ignoré, dans un pays comme la France. Le poids de lhéritage historique et politique dune nation est ainsi souligné par les auteurs, et lon constate quil sexerce sur les sociétés étudiées mais aussi sur les chercheurs étudiant ces sociétés
A. Rea et M. Tripier, en comparant les travaux de lécole de Chicago, au début du XXe siècle, et ceux des sociologues européens des années 1960, montrent à quel point le regard porté sur une situation est concomitant dune certaine mentalité. Aux Etats-Unis, la recherche a pris pour objet la ville, et sest attachée à décrire lévolution et lintégration de la communauté immigrée ; à lopposé, en France, seul lindividu a été pris en considération, quand il a commencé de lêtre - cest à dire très tard, du fait dune tradition jacobine qui refusait de considérer les corps sociaux intermédiaires, simaginant les faire disparaître en les ignorant.
Le livre insiste également sur linfluence quont pu exercer certaines conceptions économiques et idéologiques dun tel phénomène : la vision économique purement utilitariste qui consiste à ne voir les immigrés que comme des individus isolés venant proposer leur force de travail sur le marché (cest la figure du gastarbiter, le «travailleur hôte»), suppose, paradoxalement, une absence de sociologie de limmigration. De même, le marxisme, qui a longtemps imprégné une part de la sociologie européenne, refusait de considérer lexistence dun clivage autre que de classe, et ne prenait en compte limmigration que dans un schéma plus global, pour démontrer que cétait une stratégie consciemment menée par la classe capitaliste pour diviser la classe ouvrière.
Néanmoins toutes ces approches étaient en réalité biaisées parce quelles évitaient un point crucial, celui de lethnicité, et de la relation qui lie identité et citoyenneté. Là encore les considérations sont bien différentes selon que lon se situe de part ou dautre de lAtlantique. Il faut distinguer aux Etats-Unis les notions dethnicité et de racialisme, qui, du fait même de leur coexistence, traduisent une situation ou le multiculturalisme est accepté sans que les Noirs le soient vraiment... La réalité est autre en France, la notion dethnicité a pu être considérée comme un moyen dintroduire de nouveaux clivages sociaux, de créer dautres classes, parce qu'elle touche en fait à une autre épineuse question, celle de lidentité.
La conceptualisation des immigrés en tant que classe à part, et cependant apparentée aux classes sociales les plus inférieures, permet en effet de les caractériser, et de les différencier. Cest là le problème de la domination par la mise à distance de lAutre, tel quil avait pu être évoqué par P. Bourdieu. Car, comme nous le font remarquer les auteurs, rien nest moins naturel ni moins innocent que le choix des critères de définition par les sociologues, mais aussi les citoyens ordinaires ; interviennent ici toutes les théories interactionnistes qui étudient limpact de cette caractérisation des communautés immigrées par les sociétés daccueil sur les différents groupes de population visés. Ce qui nous conduit à nous interroger sur nos schèmes mentaux, sur le racisme, sur la ghettoïsation de certaines banlieues, et sur beaucoup dautres questions directement actuelles.
Tout cela renvoie également à un problème plus proprement politique, celui de lintégration par la citoyenneté, considéré a priori comme le but dun système «à la française». Nous voyons avec les auteurs que rien nest moins évident, dans la pratique, et que, par exemple, le fait de parler dassimilation nest pas neutre
Cest pourquoi cet ouvrage qui, par sa clarté et les nombreux encadrés illustrant des points plus précis, sapparente très souvent au manuel, nen est pas moins richement problématisé. Sa lecture savèrera dun réel profit, tant pour létudiant que pour le citoyen curieux de comprendre comment fonctionne la société à laquelle il appartient.
Aurore Lesage ( Mis en ligne le 19/12/2003 ) Imprimer
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