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L'économie en mots et en maux | | | Denis Clerc Déchiffrer l'économie La Découverte - Poche 2004 / 14.50 € - 94.98 ffr. / 414 pages ISBN : 2-7071-4135-6
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Pas assez didactique pour être un manuel, trop soucieux de ne pas délaisser les problématiques actuelles ou les faits dhistoire économique pour être un précis, de même que sans prétention à cette objectivité, à cette neutralité théorique surfaite et hypocrite qui caractérise trop souvent les travaux universitaires, louvrage de Denis Clerc offre une démarche parfaitement adaptée, depuis le début des mouvements altermondialistes, à une demande croissante de vulgarisation scientifique dans le domaine de léconomie. Il est vrai que lauteur collabore avec le mensuel Alternative économique, dont ces mouvements sont, à bien des égards, fort proches.
Louvrage est structuré en deux parties, lune consacrée au fonctionnement de léconomie (les acteurs, les institutions, la monnaie, le crédit, le travail, la balance commerciale, etc.), lautre à ce que Denis Clerc appelle «lenvers du décor» (crises, chômage, inégalités, rapports nord/sud, etc.), cest-à-dire les phénomènes «vécus». La première chose à remarquer est que lauteur ne manque pas dune certaine honnêteté intellectuelle puisquil refuse de considérer léconomie comme une discipline quil serait possible de constituer - et dutiliser - à part des autres sciences humaines (sciences politiques, sociologie, droit, etc.) et de leurs considérations propres. Il refuse aussi de réduire léconomie à la gestion ou à léconométrie. Doù, dailleurs, le jeu de mot du titre «dé-chiffrer», qui annonce que les mots seront préférés aux chiffres, la syntaxe aux fonctions et les réalités vécues aux mécanismes abstraits. Enfin, il a le mérite de ne pas se contenter des perspectives libérales, monétaristes, keynésiennes ou néo-keynésiennes, en particulier dans sa petite étude des rapports Nord/Sud ; il mentionne, même si cest pour les ranger au rayon des curiosités, les travaux originaux sur la décroissance de Nicholas Georgescu-Roegen ou la critique lucide du «développementalisme» opérée par François Partant, Ivan Illich ou encore Serge Latouche.
Que lon ne sy trompe pas, pourtant. La perspective de Denis Clerc est tout sauf révolutionnaire ou, comme on dit aujourdhui, «alternative ». Son rejet de la dogmatique économique nest que superficiel, dabord parce que, évacuant toutes les économies du don ou les économies domestiques qui sont encore, jusquà nouvel ordre, majoritaires sur notre planète, il réduit léconomie à ce quelle est en Occident, ou selon la pensée occidentale : un calcul daccroissement et une relation capital/travail ; ensuite parce que, non content de senfermer dans cette dogmatique, il choisit un point de vue critique plus fonctionnel que périlleux. Pour ne prendre quun exemple, ménageant la chèvre et le chou, il défend dune manière assez classique une organisation comme lOMC tout en lui reconnaissant les quelques défauts que lui concèdent les gens dATTAC : lOMC serait, malgré ses défauts, nécessaires à la régulation des échanges. Il passe ainsi largement à côté de la triple critique fondamentale : (1) de la nécessité absolue de léchange commercial, qui nest pourtant pas une évidence, (2) des théories du libre-échange, dont on sait à quels points elles sont pour certaines fausses et pour dautres réductrices, et (3) dun organisme comme lORD (Organisme de Règlement des Différends) qui est au cur de lOMC. Cet organisme, qui, selon une procédure très complexe, à la fois diplomatique et juridique, permet à un pays de prendre des mesures de rétorsions commerciales vis-à-vis dun partenaire qui laurait injustement spolié, nest que la loi du plus fort légitimée par le droit (ce qui nest, du reste, pas nouveau) tout simplement parce que nul nest égal devant léchange : un vaste pays comme les Etats-Unis peut se permettre des accrocs à une règle, et donc ses conséquences en terme de rétorsions, alors quun petit pays pauvre ne le peut. De même, les rétorsions du Malawi sur lUnion européenne ont peu de chance de faire infléchir cette dernière. Puisque, à juste titre, Monsieur Clerc utilise les analyses institutionnelles, il aurait franchement gagné à sintéresser à la procédure daccession à lOMC, que lon néglige trop souvent lorsque lon considère cette organisation.
Cela étant dit, sa bibliographie fouillée et commentée, son absence de liturgie universitaire pontifiante, sa structure claire, son travail de synthèse abouti, ses références historiques, ses graphiques et ses tableaux choisis à propos rendent cet ouvrage à la fois instructif et praticable.
Frédéric Dufoing ( Mis en ligne le 03/08/2004 ) Imprimer | | |