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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
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Dérangeant ou dé-genr-ant? | | | Georges-Claude Guilbert C'est pour un garçon ou pour une fille ? - La dictature du genre Autrement 2004 / 13 € - 85.15 ffr. / 116 pages ISBN : 2-7467-0506-0 FORMAT : 15x23 cm
L'auteur du compte rendu: titulaire dune maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère dOrientation-Psychologue de lEducation Nationale. Imprimer
En couverture, une photo pour le moins inhabituelle : cheveux longs, tatouages, bijoux et débardeur, une personne au genre plutôt indéterminé vous fixe droit dans les yeux. Puis un titre sous forme de question : «Cest pour un garçon ou pour une fille ?». Vous lavez sans doute entendue, cette question, de la bouche dune vendeuse dans un magasin de jouets pour enfants où vous cherchiez, perplexe, un cadeau de Noël pour Zozo (vingt-sept mois). Dans ce magasin, comme dans les catalogues de jouets, un rayon rose où abondent poupées Barbie et kits de ménagère fait face à un rayon bleu où mitraillettes et jeux de construction sont à lhonneur. Il faudrait avoir des préoccupations aussi étranges que celles du sociologue Serge Chaumier pour collectionner lesdits catalogues depuis quinze ans et constater la permanence de la division genrée de loffre de jouets. Mais pourquoi sen plaindre ? Quoi de plus mignon quun petit garçon faisant rouler ses petites voitures ? Quoi de plus émouvant quune petite fille donnant le biberon à sa poupée ? Le sexisme revêt en loccurrence un habit fort sympathique.
Le sous-titre de cet ouvrage est pourtant sans appel : «La dictature du genre». Georges-Claude Guilbert, qui enseigne la littérature et la civilisation américaine à luniversité de Rouen, ne mâche pas ses mots. Il nhésite dailleurs pas à la qualifier de «fascisante». Après avoir défini le terme «genre» en langue française par rapport à son ancêtre anglo-saxon gender, clarification indispensable, il expose la théorie constructionniste et propose des exemples de traitement de la question du genre dans la littérature, le cinéma et la musique sans sen tenir aux productions doutre-atlantique dont il est spécialiste. Georges-Claude Guilbert est en effet lauteur de Carson MacCullers : Amours décalées (Belin, 1999) et du Mythe Madonna (Nouveau Monde, 2004). Il présente enfin des auteurs qui ont porté un regard novateur sur le genre, de Foucault à Bourcier en passant par Butler. Le lecteur rebuté par les écrits pour le moins ardus de ces derniers sera rassuré par la grande simplicité de lexposé de Guilbert (due sans doute à ses habitudes denseignant ?) qui fait de ce livre une excellente introduction pour quiconque cherche à comprendre les enjeux actuels de la notion de genre.
Hélas, la clarté de cet ouvrage a son revers. Cest sur des idées naïves quil débute et se termine. Quand il traite de la question de lorigine de la domination masculine (page 11), lauteur présente comme évidente la thèse du matriarcat originel selon laquelle les premières sociétés, matrilinéaires, dans lesquelles le rôle de lhomme dans la procréation demeurait inconnu, auraient accordé la prédominance aux femmes. La découverte de ce rôle aurait donné lieu à une «vengeance», nous explique Guilbert, qui «a pour nom patriarcat» ! Cest oublier que cette croyance dans le matriarcat originel est largement contestée dans les sciences sociales. Guilbert na-t-il pas lu le premier tome de LHistoire des femmes en occident dirigé par Duby et Perrot ? «Autopsier le mythe du matriarcat», voilà ce à quoi nous y invite lhistorienne Stella Georgoudi.
La dernière page du livre de Guilbert (111) sachève quant à elle sur une note de bas de page qui prête à sourire. Lauteur sy déclare «pro-pornographie» par opposition aux «anti-pornographie», ce qui est pour le moins simpliste. On ne sait pas sil défend lexistence de la pornographie en tant que telle (cest-à-dire des représentations dactes sexuels non simulés ayant pour but dexciter le spectateur) ou bien la production pornographique telle quelle se présente aujourdhui (dune misogynie achevée). Un clivage aussi binaire entre «pro» et «anti» permet de qualifier tranquillement de «puritaines» les féministes qui protestent contre le caractère sexiste de la pornographie actuelle.
Le lecteur ne boudera pas pour autant son plaisir. Naurait-il pas dailleurs fallu lire ce livre avant lachat du cadeau de Noël de Zozo, au lieu de suivre les indications des catalogues de jouets et de la vendeuse, soutenues par des affirmations comme celles dElisabeth Badinter selon qui «imposer aux petites filles et aux jeunes garçons les même jouets, activités et objets didentification est absurde et dangereux» (p.97) ? Entre-temps, à grands coups de poupées et de maquillage ou bien darmes et de kits de petit chimiste, Zozo est sans doute devenu-e un-e bon-ne petit-e soldat-e de larmée du genre. Les adultes peuvent sextasier devant des caractéristiques genrées quils ont contribué à créer de toutes pièces. Cela sappelle une prophétie autoréalisante. On citera, au hasard, lincapacité avérée de Zozo à lire les cartes routières alors quelle est si douée pour la communication émotionnelle, ou bien son caractère renfermé largement compensé par ses aptitudes au bricolage, selon que Zozo vient de Vénus ou de Mars. Heureusement, avec Guilbert, déconstruire le genre est un jeu denfant !
Mathilde Rembert ( Mis en ligne le 30/06/2004 ) Imprimer
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